On n’entend plus les apôtres de la mondialisation !
On n’entend plus les partisans de plus l’Europe !
Ils clamaient pourtant à l’unisson:
« l’Europe est la seule solution !
A plusieurs, nous sommes plus forts ! »
On a bien vu ce qu’il est advenu de l’Union européenne qui s’est résumée, dans chaque pays, à un « Chacun pour soi ! »
Voici quelques extraits d’un excellent article de Stéphane Germain paru dans Causeur :
Le séisme de 2020 tourne la page
de la mondialisation heureuse
Les entreprises occidentales vont chercher à se désengager de la Chine
La mésaventure de la société américaine 3M donne une idée des bouleversements à venir quand le tsunami du SARS-CoV-2 nous laissera le temps d’imaginer le monde d’après. L’ex-Minnesota Mining and Manufacturing Company, devenu 3M en 2002, géant américain aux 32 milliards de dollars de chiffre d’affaires, disposait en Chine d’une précieuse unité de fabrication de masques N95 très performants. Afin de s’en réserver la production, les autorités chinoises ont, sans crier gare, nationalisé l’usine en février – la pandémie faisait alors rage à Wuhan et pas à Washington, où l’on s’en moquait encore.
Blâmer l’égoïsme chinois, sans doute, mais que dire de la naïveté occidentale ?
Quoi qu’il en soit, cette nationalisation constitue le symbole de l’inéluctable défiance qui présidera à la redéfinition de nos relations avec l’empire chinois.
De façon inéluctable, 3M – comme des milliers d’entreprises occidentales – va chercher à se désengager de la Chine. Les conséquences sociales pour l’empire de Xi Jinping pourraient conduire à une déstabilisation du pouvoir du Parti communiste chinois. Patrick Artus [2], comme la CMA-CGM – leader mondial du transport maritime –, voit toutefois la Chine redémarrer fin mars. Pourtant, elle risque dès avril de perdre un à un ses clients ruinés ou ses partenaires trahis, comme 3M, dans les nombreux secteurs stratégiques mis en lumière par le coronavirus (pharmacie, hygiène, électronique, télécoms, batteries électriques…). Qui peut croire qu’Apple demandera encore à Foxconn – la plus grande entreprise du monde en nombre de salariés – de continuer à fabriquer la moitié de ses iPhone à Zhengzhou dans trois ans ? Comment alors réagiront ces futurs chômeurs chinois ? Une récession brutale pourrait donc frapper un empire habitué à une croissance ininterrompue depuis Deng Xiaoping.
Si, malgré tout, le régime survit, la méfiance du reste du monde vis-à-vis du rôle de l’empire du Milieu dans la répartition des chaînes de valeur devrait conduire à une profonde révision de la mondialisation.
Des libéraux comme Pascal Lamy n’y croient pas : « Cet épisode n’est pas forcément un tournant. C’est une étape qui s’ajoute à d’autres qui se sont produites depuis dix ou quinze ans », a-t-il déclaré au Point [3] en oubliant toutefois de citer la défiance américaine qui prévaut depuis l’élection de Donald Trump en 2017. Les décisions que prendra 3M s’inscriront dans le revirement musclé initié par le président américain. Sa nouvelle relation avec Pékin fut parfaitement illustrée par le refus de déléguer le futur réseau 5G à Huawei. Tous ces éléments convergent. Tout en compliquant la réélection de Trump si la crise sanitaire américaine est d’ampleur, l’Europe, à l’image des États-Unis, cherchera à moins dépendre de la Chine. Un cycle de tensions, de désorganisation, propice lui aussi à l’inflation, vient de s’ouvrir.
La page de la mondialisation heureuse, façon Obama,
se tourne sans doute définitivement avec le Covid-19.
Face-à-face entre Macron et les Français
Les Français et leurs dirigeants réalisent en mars 2020 que leurs frontières sont en Grèce (attaquées par Erdogan au demeurant), leurs médicaments en Chine, et leurs masques aussi manquants que les tests de dépistage du virus. C’est un manteau d’hermine en lambeaux que le roi Macron présente à ces sujets – celui que lui a certes transmis Hollande qui le tenait de Sarkozy, Chirac et Mitterrand.
