Je donne la parole, une fois de plus, à une femme musulmane en révolte contre l’islam. Henda Ayari, la première femme à avoir porté plainte contre Tariq Ramadan, combat l’islam et le traitement humiliant que cette religion impose aux femmes.
Elle a un parcours très particulier puisqu’elle a longtemps porté le voile puis décidé, un jour, de s’en libérer.
Voici des extraits d’une interview qu’elle a donnée à Valeurs actuelles :
« Une société parallèle à la société française »
A 20 ans,j’étais jeune et salajiste. À 39 ans,je suis une femme musulmane libre. Henda. Par ces mots simples, accompagnés d’un montage photo éloquent représentant la jeune femme en niqab sur la première photo, et maquillée en blouson de cuir sur la seconde, Henda Ayari révélait en décembre 2015 sur les réseaux sociaux le combat de toute une vie, pour dénoncer les dangers d’un islam radical. Un livre plus tard (J’ai choisi d’être libre, rescapée du salafisme en France), c’est à nouveau par le biais d’Internet qu’elle décide, en pleine effervescence médiatique autour de #BalanceTonPorc, de dénoncer son violeur, Tariq Ramadan. Par cet acte, elle met fin à un tabou courant dans l’islam, qu’elle explique dans un nouvel ouvrage au titre éloquent: Plus jamais voilée, plus jamais violée. Elle y décrit sans concessions la réalité d’un islam politique que nous ne voyons pas toujours. Un témoignage féministe et engagé.
Valeurs actuelles : Ni voilée ni violée : l’alternative est radicale … Qu’est-ce qui vous a poussée à prendre la plume à ce sujet ?
Henda Ayari : Depuis toute petite, j’ai toujours eu le besoin d’écrire: les mots m’ont aidée à exprimer mon mal-être issu d’une enfance difficile et très isolée. Cela a été une manière de me réparer, de me reconstruire, de dire ma souffrance et, au final, de me libérer. C’est devenu une sorte de thérapie mais aussi un moyen de répondre aux interrogations des gens face à ce que j’ai vécu et de préciser des choses que je n’avais pas pu suffisamment expliquer dans mon premier livre, en particulier sur le viol et sur le voile, qui est un véritable tabou dans le monde musulman. Le titre m’est venu tout naturellement parce qu’il reflète ce que j’ai vécu. Lorsqu’il m’a violée, mon agresseur m’a reproché de l’avoir provoqué en n’étant pas voilée. C’est d’ailleurs ce que j’ai expliqué lors de mon premier dépôt de plainte en 2017 :
pour Tariq Ramadan, soit vous êtes voilée, soit vous êtes violée.
Dire que ces femmes non voilées sont des tentatrices et donc des coupables est une manière pour ces agresseurs ainsi que pour de nombreux hommes des pays musulmans de se déresponsabiliser des viols qu’ils commettent. Finalement, elles n’auraient que ce qu’elles méritent car elles ont provoqué le désir des hommes. J’ai voulu, à travers ces livres, mettre en cause cet état d’esprit, casser l’idée qu’on répand dans l’esprit de beaucoup de femmes musulmanes qui n’osent pas se dévoiler ou dénoncer leurs violeurs. Ces femmes, quand elles sont violées, se sentent coupables et honteuses et ont plus peur de la réaction de la communauté que de celle du violeur. C’est ce tabou que j’ai voulu mettre au jour, ainsi que l’instrumentalisation politique du voile par les islamistes.
Valeurs actuelles : Vous désignez d’ailleurs le voile comme « l’uniforme de la soumission ». Comment expliquez-vous, vous qui l’avez vécu, que tant de jeunes filles le revendiquent ?
Henda Ayari : Chaque histoire est différente, et mon expérience de vie m’a permis de prendre du recul. Je sais maintenant faire la différence entre une jeune fille à qui on impose de le revêtir et une jeune fille qui porte un voile car elle en a besoin, comme une bouée de sauvetage.
Cela a été mon cas : porter le voile a été pour moi une sorte de protection. J’ai été une enfant et une femme battue. J’ai vécu une tentative de viol à 9 ans, et dès cette époque on m’a traitée de provocatrice et de prostituée. J’ai donc été en quête de pureté à l’adolescence et je me suis mise à porter le voile pour prouver que j’étais une fille sérieuse, et que j’avais besoin de savoir qui j’étais : si j’étais française, tunisienne, musulmane … Ce mal-être terrible à l’adolescence, période cruciale où l’on est en quête d’identité, aurait pu me conduire vers la drogue, l’alcool ou toute autre sorte de choses. On le voit, on ne peut se permettre de juger les jeunes filles qui se voilent: elles ont toutes des parcours et des raisons différentes.
