Le chef de l’Etat se rêvait en grand architecte d’une nouvelle Europe façonnée à sa main. Mais la réponse de la patronne de la CDU à sa lettre aux européens dévoile son isolement et la faiblesse de son leadership supposé.
L’arrogance est le plus grand défaut que l’on prête aux Français. Emmanuel Macron , en tant que premier d’entre eux, en est l’étendard et sa campagne européenne en est le meilleur exemple. Donner des leçons aux autres européens, Allemagne incluse, quand on a les pires résultats économiques de la zone euro, et que le peuple français manifeste depuis 17 semaines sans discontinuer, relève en effet de la plus insupportable des arrogances.
Un article d’Arnaud Benedetti, paru dans Valeurs actuelles, fait le point de la grande offensive européenne lancée par Emmanuel Macron.
La clef de voûte de la promesse macroniste reposait sur un don et un contre-don implicite : à ses partenaires européens et au principal d’entre eux, l’Allemagne, le président français annonçait qu’il transformerait la France pour l’adapter aux standards de la globalisation ; aux Français, il promettait en échange de leurs efforts qu’il ferait bouger le voisin outre-Rhin dans le sens d’une Europe plus protectrice et plus harmonisée, mais au format du mieux-disant hexagonal. La basse de la symphonie du premier des marcheurs s’inscrivait, continue, dans cette rythmique. Or, l’équation s’est avérée vite impossible à résoudre tant Madame Merkel, encalminée dans ses difficultés internes et sous réserve qu’elle en manifeste une quelconque volonté, ne disposait d’aucune marge de manœuvres pour mettre en mouvement le paquebot germanique. L’Allemagne ne bougea pas.
À mesure que l’échéance électorale européenne approche, Emmanuel Macron a pu croire qu’une nouvelle fenêtre d’opportunité s’entrouvrirait. Isolé sur une scène européenne plus divisée que jamais, le chef de l’Etat tente d’imposer sa grille de lecture au continent entre, d’un côté les progressistes dont il serait tout à la fois le cavalier-léger et le thaumaturge et de l’autre les populistes, formes diverses de toutes les opinions qui à ses yeux ne partagent pas le credo bruxellois. Macron est le fils le plus discipliné de Maastricht dont il s’efforce de réanimer les flammes à travers une ode à la puissance et à la protection. C’est la signification de son adresse à la presse européenne, vaste plan de com’ qui outre qu’il vise à parler à tous les européens, intériorise les difficultés que l’Union n’a pas été en mesure de dépasser depuis 1992. La référence aux frontières, à la remise à plat de Schengen sonne comme la confirmation d’un dysfonctionnement au mieux, d’un échec au pire. Elle s’accompagne, réitération désormais imposée de la rhétorique macroniste, de la désignation de l’ennemi, conformément à l’essence du politique telle que la définissait le sulfureux mais néanmoins profond Carl Schmitt.
Macron se surexpose dans un combat incertain …
Emmanuel Macron ne cesse, au risque d’exacerber les antagonismes, d’ériger Salvini, Orban et d’autres en adversaires inconciliables, introduisant étonnamment une conflictualité rare dans un espace né par et pour la négociation. Sans doute espérait-il, à la relance dans son exercice de réenchantement européen, ramener à lui Berlin dans une entreprise où le soupçon d’arrogance française ne manquera pas d’effleurer certains de nos partenaires, y compris parmi ceux les mieux disposés. Outre qu’il lève un deuxième front, à côté de la crise « giletiste » qu’il pense peut-être un peu trop hâtivement avoir épongée, le chef de l’Etat se surexpose dans un combat d’autant plus incertain que la vérité de ses certitudes demeure pour le moins relative.
À l’épreuve de près de trente années de Maastricht, l’Union européenne a suscité le sentiment d’une dérégulation sans protection, d’une ouverture sans contreparties, d’un élargissement sans démocratisation, d’une volonté bureaucratique impuissante à l’échelle de la planète. Fondée ou pas, cette représentation est une réalité vécue par des pans entiers des opinions dont il ne faut pas à priori, réflexe pavlovien d’élites peu prédisposées à penser le changement, voire la rupture, considérer qu’elles ont nécessairement tort. Si elle ne parvient pas à transformer le ressenti, la perception, la politique accrédite l’idée que ses actes n’ont pas atteint leurs objectifs.
À cette confusion des opinions vient se surajouter, coup de tonnerre à peine dissimulé dans une météo bouleversée, la tribune signée par la toute nouvelle Présidente de la CDU, Annegret Kramp-Karrenbauer qui prend à revers bien des présupposés déroulés par l’Elysée. Pas de mutualisation des dettes, pas d’harmonisation sociale, remise en cause de la bi-localisation du parlement, siège au conseil permanent de sécurité de l’ONU : la ligne allemande se précise. Elle confirme une volonté de puissance, elle refuse les solidarités incompatibles avec sa vision de l’économie, elle plante un drapeau dans le jardin de la France et du président Macron pour explicitement lui signifier qu’elle n’entend pas lui laisser le moindre leadership. C’est toute l’architecture de la programmatique macroniste qui s’en trouve dès lors affectée.
Une confirmation, bien plus qu’une surprise …
Arnaud Benedetti pour Valeurs actuelles.
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