Il fallait le voir pour le croire. Ca se passait à la télévision, la veille de la commémoration de l’abominable attentat qui a décimé la rédaction de Charlie Hebdo. Ca parlait liberté d’expression évidemment, humour, laïcité, avec des phrases que l’on connaît désormais par coeur et que chacun met un point d’honneur à reprendre à son compte. On se lamentait, aussi, que cette liberté régresse. Après quelques minutes, changement de sujet : les affiches de l’association pro-Vie Alliance Vita, en présence du délégué général de cette dernière. Le tiroir de la thématique fut aussi rapidement refermé que la discussion précédente avait été larmoyante. Vous êtes contre l’IVG, vous êtes catholique, le pire des réactionnaires, contre les femmes, on vous connaît, enfin les masques tombent.
Masques inexistants en l’occurence, puisque le prévenu assume tout, et essayait simplement de dire qu’il ne voyait pas forcément le rapport entre la teneur de cet interrogatoire et l’objet de sa présence en plateau. Peu importe, Dieu merci, les abominables affiches sont retirées de l’espace public, on respire mieux. L’esprit Charlie c’est pas pareil. St Just avait raison.
Le spectacle était trop peu étonnant, malheureusement. Car il reste des sujets sur lesquels personne ne cherche autant à comprendre qu’à invectiver, prouvant ainsi qu’il appartient au camp du Bien confortablement majoritaire sur le plateau.
Sur les abominables affiches, on trouvait trois slogans, qui encourageaient la société à progresser en protégeant la différence, la maternité et la paternité. Dans le viseur ? La loi de bioéthique récemment adoptée par l’Assemblée et bientôt examinée par le Sénat, qui légalise la PMA pour femmes seules et lesbiennes… mais pas seulement. Se pencher sur le fond n’est pas absurde.
Nous étions en 2013.
On nous disait que le mariage pour tous n’avait rien à voir avec la PMA. Encore moins avec la GPA.
Nous autres, opposants au projet de loi, étions priés de cesser de nous battre contre un droit qui ne retirait rien à personne. Nous avions beau dire que la PMA viendrait évidemment au nom de l’égalité, que la GPA suivrait pour les mêmes raisons, et que la société serait profondémment boulversée dans ses bases, nous n’étions qu’un ramassis de vieux réactionnaires incapables de vivre avec leur temps.
Nous sommes en 2020. Et pour le coup, les masques sont tombés.
Nous avons la PMA, dans la loi, et la GPA, dans les faits.
Et désormais, en prime, une polémique nationale sur des affiches. L’appel à la protection de la maternité accusée d’homophobie, de la paternité de lesbophobie… Et le tout d’être anti-IVG.
Maternité, paternité : ces mots, qui n’étaient hier ni des injures, ni des phobies, déclenchent désormais l’intervention immédiate du maire de Paris. Chantre de la tolérance et de la liberté d’expression, Anne Hidalgo tweete son indignation, demandant le retrait immédiat des publicités en question. Au diable la liberté d’expression ou le débat contradictoire. Charlie a des limites : pas de liberté pour les ennemis de la PMA et de l’IVG. La société change, elle se transforme pour tous, mais certains sont moins égaux que d’autres dans leur liberté d’expression.
De son côté, la régie publicitaire Médiatransports brandit, pour justifier le retrait des affiches incriminées, son « principe de neutralité ». Principe qui avait déjà été invoqué par la régie publicitaire de la RATP pour refuser la mention « pour les chrétiens d’Orient » inscrite sur une publicité. A l’époque, tenez-vous bien, la régie publicitaire de la RATP avait évoqué le devoir de neutralité du service public « dans le contexte d’un conflit armé à l’étranger ». Vive les « principes », surtout lorsqu’ils sont à géométrie variable.
Car il n’est jamais question de neutralité lorsqu’il s’agit de publicités animalistes visant à culpabiliser les mangeurs de viande, de publicités du très engagé — et subventionné — planning familial, d’associations prônant ouvertement l’adultère ou de sites de rencontres ayant pour logo une femme mettant un homme… dans son caddie.