Par pur dogmatisme, notre jeune président progressiste refuse de fermer les frontières du pays puis, devant la vague épidémique qui s’annonce, il s’y résout. Ce que ni l’État islamique, ni Erdogan n’avait réussi à obtenir, le SARS-CoV-2 l’a fait : l’espace Schengen est aboli ; la souveraineté française vient de retrouver une légitimité indiscutable – tout comme celle de nos voisins. C’est un tremblement de terre politique, social et économique qui conduira de gré ou de force à maints autres revirements.
Passée la tragédie sanitaire, cet intérêt général, jusqu’alors terrassé par les préoccupations individualistes ou communautaires, commande de relocaliser un maximum de filières stratégiques, à commencer par celles de l’hygiène et de la santé. En France bien sûr, mais également en Europe, parce qu’il demeure chimérique de rapatrier l’intégralité de ce que nous importons. Cet aggiornamento peut s’imaginer en coopération, pourquoi pas avec les plus fiables de nos voisins africains. Cette « désinisation » de la mondialisation offrirait la possibilité d’un accord donnant-donnant entre une relocalisation au Maghreb de diverses sous-traitances asiatiques et la gestion du défi migratoire à l’aune d’un prestige retrouvé des frontières. Même limitées, ces relocalisations ne pourraient qu’avoir un impact bénéfique sur l’emploi, si ce n’est sur les prix. Depuis 40 ans en effet, la France a perdu la moitié de ses usines – dont celles qui fabriquent nos médicaments. On peut donc parier sur le retour d’une partie d’entre elles au bercail (ou au moins l’espérer).
Et l’écologie, dans tout ça ?
Mais justement, le renchérissement à venir de notre consommation débridée ne constitue-t-il pas l’occasion de mettre un terme à des pratiques que nous savons désormais insoutenables pour notre écosystème ? La malchance incroyable que nous avons « d’observer le monde à l’arrêt » [4] permet de prendre conscience des dégâts que nous lui infligeons. Au mois de février, la Chine a consommé 38 % de charbon en moins, et les plus jeunes Pékinois ont pu admirer un phénomène encore inconnu d’eux : le ciel bleu.
Les pertes abyssales des compagnies aériennes (200 milliards de dollars au 20 mars selon l’IATA) se concluront par des faillites ou des nationalisations. Certes, mais elles risquent plus que tout d’apparaître sans objet dans un monde où les flux touristiques vont devenir suspects. Dégotter un Paris-Bangkok à 600 euros pour y passer cinq jours sera sans doute plus difficile, tout comme l’accès des hordes chinoises au mont Saint-Michel ou à Versailles.
Impossible également de trouver un smartphone à moins de 500 euros, un artefact qu’on conservera ainsi plus longtemps. Finis aussi les jeans à 12 euros et toutes les diverses saloperies que nous importons par containers de Shenzhen, camelotes dont nos déchetteries se goinfrent. Et plus nous relocaliserons, plus ces produits grèveront nos bourses et moins nous consommerons – en ayant quand même redonné du travail à des dizaines de milliers de Français, si tant est que les compétences soient encore là.
Le SARS-CoV-2 porte donc en germe une certaine décroissance parfaitement en ligne avec les aspirations écologiques qui se manifestent partout dans le monde et principalement en Europe de l’Ouest. Personne à Bruxelles n’imaginait qu’une démondialisation soit socialement soutenable, il faut désormais prier pour que les technocrates se soient (une fois de plus) trompés, car un affaissement d’une ampleur inconnue pourrait très bien amputer 5 %, ou 10 %, de notre PIB. Christine Lagarde, dès le 19 mars, a avoué s’attendre à une récession « considérable ». Nous sommes donc encore moins à l’abri que la Chine de violents mouvements sociaux insurrectionnels à côté desquels les gilets jaunes pourraient figurer un aimable échauffement.
Stéphane Germain paru dans Causeur.
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