Voici un remarquable article de l’essayiste Paul-Marie Coûteaux qui dresse un tableau alarmant du séparatisme religieux en France.
Eric Zemmour, plusieurs fois cité dans ce texte, paru sur Le Club de Valeurs actuelles, ne désavouerait pas son contenu notamment par ses références historiques.
Paul-Marie Coûteaux : face au séparatisme,
de l’importance de nommer l’ennemi
Pour l’essayiste Paul-Marie Coûteaux, la première des batailles à mener contre le séparatisme islamiste est celle des mots, condition indispensable pour prendre le problème à bras-le-corps.
On dirait que, jamais, les Français ne voient le danger — ou, s’ils l’aperçoivent, ils le recouvrent d’un fatras de discours. Ce qui est vrai aujourd’hui de notre cécité devant le péril islamiste le fut de tout temps : en 1337, les prétentions dynastiques d’Edouard III n’ont guère alarmé le Royaume de France, plus riche et quatre fois plus peuplé, jusqu’à ce que, en quelques années, les défaites de l’Ecluse, de Caen puis de Crécy le mettent à genoux, le contraignant à une résistance qui le meurtrit plus de cent ans ; de même la bataille d’Azincourt (1415) était-elle gagnée d’avance : la chevalerie française y alla en sifflotant ; défaite en un tournemain, elle laissa le pays dans l’état de dévastation où Jeanne le trouva ; en 1759, Montcalm, sous-estimant les forces anglaises, partit conter fleurette loin de ses troupes, et perdit sur les plaines de Québec le Canada français ; Napoléon III, ravi de ses réussites et comblé par l’alliance anglaise, ne vit pas venir la menace prussienne et s’effondra d’un coup à Sedan, comme la IIIe République ignora la menace allemande (« Arrière les chars et les canons, j’ai confiance en la paix ! », tonnait encore, en 1937, le président du Conseil, Léon Blum) jusqu’à ce qu’elle ouvre les yeux, trop tard pour éviter la plus grande déroute de notre histoire.
Petites distractions, grandes lâchetés
Habituelle légèreté d’un peuple trop gâté pour s‘alarmer des déséquilibres du monde et s’en protéger à temps ? Orgueil invétéré de qui se croit toujours assez fort pour déjouer toute agression ? Goût immodéré pour les idées, et surtout les généreuses, qui le porte à prendre le parti de tous les peuples de la terre en ignorant superbement le sien ? Toujours est-il que petites distractions et grandes lâchetés se reproduisent sous nos yeux : voici trente ans que l’immigration se fait massive, au point que la population étrangère, ou d’origine étrangère, atteint 15 à 18 millions (20 millions selon Eric Zemmour, l’habituelle cécité française empêchant d’être précis) ; trente ans que la réponse officielle, l’intégration, va de désillusions en désastres au point que c’est la civilisation française qui désormais se désintègre ; trente ans que ladite « immigration » désorganise les services publics, ruine le budget de l’Etat, soustrait à nos lois quartiers et « enclaves » de plus en plus larges (la DGSI en recense 150), et rien n’y fait : l’invasion du territoire n’est qu’un objet de débat. Des écrivains comme Renaud Camus, des historiens comme Eric Zemmour, des démographes comme Michèle Tribalat ont beau sonner le tocsin, ce sont eux les bannis, eux que l’Etat traîne devant ses tribunaux. Des politiques se saisissent de la question, de Philippe de Villiers s’alarmant de l’islamisation de la France à François Fillon dénonçant le « totalitarisme islamique », en passant par la dynastie Le Pen, c’est la perte garantie dans l’élection. « Cool » répond l’opinion courante, hélas très courante : organisons la retraite, garantissons nos retraites et, les yeux grand fermés, marchons vers l’avenir en chantant l’universelle fraternité.
Aperçoit-on ces jours-ci un début de prise de conscience ? Le Chef de l’Etat vient de nommer enfin leur nom, « séparatisme », aux zones dites de « non droit » qui sont en fait des territoires régis par un droit étrangers. Mais il ne nomme pas ce qu’entraîne souvent le séparatisme, la guerre civile, dont les prodromes sourdent pourtant de toutes parts. D’ailleurs, le laxisme dont fit preuve M. Macron en trois ans de mandat sur un sujet qu’il ne peut comprendre dès lors qu’il tient que « la culture française n’existe pas » a tôt fait de noyer sa sortie dans l’habituelle insignifiance — comme le fait que, lors du faux “bain de foule” qui suivit, il fut mis nez-à-nez, sans piper mot, avec une fière combattante exhibant son foulard intégral, pourtant interdit dans l’espace public : chacun comprit que ce double message, l’un par les mots, l’autre par l’image, ne fut qu’un expédient pré-électoral à double détente. Plus intéressant est « le coup de gueule » d’un des piliers de la droite ( si l’on peut dire, vu l’état d’icelle), le Président du premier groupe en nombre du Sénat Bruno Retailleau, qui vient de publier dans le JDD (16 février) une roboratif entretien intitulé sans ambages « Contre l’islamisme, il sera bientôt trop tard ».