Mais c’est sur l’instrumentalisation du voile que je veux éveiller les consciences.
Il est, en effet, devenu un instrument de conquête politique, un uniforme identitaire qui permet de se différencier du reste de la population, de revendiquer son islamité et de se communautariser. Car le problème repose sur ces femmes qui font du prosélytisme et essaient de convaincre d’autres jeunes femmes de le porter, et tentent d’imposer leur religiosité. Ces attitudes sont loin d’être la meilleure solution pour vivre en paix, car elles suscitent de plus en plus d’inquiétudes et de polémiques dans la société. On se rappelle la porte-parole voilée de l’Unef : un mouvement syndical étudiant n’a pas à connaître la religion de l’une de ses représentantes. On nous impose un symbole religieux et politique dans la sphère publique et c’est cette utilisation, et non pas la personne, que je dénonce. C’est un trouble à l’ordre public qui divise la population. Notre pays a été traumatisé par les attentats liés à l’islamisme, et il nous faut pointer du doigt ces doctrines sectaires qui utilisent le voile tel un étendard pour propager leur idéologie dans la société. Or, dans les pays au sein desquels elles ont pris le pouvoir, le droit des femmes et celui des minorités reculent …
Valeurs actuelles : Vous expliquez ainsi que « l’arborer, c’est aussi une façon de dire à la France qu’on l’emm … ». Comment ?
Henda Ayari : Le voile est un marqueur identitaire. Quelque part, nombre de femmes qui l’arborent ont décidé de sortir de la société. C’est un voile de provocation et de différenciation, peut-être parce qu’elles ne se reconnaissent pas dans la société ou qu’elles ont un mal de vivre.
Je souhaite les réconcilier avec notre pays. Je veux combattre les réactions de repli de part et d’autre. Car quand je portais le voile, plus je subissais des réactions de rejet dans la société, plus j’étais haineuse et je me repliais dans mon communautarisme, et j’avais envie d’en « rajouter une couche ». C’est pourquoi il est primordial de tendre la main à ces femmes-là et de les aider à prendre conscience du danger de l’islam politique. ll faut qu’elles réalisent que, contrairement à ce qu’on essaye de leur faire croire, la population française n’est pas islamophobe. Mon objectif est donc d’être un intermédiaire entre elles et la société, et c’est dans ce but que j’ai créé mon association. ll est, en effet, nécessaire de leur donner la parole, de les écouter, et de leur proposer un accompagnement psychologique ou encore judiciaire.
Valeurs actuelles : Vous dénoncez une certaine censure sur la réalité du voile par le politiquement correct …
Henda Ayari : Nos dirigeants sont dans le déni. lls font la politique de l’autruche à des fins électoralistes: ils n’ont pas envie de perdre le vote des musulmans, qu’ils mettent tous dans le même sac, islamistes ou pas islamistes. Or, si des politiques courageux ne prennent pas à bras-le-corps le problème, cela n’apaisera pas la société. Un certain nombre de personnes politiques de droite m’ont manifesté leur soutien dans mon combat: Valérie Pécresse, Patrick Karam, Laurent Wauquiez, ainsi que d’autres personnes qui ne sont pas du même bord politique, comme les membres du Printemps républicain … Marlène Schiappa commence timidement à se manifester.
Valeurs actuelles : Vous qui le connaissez de l’intérieur, comment décririez-vous le monde du salafisme ?
Henda Ayari : Il faut tout d’abord savoir que les salafistes sont les meilleurs ennemis des Frères musulmans car ils sont en concurrence. Ils ont tous deux pour objectif la conquête politique en utilisant l’islam.
Le salafisme est un mouvement politique issu de l’Arabie saoudite qui visait à conquérir le pouvoir. Des savants saoudiens du palais ont écrit dans ce but des fatwas sur mesure en manipulant les textes religieux. Avec leurs pétrodollars, ils ont étendu leur doctrine partout dans le monde, par Internet, par la diffusion de livres religieux ainsi que par des constructions de mosquées. Leurs vêtements leur permettent de se reconnaître entre eux et d’afficher visuellement la propagation de leur doctrine. C’est une société parallèle à la société française, qui n’observe pas les mêmes règles. Ils haïssent la France, qu’ils considèrent constituée de mécréants. Tout non-salafiste est un ennemi et le djihad est une obligation à remplir. Je constate que, si tous les salafistes ne sont pas terroristes, tous les terroristes passés à l’acte étaient salafistes.