Poursuivons la réflexion, avec étonnement. Sur les trois affiches, seules celles évoquant le respect de la paternité et de la maternité ont été retirées. Celle prônant le respect de la différence, illustrée par un jeune handicapé, a eu le « droit » de rester. C’est pourtant elle qui créait sûrement le lien le plus étroit avec le tabou absolu de l’époque : l’avortement. Et le sujet brûlant d’actualité, la PMA.
Ce nouveau texte promouvant une peu plus l’eugénisme, prévoit en effet d’étendre les possibilités de recours aux tests pré-implantatoires et pré-nataux (notamment sur les nombreux embryons nécessaires à la réalisation d’une PMA) et donc les chances d’une sélection plus drastiques encore entre les embryons normaux ou handicapés. Une sélection qui se perfectionne à toutes les étapes de la grossesse, jusqu’à son terme.
Faut-il rappeler, en effet, qu’un enfant handicapé peut être avorté jusqu’au terme de la grossesse, en France, simplement parce qu’il est handicapé ? On appelle cela l’interruption médicale de grossesse.
Il y a cinq ans, après le massacre de la rédaction de Charlie hebdo, des millions de Français descendaient dans la rue pour défendre le droit de tout dire, de tout critiquer, de tout attaquer. La France, nous disait-on, les sanglots dans la voix, c’était cette liberté d’expression. Absolue.
Une question demeure : comment prétendre à cette liberté d’expression si le premier opposant à l’IVG est voué aux gémonies, attaqué en justice, contesté par les pouvoirs publics, ostracisé alors même qu’il n’insulte ni ne salit personne ?
Rendons-nous à l’évidence.
En France, il est quasiment impossible aujourd’hui de demander pourquoi ce que Simone Veil qualifiait d’échec et de drame a pu devenir un droit fondamental sans cesse assimilé à la liberté de la femme.
En France, il est risqué aujourd’hui de demander pourquoi le délai de réflexion qu’elle jugeait absolument nécessaire a été supprimé.
En France, il est particulièrement difficile aujourd’hui de se souvenir de cette phrase de Simone Veil : « mon projet interdit l’incitation à l’avortement par quelque moyen que ce soit, car cette incitation reste inadmissible. » A la place, on vote, précisément, un « délit d’entrave ».
Difficile aussi de demander pourquoi est-ce un drame, tout simplement ? Qu’est-ce que cet acte chirurgical a de particulier.
De s’interroger sur ce « drame » que tout le monde identifie comme tel sans jamais chercher à l’éviter à tout prix.
De poser la question de notre impossibilité à réduire le nombre d’avortements pratiqués alors que nos voisins européens y parviennent.
De se demander si l’avortement concerne réellement le droit des femmes à disposer de leur corps ou du droit des femmes à disposer du corps d’un autre niché en elles.
Et si tel n’est pas le cas et qu’il ne s’agit que d’un amas de cellule, pourquoi a-t-il fallu une loi spécifique, une clause de conscience particulière, un délai de réflexion… qui ne sont évidemment pas requis pour qui se fait arracher une dent, retirer l’appendice ou opérer d’une tumeur. Quelle différence ?
D’interroger l’omerta qui pèse autour des femmes qui ont souffert d’un avortement et dont l’angoisse n’intéresse plus personne.
De demander ce qui différencie un embryon de 12 semaines d’un embryon de 14.
De poser la question de l’égalité lorsqu’un embryon sain peut être avorté jusqu’à 12 semaines de grossesse et l’handicapé jusqu’à 9 mois.
Le sujet est difficile, douloureux, désormais chargé d’histoires personnelles et intimes. Mais il devrait être possible, dans un pays libre, de réussir à se parler sans hurler, invectiver ou censurer. Et de répondre à ces questions, au lieu de les criminaliser.
Alors, de grâce, cessez d’invoquer l’ « esprit Charlie », cessez de feindre l’amour pour la liberté d’expression, et, surtout, ne nous faites plus le coup de « je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire ». Voltaire n’a jamais prononcé cette phrase, et vous n’y avez jamais cru.
Charlotte d’Ornellas pour Le Club de Valeurs actuelles.