J’ai peu relayé, dans ces colonnes, tous les événements que nous avons vécus depuis le déclenchement de l’affaire Harvey Weinstein, et tous les excès qui s’en sont suivis.
Il n’est pas toujours facile pour les hommes de parler de ce sujet, tant nous avons été mis en accusation, parfois globalement, tous dans le même sac.
Mais, j’ai trouvé, dans le dernier numéro de Valeurs actuelles, un excellent article de Jean-Paul brighelli, l’auteur de la Fabrique du crétin qui traite avec justesse du sujet.
Revendiqué par certaines jusqu’auboutistes féministes, le terme « matrimoine » renvoie à une absurde assignation à résidence par le sexe, déplore l’enseignant et essayiste Jean-Paul Brighelli.
En 1978, Nicole-Lise Bernheim et Mireille Cardot publiaient Mersonne ne m’aime, « un grand roman de féminisme-fiction », selon les mots de l’éditeur. Elles y remplaçaient systématiquement la syllabe « pèr(e) » par « mèr(e) »: l’intention était ironique, le livre très drôle. « Personne » y était donc orthographié « mersonne », « dare-dare » y devenait « dard-dard » (selon un principe hérité de San-Antonio), immédiatement remplacé par « clito-clito ». Un joli roman entre sarcasmes et allusions décalées – ainsi était-il question d’un certain philosophe Foulcan, de Marcelle Halibi et d’une célébrissime Brigitte de Savoir.
Les féministes d’aujourd’hui ont oublié ces temps héroïques, où des femmes pensaient plus important d’investir le champ littéraire avec talent que de revendiquer avec un sérieux pitoyable des changements lexicaux ou grammaticaux incohérents. Nous avons eu droit successivement à l’écriture inclusive (« les enseignant.e.s référent.e.s sont prié.e.s d’informer les élèves concerné.e.s »), aux propositions d’accord par proximité en genre et en nombre, à la féminisation aléatoire de mots qui ne demandaient rien à personne. Une femme de lettres se sent-elle mieux quand on la qualifie d' »autrice », ou d' »auteure »? L’insurrection contre la « suprématie » du masculin souligne sans doute un manque d’information de ces dames sur la différence entre le masculin et le mâle; je leur signale qu’Olympe de Gouges a perdu la tête, au sens littéral, pour n’avoir pas fait de latin et ignoré que homo, qui donne l »‘homme » de la Déclaration des droits en 1789, est fondamentalement différent du vir qui a généré « viril ».
Voici que nous arrive aujourd’hui le « matrimoine », qui prétend effacer douze siècles de « patrimoine » français – depuis les serments de Strasbourg en 842. Peut-être faudrait-il signaler à ces jusqu’au-boutistes du féminisme que le mot a été inventé par un homme, en l’occurrence Hervé Bazin, comme titre d’un roman paru en 1967.
Dans l’héritage que nous recevons de nos parents, qui fera la part du « patrimoine » et du « matrimoine » ? Je signale à ces amazones que la langue que nous apprenons est depuis toujours qualifiée de « maternelle » et qu’aucun homme à ce jour ne s’en est indigné, même s’il n’est jamais évident de savoir qui nous a appris à dire « maman », « papa » ou « doudou ». Pire: vouloir à toute force désigner la part des femmes, c’est les confiner à telle ou telle occupation plus ou moins domestique. Mon « matrimoine » tiendrait-il à mon habileté à passer l’aspirateur ou à coudre un bouton ? Et mon « patrimoine » s’étend-il à mes compétences (limitées, à vrai dire) de garagiste ou de joueur de foot ?
Les harpies de la féminisation à tout prix se rendent-elles bien compte qu’en prétendant séparer ainsi notre héritage, elles renvoient bien des femmes à la cuisine ou à la buanderie, au moment même où elles investissent en foule le droit, la médecine et le professorat ?
Soyons sérieux. Il y a des croisades plus nécessaires. Obtenir qu’à travail égal, les femmes gagnent autant que les hommes. Encourager les filles à oser les formations supérieures, particulièrement dans le domaine scientifique. Leur expliquer que le talent ne naît pas dans le bas-ventre, mais dans le cerveau.
On voit çà et là se monter des festivals de « films de femmes ». A Beautiful Day, récemment sorti et célébré à Cannes pour la performance de Joaquin Phoenix, est-il un « film de femme » (c’est Lynne Ramsay qui l’a réalisé), alors même qu’il est violemment testostéroné ? J’ai commis jadis un roman érotique signé d’un pseudonyme féminin, Dolorosa Soror, et j’ai reçu un abondant courrier expliquant à l’auteur (pardon: l’auteure !) supposé.e combien enfin le continent noir de la sexualité des femmes y était décrit avec une sensibilité toute féminine : vaste blague !
Le talent n’a pas de sexe – ou plutôt, il les a tous.
Mais nous voici dans une sale période où une Blanche (Harriet Beecher Stowe) ne pourrait plus écrire la Case de l’oncle Tom faute d’avoir la couleur appropriée, où un hétérosexuel (Jean Poiret) ne saurait plus inventer la Cage aux folles faute d’en être une lui-même, et où un homme (Flaubert) n’aurait pas le droit de concevoir Madame Bovary.
Que signifie cette assignation à résidence, qui suppose que
le génie serait borné par la fatalité d’un chrosome X ou Y ?
À noter qu’il y a des traîtresses justement dénoncées par leurs « soeurs » de genre. Gillian Flynn n’a-t-elle pas été accusée de trahison envers son sexe pour avoir écrit Gone Girl et l’avoir scénarisé pour David Fincher ? Était-il possible, dirent les viragos de service, qu’une femme (aliénée, sans doute, par des siècles de domination masculine) inventât une héroïne aussi méchante, manipulatrice et criminelle, des qualificatifs que ces dames voudraient ne mettre qu’au masculin ? Et comment se fait-il que les plus grands textes féministes aient été écrits par des hommes – voir la Colonie de Marivaux (« Vous n’êtes qu’une femme, dites-vous ? Hé, que voulez-vous donc être pour être mieux ? »), voir la lettre 81 des Liaisons dangereuses de Laclos et la terrible rhétorique de la marquise de Merteuil ? Serait-ce par hasard que telle ou telle cause n’appartient pas à tel ou tel sexe, et que le talent n’a ni verge, un mot curieusement féminin, ni vagin, un mot épouvantablement masculin ?
Allez, je veux bien croire que ces tergiversations non essentielles sont le fait d’une poignée d’illuminées de petite culture, qui participent au fond de la baisse de niveau générale et l’accentueraient, si leurs fantasmagories revendicatrices devenaient réalité. Il n’y a pas à se battre pour ou contre le « patrimoine » ou le « matrimoine », mais il faut défendre un héritage global, un héritage de mots et de culture, qui n’a ni sexe ni tendances, et qui est aujourd’hui menacé par l’abêtissement collectif, dont un certain féminisme outrancier est la marque la plus prochaine.
Jean-Paul brighelli pour Valeurs actuelles.
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