Voici un communiqué de Laurence Havel, présidente de l’Institut pour la Justice, qui s’exprime sur la révolte des gilets jaunes et la posture adopté par le gouvernement et notamment le ministre de l’intérieur, Christophe Castaner :
Chère Madame, cher Monsieur,
Ce n’est un secret pour personne : le président Macron n’a jamais fait de la sécurité et de la justice les priorités de son quinquennat.
Les 15 000 nouvelles places de prison construites pendant le quinquennat qui avaient été promises durant la campagne électorale ? Envolées. Le « doublement » du nombre des centres éducatifs fermés, également promis ? Envolé aussi.
En quittant le ministère de l’Intérieur, Gérard Collomb a eu des mots très durs pour décrire une situation sécuritaire très inquiétante. Et pourtant il a fallu deux semaines pour que le président se décide à lui donner un successeur, et ce successeur est… Christophe Castaner.
Christophe Castaner qui, et c’est le moins que l’on puisse dire, ne s’est jamais fait remarquer pour son intérêt, ses compétences ni ses connaissances sur les questions régaliennes : la lutte contre l’insécurité, le terrorisme, l’immigration illégale…
Mais avec l’apparition des « gilets jaunes », samedi dernier, l’exécutif semble s’être brusquement réveillé.
Avant même que les manifestations aient eu lieu, le gouvernement a annoncé qu’il se montrerait intraitable en cas de blocages.
De fait, samedi la mobilisation des forces de l’ordre a été massive, et les évacuations très rapides.
Et depuis samedi, le ministre de l’Intérieur a clairement les « gilets jaunes » dans le collimateur. À croire que ces Français « moyens » (comme les médias les appellent) qui se plaignent de la hausse des taxes en tout genre représentent une grave menace pour la sécurité de l’État.
Le ministre de l’Intérieur parle d’une « radicalisation » des manifestants. Rien que ça. Un peu comme si les gilets jaunes étaient de dangereux terroristes qui allaient se faire exploser dans les perceptions ou bien qui attaquaient les policiers à coups de couteau.
D’ailleurs, Christophe Castaner a déclaré : « En trois jours, il y a autant de blessés dans nos forces de l’ordre qu’en trois mois d’évacuation à Notre-Dame-des-Landes. »
Le ministre de l’Intérieur oublie juste de préciser que, à Notre-Dame-des-Landes il y avait tout au plus quelques centaines de personnes à évacuer, alors que samedi dernier les gilets jaunes ont été près de 300 000 dans toute la France, selon la police.
Un détail…
Et au fait, pendant combien d’années les gouvernements successifs, y compris l’actuel gouvernement, ont-ils toléré l’occupation illégale de Notre-Dame-des-Landes avant d’évacuer les squatteurs avec mille précautions et après mille négociations ?
Le moins que l’on puisse dire c’est que ça n’a pas autant trainé pour lever les barrages formés par les gilets jaunes le week end dernier !
Le terrorisme, d’ailleurs, parlons-en. Monsieur Castaner a lancé lors d’une conférence de presse : « Alors que notre pays doit faire face à des risques sécuritaires majeurs, dont le risque terroriste qui est toujours présent, il faut avoir en tête que la mobilisation massive de nos forces de sécurité a aussi un effet sur notre capacité à intervenir sur d’autres sites du territoire. »
En clair, s’il y a un attentat islamiste dans les jours ou les semaines qui viennent, ce sera la faute des gilets jaunes. Parce que le gouvernement aura envoyé les forces de l’ordre pour les surveiller au lieu de s’occuper des apprentis terroristes. Manifestement le gouvernement n’a pas tout à fait les mêmes priorités que la grande majorité des Français en matière de sécurité…
Et Emmanuel Macron a surenchéri ce mercredi en Conseil des ministres : « La sévérité sera de mise « face aux violences des gilets jaunes” ».
Soyons sérieux.
La loi devrait être la même pour tous, et si des débordements ont lieu lors des manifestations des gilets jaunes, ils doivent évidemment être sanctionnés. Mais justement, parce que la loi devrait être la même pour tous, on aimerait vraiment que le gouvernement mette autant d’ardeur à reconquérir les « territoires perdus de la République » qu’il en met à pourchasser ceux qui protestent contre sa politique fiscale.
Nous savons tous qu’il n’en est rien. Si, pour les gilets jaunes, le gouvernement montre ses muscles, dans les quartiers « sensibles » les consignes données aux policiers sont, encore et toujours, de ne pas « provoquer ». Bref, de faire profil bas devant les voyous et les caïds.
Vous en avez entendu parler, Maggy Biskupski, qui était la voix des « policiers en colère » depuis l’attaque au cocktail molotov de deux voitures de police, à Viry-Châtillon en octobre 2016, s’est suicidée il y a quelques jours.
Elle le disait avec ses mots à elle : « On interpelle toujours les mêmes délinquants. Parfois on les recroise dès le lendemain ! »;
« Tu les arrêtes, ils s’en foutent. Au pire, ils auront Canal+ en prison » ;
« On a l’impression d’emmerder le citoyen lambda qui s’est mal garé plutôt que les vrais délinquants. »
Dans son livre La peur a changé de camp, le journaliste Frédéric Ploquin raconte ce sentiment d’impunité qui mine les policiers au quotidien et entretient une amertume bien compréhensible dans leurs rangs.
« Une impunité nourrie par les lendemains d’émeutes, de poubelles brûlées ou de guet-apens, quand les chefs freinent des quatre fers et retiennent les troupes avec l’espoir que le feu s’éteigne tout seul. Comme au lendemain de l’affaire Théo, quand ils ont préféré voir les policiers à la cafétéria du commissariat plutôt que de risquer l’affrontement (…) “Il ne faut pas les énerver“, a dit un chef plus cash que les autres. ”Énerver qui ?“ a osé un gardien qui n’a reçu en réponse qu’un silence embarrassé, mais a obtempéré : ce soir-là, il a regardé les poubelles brûler à la télévision. »
Alors, Monsieur Castaner, Monsieur Macron, vous dites que force doit rester à la loi ? Nous vous disons : chiche !
Donnez enfin aux policiers et aux gendarmes les consignes nécessaires pour que les lois de la République soient respectées PARTOUT. Donnez à la justice les moyens de punir les criminels comme ils le méritent et de protéger les honnêtes gens.
Soyez sûrs que ce jour-là vous aurez tout notre soutien…
Avec tout mon dévouement,
Laurence Havel
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