On peut penser ce qu’on veut de Patrick Buisson!
On peut condamner avec la plus grande fermeté le fait qu’il ait enregistré clandestinement tout ce qui se disait durant les réunions tenues à l’Elysée quand il était conseiller politique de Nicolas Sarkozy.
Mais cela n’enlève rien à sa parfaite connaissance et compréhension de la politique française et en particulier de l’histoire de la droite française.
C’est la raison pour laquelle je vous propose ce matin l’interview qu’il a donnée à Valeurs actuelles, dans laquelle il explique la situation actuelle de la droite en retraçant son histoire depuis le gaullisme. Il pointe l’énorme responsabilité de Jacques Chirac et surtout d’Alain Juppé dans la chute de la droite, dont le début est marqué par la création de l’UMP.
Sans trop d’illusions, il donne aussi quelques raisons d’espérer, mais précise les conditions d’un éventuel redressement de la droite dans ce paysage politique bouleversé par l’irruption d’Emmanuel Macron.
Personnellement, j’adhère en grande partie à cette analyse qui, de plus, s’écrit dans un français de haute qualité.
L’interview étant relativement longue, je l’ai scindée en deux parties :
- Les raisons de l’effondrement de la droite
- Les pistes et les conditions du renouveau
Première partie : Les raisons de l’effondrement de la droite
Le premier péril qui guette la droite, sa centrisation
Alors que Les Républicains cherchent à se refonder, Patrick Buisson met en garde leurs dirigeants contre les risques d’un rassemblement qui se ferait au détriment de la cohérence idéologique … Ce serait « remettre à flot le radeau de la Méduse avec l’ancien équipage du Titanic« , prévient le politologue.
Valeurs actuelles : Pourquoi la droite et le Front national se montrent-ils aujourd’hui incapables de faire émerger une véritable opposition ?
Patrick Buisson : Parce que l’un et l’autre se dérobent au bon diagnostic. L’élection de 2017 aura mis à bas leurs vueux schémas. La droite et le FN ont fait la démonstration, chacun à leur tour, de leur incapacité à reconquérir ou à conquérir le pouvoir sur la base de leurs seules forces. Faute d’avoir su opérer la nécessaire clarification idéologique, la droite ne peut plus se prévaloir du bénéfice automatique de l’alternance. Elle a perdu l’élection imperdable et à moins qu’elle ne sache se réinventer, on ne voit pas pourquoi elle ne perdrait pas les élections qui viennent. Le FN, de son côté, faute d’avoir su construire une offre politique crédible, est resté ce qu’il a toujours été : le meilleur allié du système, son assurance-vie. Englués dans des logiques d’appareils, Les Républicains comme le FN sont aujourd’hui dans une triple impasse : idéologique, stratégique, sociologique. Mais, pour rien au monde, ils ne voudront l’admettre. Je crains que cela ne débouche sur des désillusions encore plus cruelles.
Valeurs actuelles : Les Républicains ont entamé un véritable chantier de refondation. Par quoi doivent-ils commencer ?
Patrick Buisson : Par tordre le cou aux incantations rituelles autour du « rassemblement« , mot-valise qui la leste comme un impedimentum*. Le rassemblement appartient à l’ordre des moyens, ce n’est pas une fin en soi. Or, voici des lustres que, pour la droite, le rassemblement n’a pas pour objet de défendre des idées ou de promouvoir un projet, mais de servir ce désir du pouvoir pour le pouvoir que manifestent tous ceux – et ils sont, aujourd’hui, légion – qu’habite l’idée d’un destin personnel …
Valeurs actuelles : C’est la création de l’UMP et son principe que vous remettez en cause ?
Patrick Buisson : C’est là l’erreur originelle, la faute inaugurale que continuent de payer Les Républicains. À vouloir marier les contraires sous couvert de rassemblement, l’UMP n’a jamais produit autre chose que des ambiguïtés et de l’incohérence.
La droite plurielle d’Alain Juppé c’est, quinze ans après, la droite plus rien!
