Alors qu’une nouvelle année commence, un bilan de ce qui subsiste de la famille gaulliste s’impose.
Un état des lieux lucide que dresse un groupe de hauts fonctionnaires, de professeurs, d’essayistes et d’entrepreneurs, équivalent des Gracques mais à droite, les Arvernes.
Ce texte a été initialement publié dans le dernier numéro de Valeurs actuelles dans la rubrique :
« L’incorrect – Espace de libres débats ».
Il en va probablement des familles politiques comme des familles régnantes. À un certain point, la sclérose prend le dessus. C’est ainsi qu’il faut considérer la famille « gaulliste » ou ce qu’il en reste. Cette famille vient de loin. Elle a connu un passé glorieux. Ses premiers membres avaient combattu durant la guerre, dans la Résistance et contre Vichy. Ils venaient du peuple, pas des dynasties de possédants et des grands corps. Pendant cinquante ans, leur légitimité avait conféré une force politique hors du commun à leur parti, celui du « métro à 6 heures du soir » (Malraux). Un parti populaire, capable de fédérer de larges couches de la société. Un parti national, capable de résister aux sirènes de l’abandon aux puissances extérieures. UDR, UNR, RPR, qu’importe le nom, ce parti savait rassembler les Français et parler de la France.
Longtemps après les temps glorieux des fondateurs, l’opposition frontale au socialisme a maintenu la cohésion d’un parti déjà tenté par les sirènes du pragmatisme, du centrisme, de l’européisme et du libéralisme. La figure de Philippe Seguin servait de statue du Commandeur pour un Jacques Chirac incapable de s’avouer ce qu’il était : un radical, et non un homme de droite. Déjà, les temps nouveaux du sarkozysme triomphant annonçaient, il y a dix ans, un abandon progressif aux grandes modes des temps et un manque cruel de hauteur dans la fonction. Sarkozy, dont le tempérament n’était pas celui d’un bâtisseur, ne pouvait refonder un gaullisme des temps modernes. Depuis lors, disons-le tout net, la famille gaulliste est en déliquescence.
Il y a Alain Juppé, bien sûr, et les « juppéistes », nombreux à avoir franchi le pas du ralliement au degré zéro de la politique, déguisé en philosophie subtile du « en même temps« . ll en reste certains au parti Les Républicains, comme Maël de Calan, dont le verbe aristocratique masque mal son accord quasi total avec Emmanuel Macron. Mais il y en a bien d’autres.
ll y a les « constructifs« , et leur chef résiduel, Franck Riester, élu des franges rurales de l’Île-de-France vite séduit par les lumières de la ville et de BFM TV, incapable de formuler la moindre idée originale. Il semble déjà dépassé par les trahisons de ses propres amis.
Il y a bien sûr Bruno Le Maire, dont les racines chiraquo-villepinistes pouvaient en faire l’héritier d’une famille gaulliste refondée pour le nouveau siècle. Quelle déchéance pour cet homme, non dépourvu, du moins en apparence, de talents ! Qu’en a-t-il fait ? L’accumulation de diplômes ne suffit pas à conférer une âme. Trop parisien, trop bourgeois, trop grand, trop pâle, engoncé dans un corps dont il ne sait que faire, « Bruno le renouveau » nous a raconté une belle histoire, sur la force de la « volonté », sur la grandeur française et sur la survivance de l’écrivain en politique. Qu’en reste-t-il ? L’homme qui, à 20h01, au soir de la primaire, ralliait Fillon et non Juppé, a fini chez Macron. L’homme qui dit « nous » quand il parle de lui en privé a perdu pied, croit encore à son destin présidentiel en toisant de haut tous ses collègues du gouvernement et les parlementaires, le Premier ministre et secrètement sans doute Macron lui-même. Mais qu’a-t-il fait sinon trahir ses électeurs, ses donateurs, ses partisans et son camp ? Déjà, son premier livre (le Ministre, 2004) annonçait cet ego boursouflé, cette suffisance hautaine et froide, cette croyance naïve dans les vertus du « mouvement » et cette complaisance incomparable pour la courtisanerie, la flatterie des puissants et l’esprit du « fayot » et finalement du traître.
Il y a, dira-t-on, le reste de la droite. Les « barons » issus du sarkozysme, les cinquantenaires fidèles au parti LR qui ont su résister aux sirènes de la trahison. Mais qu’incarnent-ils vraiment ? Valérie Pécresse résiste à la folle gestion de la Ville de Paris et tente de redresser une région ruinée par la gestion socialiste. Mais une région n’est pas la France. Comment peut-elle prétendre aux premiers rôles quand elle renonce à porter ses propres couleurs à l’élection interne des LR ? Qu’incarne–t-elle sinon une droite bourgeoise, propre sur elle et gestionnaire ? Xavier Bertrand a fait, lui, le choix d’une droite plus populaire, capable de porter des vérités inaudibles à Paris et consciente des souffrances de la France périphérique. Mais, prisonnier de son élection contre l’extrême droite, il surjoue le rôle que les médias lui ont imposé et se trompe de combat. Son départ des Républicains acte la quête désespérée d’un espace résiduel pour ce qui reste de son ambition personnelle. Fin, il a sans doute pourtant déjà compris que son temps est passé.
Il reste alors Laurent Wauquiez, bien seul héritier d’une famille en déshérence. Son élection à la tête des Républicains est la conséquence logique de l’effacement de tous les autres prétendants à l’héritage du gaullisme. Le président du conseil régional d’AuvergneRhône-Alpes n’est pas, bien sûr, nul ne l’est, parfait. Il dérange, il irrite. Mais il faut lui reconnaître le courage de résister, seul parmi les chefs de sa famille, à la tentation du renoncement. Il faut du courage, face aux médias serviles, aux puissances du moment, pour parler vrai et pour dénoncer les échecs patents de la construction européenne. Sur ce dernier point, il lui faudra de la profondeur intellectuelle pour tracer un chemin étroit entre les deux erreurs que sont le fédéralisme d’Emmanuel Macron, reniement de la France, et le souverainisme rabougri d’un Florian Philippot, tout aussi délétère pour le pays. Encore lui faudra-t-il, désormais élu, tenir fermement le cap et s’entourer de têtes nouvelles.
Il n’a rien à attendre ni des juppéistes, ni de ses rivaux qui attendront dans l’ombre ses faux pas. Laurent Wauquiez peut encore prétendre entrer dans le costume de l’héritier du gaullisme, capable de parler vrai et de porter partout et d’abord les intérêts de la France. Il lui faudra trouver dans les nouvelles générations l’ardeur nécessaire pour combattre le macronisme.
Pour en finir avec la droite sans vertèbres.
Les Arvernes pour Valeurs actuelles.
Pour en savoir plus sur les Arvernes, lire cet article d’Atlantico.
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