« Juriste, scénariste, actrice et écrivain avant d’être femme, noire ou juive, Rachel Khan refuse toute assignation à résidence identitaire et victimaire.
Dans son nouvel essai, Racée (L’Observatoire), elle se moque des nouvelles idéologies « décoloniales » et « intersectionnelles » qui, sous prétexte d’antiracisme, ne font, selon elle, qu’alimenter les ressentiments. »
Je relaye ce matin l’interview de Rachel Kahn dont vous venez de lire l’introduction publiée dans le FigaroVox.
Cette jeune femme est courageuse car aller à contre-courant des vagues George Floyd et Adama Traoré, par les temps qui courent fait prendre beaucoup de risques !
D’ailleurs l’association culturelle qui est présidée par Rachel Kahn s’est désolidarisée de la position de sa présidence (voir cet article dans Valeurs actuelles).
Ça n’en rend que plus indispensable la lecture de cette interview. En voici quelques extraits :
LE FIGARO. – Vous vous définissez comme « racée ». Qu’entendez-vous par ce terme ?
Rachel KHAN. – Je suis issue d’un mélange entre une mère juive polonaise et un père sénégalais et gambien d’origine musulmane mais animiste au départ, avant l’islamisation de l’Afrique de l’Ouest. Racée, ce terme délicatement ancien du dictionnaire, est aussi évidemment une réponse espiègle au mot « racisé » dont l’élégance s’est perdue en chemin. C’est donc un contrepied et un contrepoint de vue face à la situation actuelle des victimaires et des identitaires. Racée est à la fois un trait d’humour, qui souligne le fait d’avoir plusieurs « races » en soi, et un jeu de mot par rapport à « racisé ».
Je suis décontenancée par l’usage de ce terme « racisé » que j’entends très souvent depuis 2-3 ans. C’est insupportable, cet essentialisme qui enferme les individus dans une identité-discrimination au nom de la lutte pour l’égalité.
C’est complètement contre-productif et délétère de porter la haine qui appartient à l’autre en soi.
Quand on fait de son mieux chaque jour pour s’en sortir, ce mot est d’une violence rare, il heurte parce qu’il enferme au lieu de libérer, il ne propose aucune issue. Cette notion est irrecevable au regard des droits fondamentaux parce qu’elle assigne les individus à un statut inférieur, en revendiquant du fait de sa couleur de peau un droit à la victimisation.
Vous ne vous considérez pas comme « racisée » mais est-ce que pour autant, vous défendez le principe d’assimilation ?
Mes parents sont passés par cette assimilation culturelle. C’est un héritage qui m’a été transmis. Mon père est arrivé en France à la fin des années 60. Ce n’était pas son pays d’origine pourtant il m’a offert cet amour du patrimoine français. Je suis née en Touraine, dans la région de Descartes, Rabelais, Balzac. C’est ce qui m’a donné des clefs très précieuses dans ma vie. Je m’en rends compte aujourd’hui à quel point ce fut important et à quel point cette transmission de la France par mon père était un acte d’amour.
L’assimilation permet de se transcender. Je ne comprends toujours pas pourquoi il y a une crispation autour de la notion « d’assimilation ».
Au-delà même de la question de l’intégration le terme « assimiler » signifie acquérir. L’assimilation culturelle ne vise pas à déposséder l’autre de ses racines, mais au contraire à lui permettre d’acquérir un supplément dont il pourra se nourrir. Mais de toute façon, rien ne convient jamais aux contestataires ! Ils sont donc définitivement bien français ! (rires)
Vous rappelez vos origines, juives, africaines et vous êtes héritière d’un passé douloureux. Pour autant, vous refusez de vous définir comme une « victime » …
N’en déplaise à certains, je me sens l’inverse d’une victime. Je considère avoir énormément de chances mais ce genre de position ne crée pas le buzz. J’aurais sans doute fait une carrière plus médiatique si j’avais choisi d’être « entrepreneuse de la victimisation ». En tant que femme, juive, petite fille de déporté, noire et autres… je coche beaucoup de cases pour pouvoir m’indigner sur ma/mes conditions. Mais au fond, c’est une question de désir et d’estime de soi. Si je désirais être une victime, j’en serais une dans ma vie quotidienne.