Il est logique qu’il veuille maintenant la faire définitivement s’évaporer dans le trou noir d’« un grand mouvement central ».
Valeurs actuelles : Comment en est-on arrivé là ?
Patrick Buisson : Le niveau du personnel politique s’est effondré. Il n’a plus ni vision historique ni substrat philosophique. Le paradigme, c’est Chirac : tant d’énergie, de ruse, de persévérance déployées pour conquérir le pouvoir, sans savoir quoi en faire sinon vouloir s’y accrocher. Tant d’acharnement pour finalement vider la fonction présidentielle de sa substance en abdiquant des pans entiers de sa dimension effective et symbolique. Le chiraquisme fut la plus totale et la plus spectaculaire apostasie** du gaullisme. Et d’abord sur le plan de l’histoire, avec le discours du Vel’d’hiv, en 1995, qui, en cherchant à attacher la culpabilité à l’essence même de la France, a par là même abjuré le propos fondateur du chef de la Résistance. Chirac est l’homme qui a fait de la repentance un préalable à l’exercice du pouvoir, comme si l’investiture officielle du président de la République devait désormais s’accompagner d’une cérémonie expiatoire. En congédiant l’héritage de la pensée gaullienne sur la question fondamentale du rapport à la nation et à son histoire comme sur celle de la souveraineté, il a achevé la fusion de ce qu’est devenue l’UMP : un grand magma, une maison sans fondations dont les fenêtres sont aveugles.
Valeurs actuelles : Vous dites que le gaullisme a été liquidé alors que, aujourd’hui, tout le monde s’en réclame …
Patrick Buisson : Ce qui subsiste du gaullisme, c’est une forme vide, une éponge à nostalgies sans que personne ne sache plus à quoi il renvoie. La confusion croissante des esprits et l’ignorance abyssale de l’histoire autorisent toutes les équivoques. Ainsi, le premier péril qui guette Les Républicains, ce n’est pas la droitisation mais la « centrisation« . C’est le centrisme qui constitue l’ennemi historique du gaullisme. Que ce soit avec la « troisième force » et le MRP, sous la V ème République, ou à travers la candidature de Lecanuet, en 1965, qui, en mettant de Gaulle en ballottage, finira par le faire échouer.
En s’alliant avec le centre, la droite s’interdit d’être historiquement et doctrinalement fidèle au gaullisme.
À l’inverse, les premiers à rejoindre de Gaulle à Londres, en 1940, furent les tenants d’une droite qu’on qualifierait volontiers aujourd’hui d’extrême. Les quatre premiers émissaires que de Gaulle envoie dans la France occupée pour organiser la Résistance, ce sont deux anciens cagoulards, Duclos et Fourcaud, et deux royalistes, le colonel Rémy et Honoré d’Estienne d’Orves.
Valeurs actuelles : Le départ des Constructifs ne va-t-il pas dans le sens de la clarification que vous appelez de vos voeux ?
Patrick Buisson : Si la refondation se fait au nom du rassemblement de toutes les sensibilités et donc au prix de la cohérence idéologique, il n’y a rien à en attendre.
Remettre à flot le radeau de la Méduse avec l’ancien équipage du Titanic ne saurait garantir une arrivée à bon port en 2022.
Fin de la première partie de l’interview.
Propos recueillis par Anne-Laure Debaecker, Laurent Dandrieu, Geoffroy Lejeune, Olivi~r Maulin et Raphaël Stainville.
* Impedimentum : Objet, circonstance qui empêche, qui retarde, qui faitobstacle. On use même, dans ce sens, du pluriel latin IMPEDIMENTA. Les impedimenta d’un longvoyage.
Il se dit spécialement, en termes militaires, de Tout ce qui embarrasse la marche d’un corps d’armée,voitures de subsistances, ambulances, etc.
** Apostasie : Abandon public et volontaire d’une religion, surtout de la foi chrétienne ou par extension abandon d’un parti, d’une doctrine.
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