Cette ultragauche à laquelle on ne s’en prend jamais

Publié par le 12 Juin, 2020 dans Blog | 0 commentaire

Cette ultragauche à laquelle on ne s’en prend  jamais

Parfois je me demande si je n’aurais pas dû appeler ce blog

« Contre le deux poids deux mesures »

plutôt que « A droite, fièrement ! ».

Car je constate que je reviens régulièrement sur le sujet, hélas de façon totalement stérile, puisque les avancées du progressisme ne font qu’aggraver le prisme gauchiste qui déforme toutes les institutions de notre société.

Alors que l’Education nationale (par ses syndicats), la Justice (depuis la harangue de Baudot et le Mur ces Cons, la presse et les syndicats sont plutôt marqués à gauche, quelqu’un est-il en mesure de citer une institution de la République, à ce point noyautée … par la droite ?

Par exemple, les gouvernements de gauche n’hésitent jamais à dissoudre des groupuscules d’extrême droite alors que je ne me souviens d’aucune officine de gauche qui aurait subi le même sort !

Tout ceci pour introduire un entretien avec Éric Delbecque, expert en sécurité intérieure et auteur du livre Les Ingouvernables, aux Éditions Grasset. Il apporte, dans cet article  publié par Boulevard Voltaire, sa compétence sur la mouvance d’extrême gauche et son implication dans les contestations actuelles liées au mouvement « Black Lives Matter » :

« L’ultragauche s’est fait une spécialité du “noyautage”
de toutes les manifestations et contestations »

Les médias se font souvent l’écho, depuis plusieurs années, de la « violence des groupes d’extrême gauche ». Qui sont-ils réellement ? Des milices, des activistes ?

Eric Delbecque

Ils sont d’une grande variété : des aux antispécistes virulents en passant par les anarchistes autonomes et les antifas, il existe de multiples chapelles dans l’ultragauche. Ce sont des activistes, véritables radicalisés idéologiques, qui ne souffrent pas le moindre désaccord avec leurs thèmes et slogans obsessionnels. Ils participent de ce refus contemporain de la nuance, de la mesure, qui tend à gangrener le champ politique et intellectuel depuis plusieurs années. Je crois, par ailleurs, important de parler d’ultragauche pour les caractériser. L’extrême gauche, comme l’expliquait fort bien le regretté Henri Weber, se définit comme une culture révolutionnaire d’essence marxiste (refusant la social-démocratie, de la SFIO de Léon Blum au PS de François Hollande) qui se ramifie en trois branches : les partis trotskistes (LCR – puis NPA – et Lutte ouvrière), la gauche radicale (incarnée, de nos jours, par le Front de gauche puis La France insoumise) et le syndicalisme révolutionnaire (l’anarcho-syndicalisme). Zadistes, , antispécistes et autres courants apparentés, définissent une galaxie d’anarcho-primitivistes qui rejettent globalement la modernité philosophique. Ils instrumentalisent l’héritage marxiste, la tradition anarcho-syndicaliste, la pensée du socialisme français dit utopique du XIXe siècle, mais ils représentent autre chose, en totale rupture avec cet univers de sens. Ce que l’extrême gauche refuse de voir par opportunisme politicien et sociétal.

Le mouvement « Black Lives Matter », aux États-Unis, semble gangrené par des militants antifas. Cette convergence des luttes est-elle surprenante ?

Les membres de l’ultragauche se sont fait une spécialité du « noyautage » de toutes les manifestations et contestations. De surcroît, ils rêvent de façon fantasmatique de « convergence des luttes ». Cette « intersectionnalité » est très largement artificielle. Cependant, ils s’appuient sur cette idée fixe pour tenter de peser. Car si l’on y regarde de près, ils représentent quelque chose de très minoritaire en France et en Europe. Ils se révèlent, en revanche, extrêmement tenaces, assez bien structurés et experts en communication d’influence et en « guerre de l’information ».