Une affaire de mots
Bruno Retailleau (ancien bras droit de Philippe de Villiers puis de François Fillon) estime urgent d’en venir aux mesures concrètes : d’abord contre le djihadisme (expulsion de tout activiste reconnu comme dangereux, déchéance de nationalité). Ensuite contre les “enclaves” : création de “forces d’intervention républicaines” pour rétablir la souveraineté dans les “territoires perdus”, en les plaçant directement, s’il le faut, sous la tutelle des préfets. Enfin, il défie le “politiquement correct” en réclamant un référendum à la faveur duquel il escompte que soient enfin nommés le danger et ses différentes figures : car, dit-il, toute l’affaire tient aux mots.
On connaît la phrase de Camus : « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde. Car le mensonge est justement la grande misère humaine. » Ce fut l’impardonnable faute des intellectuels français que d’avoir menti sur ce dont ils devaient être les gardiens, les mots. Menti par exemple sur les mots « banlieues », ou « jeunes » pourtant simples mais détournés de leur sens, pour ne pas nommer la sécession de populations étrangères, souvent jeunes en effet, vivant sur notre sol. Menti sur les chiffres, ceux de l’immigration et de ses coûts, qu’il serait dans les deux cas criminel de calculer ; menti sur la France, dont ils ne se font plus aucune idée, certaine ou incertaine, quand leur seul horizon est de recouvrir sous un amas de civilisations étrangères une histoire nationale réduite à ses immondices. Menti par dessus tout, sur le mot laïcité devenu, non plus la séparation des Eglises et de l’Etat, mais l’interdiction de tout lien entre eux, ce lien qui fut nourricier pendant deux millénaires, de Clovis à de Gaulle, et qui, privant l’Etat de tout fondement civilisationnel le prive de sa source même, le condamnant finalement à mort. Menti sur la culture, aussi : les religions étant d’abord des civilisations, les mettre sur le même plan pour les chasser du domaine public aboutit à un faux “multiculturalisme” qui est en fait un vrai bannissement de la culture, un a-culturalisme obligatoire. Faut-il rappeler cette chose simple : que, si toutes les civilisations sont égales dans un pays, ce pays n’a plus de civilisation, et n’est plus un pays ? Mensonges sur les mots qui sont de terribles défaites.
En état de guerre
L’urgence est donc de bien nommer les choses : d’abord, quand des centaines de milliers de personnes s’introduisent frauduleusement sur le sol d’une nation et refusent d’en partir, le mot correct en français n’est pas « immigration » mais invasion. Ensuite, les violences ne sont pas éparses, ce sont celles d’une guerre civile larvée qui compte déjà ses morts et peut dégénérer en quelques jours. Quant au « séparatisme » arraché à la parole présidentielle, il nous renvoie bel et bien aux guerres de religions, de même que, le totalitarisme islamique et sa volonté universelle de conquête nous renvoie à cet « état de guerre » qu’a lâché François Hollande un soir d’émotion. La France est en état de de guerre non seulement sur plusieurs théâtres étrangers, la Libye, le Mali et ailleurs en Afrique, mais elle l’est aussi sur son sol. Bref, la question est moins juridique que militaire. Admettons-le avant qu’il ne soit une fois encore trop tard.
Le sénateur Retailleau a raison de dire que la première bataille est celle des mots : mais que faire quand on voit partout des partis du centre, d’autres alliés aux centres, d’autres « ni de droite ni de gauche », dont aucun n’échappe au vocabulaire de la gauche -et que, dès lors, il n’y a plus aucun parti de droite en France? Il existe bien, fait significatif, le Parti Chrétien Démocrate (PCD), mais M. Retailleau n’en est pas, pas plus que les valeureux petits groupes de cette « droite hors les murs » qui n’a plus de sens depuis que la droite n’a plus de murs, dispersion d’îles grecques attendant sans fin son Démosthène. Que faire tant que la droite intellectuelle, certes bouillonnante, ne se sera pas mise au moins d’accord sur un lexique, lequel ne peut plus être celui du temps de paix ? Que faire, sinon craindre, du fond de ses retraites (décidément le mot du jour), que la France n’illustre une fois encore cette succession de « malheurs exemplaires et de succès achevés » par quoi de Gaulle résumait notre Histoire –et que ce soit bientôt ses malheurs, et la France elle-même qui ne soient achevés ?
Paul-Marie Coûteaux pour Le Club de Valeurs actuelles.
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