On n’entend plus guère les progressistes ces temps-ci.
Il est vrai que la crise du coronavirus vient de bloquer net la marche qu’ils croyaient triomphante de leur idéologie.
Ils nous avaient vanté les mérites de la mondialisation et nous avons vu les usines chinoises réserver en priorité leurs masques … aux Chinois, et nous en priver !
Ils nous avaient vanté la protection que l’Union européenne apportait à tous les peuples d’Europe et nous avons constaté l’immobilisme des institutions européennes devant la crise.
Ils nous avaient vanté la solidarité européenne et nous avons constaté le « chacun pour soi » de tous les pays d’Europe !
Ils se félicitaient d’avoir supprimé toutes les frontières et à la première crise la plupart des pays les ont refermées sauf la France que son européiste forcené de président a maintenu ouverte, entrainant ainsi probablement une aggravation massive de la pandémie en France.
Oui, les progressistes ont été confrontés à l’impasse dans laquelle ils précipitaient le pays.
Dans Valeurs actuelles, le philosophe Vincent Coussedière analyse les conséquences politiques et idéologiques du séisme sanitaire que nous venons de vivre :
Une fois n’est pas coutume, les progressistes ont mis en veilleuse leur idéologie face à la crise épidémique et ce sont les opposants au pouvoir macroniste qui ont occupé le terrain avec gourmandise. Avec le risque de plaquer sur l »‘événement » une grille de lecture toute faite empêchant d’envisager les conséquences profondes qu’il engendrera inéluctablement à long terme.
La crise de la Covid-19 révèle notre difficulté à réaliser non seulement un déconfinement sanitaire mais un déconfinement idéologique. En effet, on ne peut pas dire que l’humilité est de mise face à un événement que l’on n’a pas vu venir. On assiste plutôt à un déluge d’interprétations du phénomène, souvent contradictoires mais partageant toutes un même travers: la généralisation idéologique et une certaine arrogance du « on vous l’avait bien dit ».
Une fois n’est pas coutume, le camp des « progressistes » au pouvoir n’est pas le plus prolixe en la matière. Il est vrai que son idéologie semble pouvoir tomber facilement sous le coup du démenti de la crise. C’est pourquoi l’État et les gouvernants ont mis rapidement en veilleuse leur « récit » progressiste. Le temps n’était plus aux grandes visions d’avenir mais plutôt à l’aveu d’une certaine ignorance le concernant. On affirme qu’il ne sera plus comme avant, sans se hasarder pour autant à le prévoir. On préfère faire profil bas et s’en remettre, pour le présent, à la science. Cet effacement du politique derrière la science relève d’une stratégie de repli idéologique et s’accompagne d’une forme de saint-simonisme, qui est le plus petit commun dénominateur idéologique de nos élites. On cherche bien sûr à sauvegarder quelques bribes d’un « progressisme » plus offensif: un peu de profession de foi européiste par-ci, un peu de défense des femmes battues par-là, un peu de compréhension des « jeunes » de banlieue qui ne supportent pas le confinement, un peu d’éloge des vertus du numérique. Mais enfin, on n’insiste pas, semblant comprendre que l’on marche sur des braises.
C’est au contraire du côté du camp des opposants au pouvoir, des conservateurs libéraux aux souverainistes identitaires, en passant par la gauche écologiste et « anticapitaliste », que l’on observe une forme d’hubris idéologique. Le terrain idéologique, abandonné en rase campagne par les progressistes, est investi avec gourmandise et triomphalisme. Les conservateurs libéraux voient dans la gestion allemande la preuve des vertus conjuguées de l’État décentralisé et d’une économie non endettée et sainement libérale. Les souverainistes identitaires voient, dans les démocraties illibérales de l’Est ou dans les pays asiatiques, la confirmation des vertus des frontières et d’un autoritarisme assumé. La gauche pointe les méfaits du réchauffement climatique, la pollution et les lobbys pharmaceutiques, et reporte ses espoirs d’une gestion écologique et libertaire de l’épidémie sur la Suède. Bref, rares sont ceux qui pensent avoir quelque chose à apprendre de la crise, mais nombreux sont ceux qui pensent avoir quelque chose à nous apprendre d’elle … Pourtant ce que nous impose un « événement », comme l’avait compris Hannah Arendt, c’est de penser à partir de lui plutôt que de le réinsérer dans des grilles d’analyse déjà disponibles. C’est pourquoi l’opposition au progressisme de Macron n’a rien à gagner à idéologiser une crise dont tous les paramètres sont encore loin d’être connus. Certains représentants de la critique de Macron, tel Éric Zemmour, ont raison de souligner que la politique ne doit pas s’abriter derrière la science. Mais il est erroné de croire qu’elle puisse se passer d’un dialogue approfondi avec elle. Il est encore plus grave d’idéologiser la science et de la relativiser par l’argument qu’elle résulterait elle-même d’un combat idéologique, comme il arrive parfois à notre polémiste de le faire. Certes, l’un des traits les plus inquiétants de l’époque est une certaine attirance des scientifiques pour l’idéologie, travers que l’on croyait réservé aux sciences humaines et qui se révèle aussi dans les sciences de la nature. Cela ne doit pas être considéré comme une propriété de la science mais de nos sociétés, dont l’idéologie gagne des esprits pourtant formés à la méthode scientifique. La crise du coronavirus a montré la difficulté des scientifiques de résister à la pression médiatique comme à celle de l’État, à l’attente de solutions et de diagnostics immédiats.
L' »événement Covid », comme les conséquences profondes qu’il engendrera, ne se souciera pas d’obéir à l’agitation médiatique de ses commentateurs. Il va s’inscrire dans la durée. La réalité de l’événement, à la fois biologique, sociale et culturelle, ne se prêtera à aucune simplification. Le comparatisme « à chaud » auquel se sont livrés les commentateurs pour tirer des leçons politiques de la crise était certainement très tentant mais prématuré. La complexité des facteurs entrant en jeu ainsi que la temporalité de l’apparition du virus, essentielle dans la gestion d’une épidémie, rendent extrêmement hasardeux le petit jeu des bons et mauvais points. La comparaison n’étant possible qu’entre deux pays par ailleurs égaux en toutes choses, elle ne pourra être menée de manière rationnelle qu’avec le temps. Le défi pluridisciplinaire n’en sera que plus attirant pour les chercheurs, mais ne pourra inspirer de leçons politiques fécondes qu’en étant relevé de manière méthodique et rationnelle, loin de l’agitation des plateaux médiatiques et des prismes idéologiques. Être à la hauteur de l’événement, ce sera donc plus que jamais : se déconfiner de l’idéologie.
Vincent Coussedière, philosophe, pour Valeurs actuelles.
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