La plupart de ceux qui se convertissent au salafisme sont des adolescentes en quête de sens. Cette doctrine leur offre un discours séducteur, selon lequel la femme est une perle que l’on doit protéger dans un coquillage. Or la plupart des jeunes filles rêvent du prince charmant, mais ont un peu peur de la société dans laquelle elles se trouvent. De nombreux parents m’ont contactée car leurs filles étaient tombées amoureuses de petits délinquants du quartier qui, du jour au lendemain, avaient décidé de se racheter une conduite en devenant musulmans pratiquants. Ils deviennent salafistes car c’est tout ce qu’on leur propose. Ils demandent alors à leurs petites amies de se convertir. Puis de se voiler, car c’est une obligation.
Combien de filles se sont fait ainsi berner! Or dès que l’on se convertit au salafisme, c’est comme une secte: on vous isole et on vous embrigade. C’est pour ça que je milite pour que le salafisme soit placé sur la liste des sectes en France. J’ai écrit l’année dernière une lettre en ce sens, avec de nombreuses propositions de solutions pour lutter contre le salafisme, à Emmanuel Macron, mais il ne m’a jamais répondu ni voulu me recevoir à l’Élysée. Pourtant, le salafisme est un véritable danger: nous sommes passés de 15 ooo à 50 ooo membres en France. C’est pourquoi l’éducation est la priorité. Et ces enfants vont être des Cocottes-Minute prêtes à exploser: on leur apprend la haine des mécréants. Ils subissent un véritable lavage de cerveau, et l’on a là des mineurs en danger. C’est pourquoi j’estime qu’il faut faire des signalements quand on repère des enfants salafistes, des suivis, et soutenir les mamans dans leur éducation civique.
Valeurs actuelles : Quel rôle joue le complotisme dans l’univers salafiste et parmi les Frères musulmans ?
Henda Ayari : Le complotisme est beaucoup plus important et propagé qu’on ne le croit. De plus en plus de gens n’ont pas confiance dans notre société et dans les politiques, tant ils ont été déçus. Ils ne font donc plus confiance et pensent être manipulés. Il leur est alors facile d’embarquer dans une idéologie complotiste, car celle-ci postule que l’on est manipulé. L’idéologie complotiste est d’ailleurs la première étape pour atterrir dans le salafisme.
Il dit, en effet, que l’islam est le seul rempart contre le nouvel ordre mondial qu’on veut nous imposer. Il y aurait ainsi deux blocs opposés, les méchants et les gentils. Un jeune sans beaucoup d’esprit critique va ainsi croire à la victimisation des Palestiniens, que les musulmans sont les éternelles victimes ou les juifs des gens malfaisants.
Valeurs actuelles : Cette théorie du complot, vous la retrouvez dans l’affaire Ramadan …
Henda Ayari : En effet. Depuis que j’ai osé témoigner, mon nom a été traîné dans la boue par une véritable machine de guerre. Les partisans de Tariq Ramadan sont allés jusqu’à dire que j’étais un agent du Mossad payé pour faire tomber les musulmans ! Tout était bon pour faire de lui un martyr, même les faux témoignages à mon encontre.
Pourtant, je ne suis pas dans une démarche de haine. Ce qui me soulage, c’est de savoir que depuis que j’ai porté plainte il ne peut plus violer personne. Il s’est toujours attaqué à des femmes fragiles et malheureuses, il savait comment les faire taire. Mais aujourd’hui, il est hors d’état de nuire. Je souhaite que la justice soit rendue de la façon la plus juste possible. Je voudrais lui laisser la possibilité de commencer à réparer ses erreurs en avouant.
Valeurs actuelles : Vous dites croire au pouvoir du pardon …
Henda Ayari : Il est plus facile d’avoir de la haine et de la reproduire que de pardonner. Mais je pense que le pardon est quelque chose qui nous élève. Je n’ai pas voulu, notamment, être une mère qui bat ses enfants. Les êtres humains ont tous leurs faiblesses et leurs blessures, et il ne sert à rien de répondre au mal par le mal.
Je suis dans une volonté d’espérance et d’optimisme: on peut construire sur les ruines de son passé. Je porte mes cicatrices comme des médailles qui témoignent de mes combats. On m’a battue, violée et je me suis toujours relevée. Ma soif de vivre reste là, l’amour est plus fort que tout et c’est ce que je veux transmettre aux autres femmes blessées.
Propos recueillis par Anne-Laure Debaecker pour Valeurs actuelles.
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