L’empêcheuse de dépenser nos ronds (suite et fin)

Publié par le 6 Jan, 2020 dans Blog | 0 commentaire

L’empêcheuse de dépenser nos ronds (suite et fin)

Voici la suite et la fin de l’interview d’Agnès Verdier-Molinié dont la première partie a fait l’objet de ce précédent article:

L’empêcheuse de dépenser nos ronds.

Valeurs actuelles : Le principal problème de la réforme des retraites n’est-il pas davantage lié à la procrastination des gouvernements qui se sont succédé depuis trente ans qu’à la fronde syndicale ?

Agnès Verdier-Molinié : Pas tellement. Ou plutôt, il faut admettre que tous les gouvernements ont peu ou prou avancé sur le sujet. En vingt-six ans, nous avons suivi quatre et bientôt cinq réformes de nos systèmes de retraite. Cela sans que la convergence entre public et privé ou que le problème des régimes spéciaux soient réglés. Néanmoins, toutes ces réformes, y compris celle de l’âge pivot à 64 ans que veut mettre en place de gouvernement, interviennent pour réparer l’erreur terrible de François Mitterrand, qui, en 1982, décalait l’âge de départ de 65 à 60 ans.
François Hollande a ainsi augmenté la durée de cotisation, avec la réforme Touraine, de 41,5 ans à 43 ans (avec un allongement d’un trimestre tous les trois ans, entre 2020 et 2035, pour atteindre 43 ans, soit 172 trimestres, pour les personnes nées en 1973 et après). Avant lui, Nicolas Sarkozy avait décalé l’âge de départ à 62 ans et les partenaires sociaux, en 2015, ont signé sur le principe d’un bonus-malus pour les retraites complémentaires du privé avec un âge pivot à 63 ans. Avant cela encore, François Fillon, sous le second mandat de Jacques Chirac, avait mené une réforme, en 2003, pour aligner les agents publics sur la durée de cotisation du privé (nombre de trimestres et âge de départ). Et en 1993, c’est Édouard Balladur qui avait fait voter l’allongement progressif de la durée de cotisation pour bénéficier d’une retraite à taux plein de 37,5 ans à 40 ans (et les 25 meilleures années au lieu des 10 dernières dans le privé).

Valeurs actuelles : Les solutions proposées par le gouvernement d’Édouard Philippe pour réformer les retraites sont-elles les bonnes ?

Agnès Verdier-Molinié : La problématique est simple : soit on baisse les pensions des retraités et ils perdent des milliards sur leurs retraites, soit on augmente les cotisations des actifs et ils perdent des milliards sur leurs salaires… Soit on repousse l’âge de départ à la retraite, on aligne les modes de calcul et tout est résolu pour de nombreuses années.
Dans la réforme du gouvernement, il y a en réalité deux réformes distinctes, la future retraite par points, d’un côté (qui ne sera appliquée qu’à partir de 2027 et encore plutôt à partir de 2039 quand ceux de la génération née en 1975 prendront leur retraite), et le report de l’âge légal (qui s’appliquera dès 2022) par le mécanisme de l’âge pivot, d’un autre côté. Un mécanisme déjà à l’œuvre dans le régime général à 63 ans. Cette généralisation du report de l’âge, comme elle existe déjà dans le privé, est obligatoire.
Ensuite, il y a la mise en place de potentiels malus, plus ou moins efficaces. Si c’est un malus sur deux ans, cela n’a pas la valeur incitative d’un malus sur l’ensemble de la durée de la pension. La première option représente entre 2 et 3 milliards d’euros d’économies par an, quand la seconde option représente 7 à 8 milliards d’économies.
Reste ensuite la question du régime universel : un principe qui est fondé sur une idée juste, celle de l’équité entre les régimes. Si le principe de l’équité disparaît au profit d’une multitude de régimes spéciaux qui ne seront pas concernés par la réforme (policiers, cheminots… ) ou qui seront largement compensés (enseignants… ) aux frais du contribuable, alors la réforme sera beaucoup moins bonne, voire quasi inutile, car elle ne réparera pas les injustices du système actuel. Tout dépend de ce sur quoi le gouvernement va lâcher.
On peut clairement se poser la question : à quoi sert un régime universel pour tous les salariés si certains sont concernés et d’autres pas ? Et ce, d’autant plus que les questions de pénibilité au travail ont vocation à être compensés pendant la carrière et non au moment de la retraite. Un point que les syndicats et les grévistes semblent oublier de préciser dans leurs argumentaires.

Valeurs actuelles : Les syndicats servent-ils d’ailleurs encore à quelque chose ?

Agnès Verdier-Molinié : Ils ont un rôle dans notre démocratie, à condition d’être représentatifs des actifs et à l’écoute de l’ensemble de ces derniers. Aujourd’hui, les syndicats français représentent à peine 8 % des salariés du privé et 5 % des salariés des entreprises de moins de 50 salariés. Cela pour un taux de syndicalisation total de 11 %, notamment grâce à leur surreprésentation dans le secteur public.
Nos syndicats défendent avant tout le secteur public et les acquis de ses agents. Ils sont dans une logique de blocage qui ne fait rien avancer. Et ils sont, surtout, au service d’eux-mêmes. Typiquement, dans les blocages actuels sur la réforme des retraites, leur mobilisation est viscéralement autant contre la perte de pouvoir du paritarisme que contre le report de l’âge de départ à la retraite qu’ils savent inéluctable.
Les syndicats cogèrent les retraites complémentaires et ne veulent pas lâcher cette prérogative, qui leur rapporte des deniers non négligeables. Nos syndicats sont en effet financés en partie par ce que l’on appelle le “paritarisme”. Ils ne veulent pas renoncer à ces subsides, d’où la forte mobilisation qui en cache une autre, celle pour garder le plus possible la main sur le futur système.
Il y a beaucoup de luttes de pouvoirs sous-jacentes qui induisent des jeux de rôles que les Français ne perçoivent pas très bien, même si beaucoup se rendent compte qu’il y a une bonne dose de postures dans l’attitude de nos syndicats, même ceux dits “réformistes”.