 On voit, çà et là, des statues détruites par des émeutiers. Churchill, Louis XVI… Ce week-end, à Paris, les manifestants voulaient s’en prendre à celle de (je cite) « ce gros fils de pute de Colbert ». Méconnaissance ? Révisionnisme ? Que révèle cette frénésie du déboulonnage ?

Je ne suis pas certain que cela révèle une perspective conceptuelle très construite dans l’esprit des plus violents. J’y vois davantage une passion de la brutalité de rue, du mépris de l’arène démocratique où l’on discute calmement et où les désaccords forment des débats, pas des règlements de comptes. En tout état de cause, condamner les actes violents sans faiblesse, d’où qu’ils viennent, exige en contrepartie d’en construire la généalogie. Si une partie, minoritaire, de la jeunesse se tourne vers de tels types d’action, participe à des Black Blocs ou va s’installer à Notre-Dame-des-Landes, Sivens ou Bure, il est essentiel de savoir pourquoi. Il s’agit aussi d’explorer les carences de notre société à l’origine d’une telle sécession, parfois en recourant aux méthodes les plus contestables.

Ce phénomène semble mondial. Néanmoins, on le voit surtout présent en Europe occidentale et aux États-Unis. Quelle en est la source ?

Ce serait trop long d’engager une analyse historique de fond. Disons simplement que certains finissent par penser que la désobéissance civique est une pratique « banalisable ». Les plus grands théoriciens des sciences politiques, John Rawls en tête, concevaient la désobéissance civile comme une arme d’ultime recours dans les cas extrêmement graves de manquement aux valeurs des sociétés libérales démocratiques. Aujourd’hui, on estime normal d’exprimer son mécontentement quotidien en rompant les règles élémentaires de la courtoisie, de la civilité, ou en marchant carrément sur le Code pénal.

Dans votre livre Les Ingouvernables, vous en dressez un portrait-robot : « »Leur objectif, la ZAD. Leur technique, le Black Bloc. Leur philosophie, l’antispécisme. » Quel est le lien entre la philosophie antispéciste et l’idéologie d’extrême gauche ?

C’est une partie de l’ultragauche, et elle exprime une thématique centrale : le refus de l’humanisme libéral. Ce qui s’impose, c’est d’admettre définitivement qu’une cinétique de violence parcourt de petits groupes à l’intérieur de l’univers contestataire, qu’il faut savoir l’identifier clairement et qu’il importe grandement d’en connaître les motivations psychologiques, doctrinales et culturelles, ainsi que la cartographie des acteurs physiques et des réseaux opérationnels. En l’absence d’une telle prise de conscience, on laisserait le champ libre au renforcement progressif d’une culture politique de la violence (doctrinale et verbale, puis physique) dont les différents radicalismes (l’islamisme, l’« ultra-gauche » et l’« ultra-droite ») constituent le symptôme.

Ils sont pour l’ouverture des frontières, la libre circulation des individus et la fin des nations. En réalité, ne sont-ils pas les idiots utiles de ce capitalisme qu’ils dénoncent ?

Tout dépend comment on l’entend. En tout état de cause, ils ne sont pas cohérents idéologiquement. Ils prétendent que l’anticapitalisme est l’alpha et l’oméga de leur « combat » et, pourtant, ils mettent à mal la matrice nationale qui est le seul espace politique et territorial possible pour une résistance organisée et efficace aux excès du capitalisme financier le plus sauvage. Ils tentent, au final, de prospérer sur le haut degré d’exaspération des Français, le rejet absolu des élites, de démontrer par la même occasion que de plus en plus de citoyens apprivoisent la violence, l’envisagent progressivement comme une ressource de moins en moins condamnable. Je crois que les minorités activistes kidnappent abusivement l’espace public et agissent comme un poison lent pour la démocratie. De ce point de vue, je pense en effet qu’ils aggravent les déséquilibres issus d’une certaine forme de capitalisme nocif et n’apportent aucune perspective d’évolution utile du système économique mondial.

Entretien réalisé par Marc Eynaud pour Boulevard Voltaire.

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