Une Justice incapable de se remettre en cause

Publié par le 2 Juil, 2020 dans Blog | 0 commentaire

Une Justice incapable de se remettre en cause

Le corporatisme est un mal qui ronge la France.

Il sévit régulièrement dans le domaine syndical notamment dans la fonction publique (SNCF, gaziers, électriciens …)

Il est un autre domaine où le corporatisme est la règle, c’est la Justice. La quasi absence de sanctions dans  les dysfonctionnements des magistrats en est la preuve.

On se rappelle la faible peine infligée à François Martres, la présidente du Syndicat de la magistrature dans la scandaleuse affaire du mur des cons !

Tout récemment, la sentence de la Justice dans l’affaire Fillon est venue renforcer ce soupçon de corporatisme, notamment sur deux points :

  1. Après la confession d’Eliane Houlette sur les énormes pressions qu’elle avait subies du Parquet, et donc les doutes avérés sur l’indépendance du Parquet Général Financier (PNF), on aurait pu attendre du tribunal correctionnel qu’il suspende son jugement. Il n’en a rien été !
  2. Les peines prononcées par ce tribunal sont, à l’euro près, et au jour de prison près, l’exacte copie de la réquisition du PNF ! Ce qui n’est pas la règle générale !

J’ai déjà consacré plusieurs articles à cette affaire scandaleuse, mais je souhaite relayer aujourd’hui l’article d’un ancien juge d’instruction, Hervé Lehman, paru dans Le Figaro. L’ancien magistrat apporte le regard d’un professionnel de la Justice qui renforce la suspicion de partialité qui pèse sur l’affaire Fillon.

Procès Fillon : « Le tribunal a marqué sa solidarité avec le PNF »

Le Figaro : La condamnation de François et Penelope Fillon vous paraît-elle sévère au regard des faits reprochés et des éléments établis par l’instruction ?

Hervé Lahman

Hervé Lehman : Le jugement rendu par le tribunal correctionnel de Paris est sévère. Prononcer une peine de deux ans d’emprisonnement ferme à l’égard d’un homme qui n’a jamais été condamné, et auquel il n’est pas reproché des actes de corruption, de fraude fiscale organisée, d’avoirs à l’étranger ou de trucage de marchés publics, n’est pas banal.

Si le travail de Penelope Fillon n’a pas été réel, comme le tribunal l’estime, il s’agissait d’une pratique qui était très répandue chez les parlementaires, pour ne pas dire tolérée, pendant des décennies. Cela n’est plus admis aujourd’hui, mais il est anachronique de juger ce comportement ancien avec la vision d’aujourd’hui : c’est tout le problème de l’imprescriptibilité. Comment juger aujourd’hui, avec les critères actuels, un comportement d’une époque révolue ?

Le Figaro : Les récentes révélations au sujet du parquet national financier ont-elles quelque chose à voir avec la sévérité du jugement ?

Hervé Lehman : Ce qui est le plus frappant dans le jugement est que le tribunal a suivi  très précisément les réquisitions du parquet national financier. Pas un jour de prison, pas un euro d’amende de plus ou de moins que ce qu’avait demandé le ministère public. Cela n’est pas complètement exceptionnel mais ce n’est pas le plus courant : les tribunaux s’attachent en général à se démarquer du parquet en choisissant eux-mêmes la sanction qu’ils prononcent. Comme ce n’est ni de la paresse, ni le fruit du hasard, il faut chercher la signification :

le tribunal a voulu marquer sa solidarité avec le parquet national financier

à un moment où celui-ci est déstabilisé par  les révélations d’Éliane Houlette et par la découverte de l’enquête sur les fadettes des avocats.

Il est aussi remarquable que le tribunal ait rejeté la demande des avocats de la défense de rouvrir les débats pour tirer les conséquences de l’absence au dossier de la procédure, en violation de la loi, des instructions écrites de la procureur général en vue d’ouvrir en urgence une information. Il était pourtant permis de penser que l’absence dans le dossier d’une pièce cachée à la défense méritait un débat contradictoire. Ce sera pour la Cour d’appel.

Le Figaro : A-t-on voulu faire de François et Penelope Fillon, qui ont fait appel, un exemple ? Cette affaire est-elle emblématique d’exigences de plus en plus strictes des Français à l’égard des responsables politiques ?

Hervé Lehman : Les jugements rendus par la 32ème chambre correctionnelle de Paris, créée pour juger les affaires venant du Parquet national financier, sont sévères : quatre ans de prison pour Jérôme Cahuzac, cinq ans pour Patrick Balkany, trois ans pour Nicolas Bazire, l’ancien directeur de cabinet d’Édouard Balladur à Matignon. Le message à l’égard des politiques est clair : il n’y aura aucune complaisance à leur égard. L’objectif est de « moraliser » la vie politique.

Mais pour que cela fonctionne, il faut que la justice soit elle-même exemplaire.

Et on ne peut pas dire que cela soit le cas dans l’affaire Fillon :

– un parquet national financier qui s’empresse de se saisir d’une affaire toute simple alors qu’il n’est légalement compétent que pour les affaires d’une « grande complexité »,
– une chaîne de magistrats proches du pouvoir en place,
– des pressions incessantes,
– l’abandon opportuniste de la tradition républicaine de trêve électorale,
– les violations quotidiennes du secret de l’enquête au profit de quelques journalistes hostiles à François Fillon,
– l’ouverture précipitée d’une information judiciaire pour permettre la mise en examen du candidat favori de l’opposition juste avant le scrutin,
– le choix précis d’un juge d’instruction en vue du résultat recherché …

Cela fait beaucoup pour une justice exemplaire. Et si sévère.

Le Figaro : La justice française tendrait-elle à réprimer de plus en plus durement les atteintes aux biens et ferait-elle preuve au contraire d’une clémence grandissante envers les atteintes aux personnes ?

Hervé Lehman : Il est vrai que quand on prononce une peine de prison ferme à l’égard de François Fillon alors que la garde des Sceaux vient de faire libérer 13 000 condamnés et tandis que le ministre de l’Intérieur explique qu’il est prêt à s’agenouiller devant un délinquant décédé lors de son interpellation par la police, on ne comprend plus bien ce qu’il se passe.

La principale difficulté tient au fait que l’action de la justice pénale n’est plus lisible, parce que les peines prononcées n’ont plus rien à voir avec les peines exécutées, quand elles le sont. Jérôme Cahuzac n’a pas mis le pied dans une prison, les peines de moins d’un an de prison ferme ne sont pas exécutées, de nombreuses peines de travaux d’intérêt général ne le sont pas non plus. Une justice pénale efficace suppose un jugement peu de temps après les faits, et une sanction effectivement appliquée. Que comprend le dealer qui, après une remise à parents quand il était mineur, deux peines avec sursis et un travail d’intérêt général non exécuté, est condamné à un an d’emprisonnement ferme … qu’il ne fait pas ?

Propos recueillis par Paul Sugy pour Le Figaro.

Qui est Hervé Lehman ?

Ancien juge d’instruction, Hervé Lehman est aujourd’hui avocat et essayiste. Il  a en particulier publié « Le Procès Fillon » (Ed. du Cerf, 2018) et « L’Air de la calomnie – Une histoire de la diffamation, d’Oscar Wilde à Denis Baupin » (Éd. du Cerf, 2020).

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