Depuis sa participation active à la manif pour tous, sa parole se faisait rare … Et personnellement, elle me manquait.
L’ancienne plume de Nicolas Sarkozy, Henri Guaino, nous délivre, sur le site de RT France, une analyse en profondeur du mouvement des gilets jaunes.
C’est donc dans l’organe controversé où s’est réfugié Frédéric Taddei après son éviction du service public de l’audiovisuel qu’Henri Guaino a choisi de s’exprimer, peut-être pour montrer sa défiance vis-à-vis des médias mainstream …
Voici sa réflexion :
Après les annonces d’Emmanuel Macron face au mouvement des Gilets jaunes, Henri Guaino dresse le bilan du management de la crise par le gouvernement et met en garde contre son incapacité à transgresser les dogmes de la «mondialisation heureuse».
Bientôt quatre semaines de ce qui restera, quelle qu’en soit l’issue, comme «la crise des Gilets jaunes». Cette issue, nul ne peut encore la prévoir. Mais ces quatre semaines de protestations et de désordres nous en disent beaucoup sur l’état de notre société et sur son avenir.
Les images de violences, de pillages, ont fait apparaître les limites du maintien de l’ordre public par la police la gendarmerie. Plus profondément, s’est imposée l’évidence que les forces de l’ordre n’avaient ni la vocation ni les moyens d’assurer la cohésion de la nation et qu’il ne fallait pas confondre l’ordre social et l’ordre public, le second pouvant devenir mission impossible lorsque le premier est trop compromis.
Ce n’est pas encore une révolution,
mais c’est déjà un soulèvement qui balaie l’autorité.
La crise de 2008 et celle des Gilets jaunes, ce sont des portes qui se sont entrouvertes sur l’extrême fragilité de nos sociétés et de nos économies. La crise financière de 2008 nous a fait entrevoir le chaos économique, celle des Gilets jaunes nous fait entrevoir le chaos social. Nous autres, Français, nous savons maintenant que notre société est périssable. Ce n’est pas la première fois que notre pays connaît des mouvements sociaux qui se radicalisent. Mais celui-ci appartient à une espèce bien particulière : ce n’est pas la mutinerie d’une profession, d’une classe d’âge ou d’une région, c’est une mutinerie qui touche toutes les catégories sociales, tous les âges, toutes les régions et qui, au plus fort de sa popularité a recueilli, fait rarissime, jusqu’à 80% de soutiens dans l’opinion.
Ce mouvement n’a pas d’idéologie, pas de parti, pas de syndicat, pas de chef, il ne porte pas le nom propre d’une figure emblématique comme le poujadisme. Ce n’est pas encore une révolution, mais c’est déjà un soulèvement qui balaie l’autorité, non pas tant par ses violences où se retrouvent des extrémistes de tous les bords mais aussi les voyous et les casseurs, que par le fait qu’une partie de la société refuse tout à coup de jouer le jeu, de respecter les règles. Que tant de gens se retrouvent partout pour manifester quand et comme ils en ont envie, sans demander l’autorisation, allant, comme certains l’ont proclamé, où le cœur leur en dit, sans qu’aucune autorité y puisse rien, que l’on en soit arrivé là, voilà qui est le plus inquiétant pour l’avenir.
Le pouvoir a trop attendu. Il a laissé s’ouvrir
la boîte de pandore de toutes les frustrations.
Une limite a été franchie, transgression presque imperceptible derrière les incendies de voitures, les bris des vitrines, le vacarme des saccages et des grenades lacrymogènes, presque imperceptible mais décisive. Ce sentiment que, tout à coup, tout est permis, il ne fallait pas le laisser prendre conscience de lui-même au risque de toutes les surenchères et de toutes les radicalisations.
Le pouvoir aurait du répondre tout de suite : un gouvernement doit toujours être attentif à ne pas franchir cette limite au-delà de laquelle l’autorité vacille et lorsqu’il se rend compte qu’elle est atteinte, il doit tout de suite calmer le jeu. La rhétorique du «nous ne cèderons pas», «ce n’est pas la rue qui gouverne» atteint très vite ses propres limites. Savoir céder à temps fait partie de l’art de gouverner. Pour gouverner un peuple, il faut que celui-ci, à défaut d’adhérer, consente. «Je ne referai pas la France sans les Français », disait De Gaulle en 58. Qu’une partie minoritaire mais significative de la population oppose un refus absolument déterminé et c’est toute l’organisation de la société qui est ébranlée. Le pouvoir a trop attendu. Il a laissé s’ouvrir la boîte de Pandore de toutes les frustrations, de toutes les souffrances de toutes les rancœurs, de toutes les colères et de toutes les revendications et plus personne ne sait où cela mènera.
Le plus angoissant dans cette histoire n’est pas sur les ronds-points ou dans les rues il est dans les discours politiques et dans les analyses des spécialistes de l’opinion qui tournent en boucle à la radio, la télévision, car ils traitent comme de la politique ordinaire quelque chose qui ne l’est pas. Chacun fait des additions et des soustractions comme ont le fait à chaque annonce politique depuis des décennies. Le président de la République annonce enfin des mesures pour tenter de calmer les protestataires.
Ces mesures corrigent, en partie, les décisions qui ont fait déborder le vase des colères. Mais personne ne pose la question de savoir pourquoi le vase est plein. Des experts prennent des airs entendus pour expliquer que nous assistons à un tournant économique et social. Mais une correction n’est pas un tournant. Or, c’est bien un vrai tournant que réclame la société dans ses profondeurs et pas seulement la société française mais les sociétés de tous les pays développés. Ce vrai tournant ce serait de mettre sur la table et de décortiquer la machine à effacer les frontières, à broyer les sociétés, les économies, les cultures, les identités, machine infernale que nous avons mise en place depuis presque quatre décennies.
Tant qu’il en sera ainsi, le pouvoir se condamne
à être toujours en retard d’une surenchère !
La crise qui mine les sociétés des pays développés, celle de la France en particulier, est la crise d’un système qui, à force d’abîmer beaucoup de vies, à force de trop tirer sur la corde, atteint son point de rupture. Le drame c’est qu’il faudrait longtemps pour s’en extraire alors que l’urgence sociale et humaine est là. Mais, surtout, changer de politique pour contrer les effets les plus néfastes de ce système, pour rendre aux peuples la maîtrise de leur destin, pour leur permettre de choisir dans quelle civilisation, dans quelle société ils veulent vivre, exigerait des transgressions dont les pouvoirs installés, tous, quels qu’ils soient, semblent incapables, du moins dans cette Europe où l’élection de Trump et le Brexit ne paraissent pas avoir ébranlé les certitudes de la classe dirigeante.
Tant qu’il en sera ainsi, le pouvoir se condamne à être toujours en retard d’une surenchère. Ce qui rend la situation actuelle très dangereuse c’est bien cette incapacité à transgresser les dogmes de «la mondialisation heureuse», de «l’Europe heureuse», du «multiculturalisme heureux», qui nous gouvernent depuis trop longtemps, confrontée au sentiment qu’éprouvent désormais ceux qui en sont les victimes que «cela ne peut plus durer». Manifestement, tout le monde n’en a pas pris la mesure.
Henri Guaino pour RT France
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