J’ai plusieurs fois publié les écrits de Jeannette Bougrab. Née d’un père harki ouvrier métallurgiste et décoré de la Légion d’honneur à titre militaire, son grand-père paternel et son oncle ont été assassinés par des indépendantistes algériens pendant la guerre d’Algérie. Elle obtient un DEA (1997), puis un doctorat (2002) en droit public à l’université Panthéon-Sorbonne. Juriste au Conseil constitutionnel avant de devenir maître de conférences en droit public à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne jusqu’en 2007, et à l’Institut d’études politiques de Paris de 2007 à 2009, elle est remarquée par Pierre Mazeaud.
Présidente de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE) du au , elle est nommée par la suite au secrétariat d’État à la Jeunesse et à la Vie associative dans le troisième gouvernement Fillon.
Elle publie aujourd’hui une courte tribune dans Valeurs actuelles et s’en prend au régime d’Erdogan en Turquie :
Turquie: un glaçant autodafé d’État
« La seule chose que vous ayez absolument besoin de savoir est l’emplacement d’une bibliothèque », disait Albert Einstein. Plus peut-être que n’importe qui d’autre, lui, dont les livres ont été brûlés par les nazis dans des autodafés, savait l’importance du savoir et de la connaissance.
Mais au regard de ce à quoi l’on assiste en Turquie, on peut se poser la question : à quoi bon connaître l’emplacement des bibliothèques, si leurs rayons se vident ? Comme l’a rapporté le ministre de la Culture turc au Parlement, 139 141 livres ont été retirés puis détruits des bibliothèques turques. Et ce n’est qu’un début car de nombreuses publications sont encore en cours d’examen. La raison officielle : le gouvernement turc accuse l’imam Fethullah Gülen, qui vit aux États-Unis, d’avoir orchestré la tentative de coup d’État de juillet 2016. Même si celui-ci a nié toute responsabilité, l’État a demandé de détruire des ouvrages dits « gülénistes », et en a profité pour retirer ceux de 29 maisons d’édition, ainsi que 15 magazines et 45 journaux. Camus, Spinoza, Althusser ont ainsi subi le même sort sans que l’on comprenne le rapport entre le Mythe de Sisyphe et les ouvrages de l’imam exilé …
Cela n’est ni plus ni moins qu’un glaçant autodafé d’État!
Certes, le régime s’est abstenu de théâtraliser ses forfaits, instruit peut-être par des faits récents. Les images des terroristes de Dae’ch brûlant des livres de la grande bibliothèque de Mossoul avaient fait le tour du monde et choqué les consciences. De même que celles des talibans en 1998, en Afghanistan, s’attaquant à plus de 55 000 livres précieux, pour ne conserver que le Coran.
Mais dans le cas présent, s’agissant des réactions, c’est – faute d’images ? -l’encéphalogramme plat. Pour les « fous d’Allah », ces ouvrages incitent à la désobéissance à Dieu, alors il faut les réduire à néant. C’est dans cette veine qu’Erdogan est allé jusqu’à s’immiscer dans les programmes scolaires, refondus afin d’y intensifier les leçons coraniques et d’en épurer tout sujet susceptible de contrarier les croyances les plus conservatrices.
Depuis la rentrée scolaire, la théorie de Darwin n’est plus enseignée! On a plus largement supprimé les références à la science occidentale. Erdogan y a fait même minimiser le rôle historique de Mustafa Kemal, Atatürk, fondateur de la Turquie moderne. Parallèlement, le nombre d’écoles religieuses a explosé … Annihiler tout esprit critique permettra de maintenir les générations futures dans l’obscurantisme religieux. On le voit, en dépit de la chute du califat du Levant, l’islamisme continue d’avancer et de l’emporter.
Et cela se produit aux portes de l’Europe.
Jeannette Bougrab pour Valeurs actuelles.
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