Valeurs actuelles : La fraude sociale est un mal français bien installé. Pourquoi les gouvernements, quels qu’ils soient, ne s’y attaquent-ils pas malgré tous les rapports qui la confirment ?

Agnès Verdier-Molinié : Étrangement, ceux qui sont toujours très durs avec la fraude fiscale ne le sont pas du tout avec la fraude sociale, comme si c’était plus “acceptable”. Deux parlementaires, qui ont tenté récemment de chiffrer la fraude sociale, ont bien compris l’opacité qui se tenait face à eux à la fois à l’Insee ou dans les services des Caisses nationales de l’Assurance maladie ou des allocations familiales.
En matière de fraude sociale, tout est à faire. Pour commencer, il faudrait savoir de quoi on parle, car il n’existe pas de données fiables. On sait que la fraude sociale identifiée, c’est environ 8,5 milliards d’euros, mais avec la fraude non identifiée, on pourrait monter jusqu’à 15 ou 20 milliards.
Si notre système est juridiquement extrêmement répressif, aujourd’hui, d’après les textes, c’est l’opérationnel qui fait défaut : la “sincérisation” des numéros d’identification n’est pas clarifiée, pas plus que l’interconnexion des bases de données. Pire, la coordination antifraude est aujourd’hui inexistante : la direction nationale de lutte contre la fraude n’a plus de directeur depuis plus de six mois. Il faudra aussi, par exemple, faire converger la carte d’identité et la carte Vitale en y ajoutant des données biométriques.
Pour s’attaquer à la fraude sociale et fiscale (car les deux sont souvent interdépendantes : travail au noir, fraudes aux cotisations, à la TVA, etc. ), il faudra d’abord restructurer les services. Créer une “banque carrefour” de la Sécurité sociale en permettant une vraie interconnexion des données, notamment fiscales, et surtout, le plus important, avoir pour chacun d’entre nous une carte d’identité qui soit aussi une carte Vitale biométrique et qui évitera une fois pour toutes les “prêts” de carte Vitale, et donc les fraudes sur lesquelles on ferme les yeux.

Valeurs actuelles : Édouard Philippe a-t-il les moyens de ses ambitions quand il dit vouloir reconduire 90 000 immigrés clandestins hors de France ?

Agnès Verdier-Molinié : Les moyens accordés aux reconduites à la frontière sont sous-budgétisés. Déjà, ces budgets sont éclatés entre les missions budgétaires “Sécurité” et “Asile et immigration”, ce qui ne facilite pas une vision consolidée du problème. Quand on scrute spécifiquement la lutte contre l’immigration irrégulière, on s’aperçoit que les crédits vont baisser de presque 10 % en 2020 pour atteindre 122,4 millions d’euros. De cette somme, seulement 33 millions seront consacrés aux frais d’éloignement des personnes déboutées du droit d’asile. Un chiffre en très légère augmentation, mais qui stagne depuis quatre ans.
Le problème, c’est qu’avec environ 30 millions d’euros en 2018, la France n’a su assurer que 15 677 retours à la frontière depuis la métropole. Il faudrait donc 200 millions d’euros de crédit pour raccompagner à la frontière les quelque 90 000 déboutés du droit d’asile. Soit six fois plus que ce qui est prévu pour 2020.
Au minimum, ce sont 400 millions d’euros supplémentaires qu’il faudrait allouer aux dispositifs de reconduite à la frontière (dont des places supplémentaires en centres de rétention administrative, CRA) pour devenir crédible en la matière, notamment en direction des DOM (Guyane, Mayotte, etc. )… tout en réfléchissant à l’externalisation de certaines tâches de surveillance et d’encadrement en CRA ou en matière d’escortes.

Valeurs actuelles : Plus d’un an après le début de la crise, le problème des “gilets jaunes” n’est pas réglé. Que doit faire Emmanuel Macron pour leur assurer un avenir ?

Agnès Verdier-Molinié : Le problème n’est pas celui des “gilets jaunes”, mais celui de tous les Français et de toutes les entreprises françaises. La paupérisation n’est pas réservée à une partie de la France, elle s’abat sur tous par le biais des cotisations et des impôts directs et indirects. Il n’y a qu’à regarder la part des impôts directs payés par les ménages : à partir de 3 000 euros de revenus par mois, on assiste à un véritable matraquage fiscal et c’est loin de s’arrêter. Cette catégorie s’acquitte de 67 % des impôts directs sur les ménages.
C’est le problème global du poids de notre modèle social. Tant qu’il sera trop lourd, notre avenir ne sera pas assuré : nos foyers, nos entreprises, nos salaires seront trop prélevés et s’appauvriront mécaniquement. Nous avons perdu encore une place dans le concert des nations en passant derrière l’Inde et nous sommes en dessous de la moyenne de l’Union européenne en termes de PIB par habitant. C’est préoccupant. Les Irlandais, les Néerlandais, les Autrichiens sont devant nous, il serait peut-être temps de se réveiller !

Frédéric Paya Marie de Greef-Madelin pour Valeurs actuelles.
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