Manu Dibango était mon parrain, il a joué avec les plus grands, Nina Simone, Gainsbourg … il a vécu des déchirures et des obstacles tout au long de sa vie, ce qui ne l’a pas empêché de devenir un artiste international qui a su transcender ses souffrances. C’était un amoureux de la France qui revendiquait le patrimoine français, la gastronomie française. Et il aimait rire. Lorsqu’il se retrouvait face à une personne qui lui faisait une réflexion raciste, il préférait s’en moquer puis son génie et ses harmonies mettaient tout le monde d’accord. Il faut avoir conscience qu’aujourd’hui les personnes qui crient le plus à l’injustice sur les plateaux de télévision sont rarement celles qui souffrent le plus. Les vraies victimes n’ont hélas pas la force de parler. Encore moins devant les projecteurs. […]
Cette assignation à résidence identitaire et victimaire complique-t-elle le processus d’intégration ?
Nous avons des enfants, les générations futures dont il faut s’occuper. On ne va tout de même pas leur transmettre l’idée que dans la vie il faut absolument être une victime. Imaginez un enfant de 4 ans: « Bonjour je m’appelle Charlie, j’ai 4 ans, je suis racisé ». L’éducation démarrerait mal et les perspectives de cet enfant se retrouveraient très réduites.
Mais c’est aussi l’objectif de ces idéologies: ne pas permettre l’égalité dès la naissance pour ensuite s’en plaindre.
Je suis stupéfaite aussi que des personnes, alors que nous sommes en démocratie, s’octroient le droit de parler au nom des gens qui ont à peu près la même couleur de peau qu’elles. Dans notre système démocratique, je n’ai jamais voté pour que Rokhaya Diallo me représente. Pourtant, lorsqu’on me rencontre, les gens qui ne me connaissent pas pensent que je partage automatiquement sa vision des choses parce que pour eux j’ai la même couleur de peau. Je suis allée sur un plateau télé récemment pour discuter de l’islamogauchisme à l’université et un intervenant me dit gentiment « je crois que nous sommes dans le même camp ». Non, je ne crois pas, non… mais, à cet instant j’ai compris que je devais avoir des cheveux « islamogauchistes »! […]
Que vous inspirent l’affaire Adama Traoré et la figure d’Assa Traoré ?
Elle est convaincue de mener une bataille, un combat profond. Mais pour mener ce type de combat sérieusement, il est préférable de ne pas porter… de perruque! (rires) J’ai l’impression qu’il y a toute une stratégie de communication derrière elle. Elle fait des publicités pour des T-shirts, il y a là une forme d’opportunisme dérangeant. Elle bafoue la présomption d’innocence qui est un principe fondamental. Puis, il y a quand même l’affaire du viol en prison d’un codétenu par son frère … Ils ne sont pas seulement des « victimes ». Ils surfent sur le mouvement « Black Lives Matter », mais nous ne sommes pas aux États-Unis ! D’ailleurs, si Assa Traoré allait au Mali, je doute qu’elle pourrait se livrer à ce type de comportement. Elle ne serait pas aussi libre qu’en France en tant que « femme ». Enfin, ces mouvements ne font qu’aggraver les déchirures profondes de notre pays et lorsque je pointe mon attachement à certaines choses qui font l’universalisme, la République, l’État de droit et notre démocratie, tout de suite, je suis traité, comme d’autres, de « nègre de maison », de « bounty », etc. C’est intolérable et d’une violence inouïe lorsque l’on pense que ces principes font notre liberté. […]
Existe-t-il un risque de basculer dans une société multiculturelle à l’américaine en rupture totale avec l’universalisme républicain ?
Malheureusement, ce risque existe mais je ne veux pas y croire. Ce serait vraiment perdre notre patrimoine, notre élégance, autant qu’une puissance singulière dans notre manière de résister pour l’égalité et la justice. Nous sommes tissés, métissés, pluriels mais pas assignés à des cases. Je pense que la question fondamentale pour enrayer ce type de phénomène est l’éducation et évidemment à travers les parents. L’école et les institutions ne peuvent pas tout faire, d’autant que parfois, elles vrillent et se plient par faiblesse à cette idéologie.
Propos recueillis par Alexandre Devecchio et Victor Rouart pour le FigaroVox.
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Une réponse à “« Le discours victimaire m’est insupportable ! »”
merci a cette personne qui a acquis et assimilée notre patrimoine culturel et bien plus !