En écho, à mon précédent article sur la droite molle, je vous propose une chronique publiée par Denis Tillinac dans Valeurs actuelles.
Alors que la droite se cherche, se divise, se décompose, se recompose, il n’est pas inutile de se poser la question de l’identité de la droite aujourd’hui. C’est ce qu’a tenté de faire Denis Tillinac qui se faisait trop rares dans ce blog :
Malgré un renouveau intellectuel en sa faveur, la droite, qui répugne à se laisser corseter dans une idéologie, souffre encore d’une mauvaise réputation.
Marion Maréchal va créer à Lyon une sorte de Sciences Po alternatif aux fins de contester le magistère intellectuel et moral de la gauche française, alors qu’il n’est pas loin du dépôt de bilan. Chacun dans son registre, des philosophes (Manent, Braque, Marion, Chantal Delsol, Rey, Bérénice Levet … ), des sociologues (Bock-Côté … ), des essayistes (Zemmour … ), des historiens (Gueniffey, Teyssier, Lentz, Petitfils … ) récusent les présupposés du sartrisme, du freudo-marxisme, des soixante-huitards et des théoriciens de la « déconstruction ». Ferry en avait d’ailleurs décrypté le nihilisme il y a plus de trente ans, en relais du diagnostic de Clair sur les impasses de l’art contemporain. L’évolution de penseurs venus de la gauche (Finkielkraut, Debray, Le Goff, Michéa, Julliard … ) confirme un changement de cap assez radical.
Certes, la classe politique et le système médiatique ressassent encore les poncifs longtemps en usage sur la rive gauche de la Seine; ils ont toujours du retard à l’allumage. Pour l’essentiel, le déminage est un fait accompli; l’outillage conceptuel d’un renouveau de la pensée achalande les librairies et les revues.
L’intellectuel de gauche reste une espèce protégée,
mais atteinte de sénilité et en voie de raréfaction.
Rien de plus inopportun en conséquence que de procurer à son manichéisme de quoi se refaire la cerise en claquemurant le mot « droite » dans un nouveau ghetto. Car ce mot souffre encore d’un discrédit moral dans notre inconscient collectif. Mieux vaudrait le sortir une fois pour toutes des ornières qui sont à l’origine de sa mauvaise réputation. À cet égard, le projet de Marion Maréchal est une mauvaise idée. On n’en retiendra que le nom de son initiatrice et son affiliation partisane. Si Lacan vivait encore, il noterait malicieusement la glissade sémantique du lepénisme au … maréchalisme. Nul ne conteste le talent, la sincérité et le charme rayonnant de ladite dame blonde; tous les jeunes gens un peu droitiers, un peu tradis et inconsolables de la déconfiture de Fillon en raffolent. Que d’aucuns, moins jeunes et plus droitiers, préméditent de la propulser sur le théâtre politique en se gargarisant hors de saison des préceptes de Gramsci, c’est l’affaire d’une faction. La droite – terme générique – ruinerait son crédit en plongeant tel Gribouille dans une mare idéologique où se reflètent de vieilles lunes.
En France, la frontière entre droite et gauche, héritée des guerres de religion et de 1789, a toujours été brouillée par des aléas impromptus. Nos grands hommes d’État ont tous improvisé des synthèses pour transcender le clivage enfanté par l’histoire: Henri IV, Richelieu, Napoléon, de Gaulle. La droite dans son cours méandreux n’a jamais été l’homothétique de la gauche mais l’incroyante de sa dogmatique pour des raisons tantôt métaphysiques, tantôt morales, tantôt esthétiques. C’est une allergie à l’air du temps, une mélancolie, un romantisme, un dandysme, quelquefois un passéisme. C’est le bivouac des coeurs meurtris, le soleil noir des âmes dépossédées.
Comment la définir après l’extinction des étoiles rouges dans le ciel des idées ? Ordolibéralisme ? Conservatisme ? Ces « ismes » venus d’ailleurs ne sont d’aucun recours. Mousquetaire ou buissonnière, la droite ne se reconnaît qu’en des exaltations suscitées par des figures à haute teneur symbolique : le Cid de Corneille, le Cyrano de Rostand, d’Artagnan, Charles de Foucault, Mermoz, Tintin, le petit prince de Saint-Ex, les légionnaires de Cameron. Elle peut invoquer les mânes de Chateaubriand ou de Tocqueville; elle répugne par essence à se laisser corseter dans une idéologie. Impossible de la théoriser sans la défigurer. Donc impossible de l’enseigner.
Un seul constat mérite d’être rappelé: en France, l’extrême droite, appellation mal contrôlée, n’est pas une marge de la droite, mais un surgeon de l’extrême gauche n’osant s’avouer ses fantasmes éradicateurs.
Denis Tillinac pour valeurs actuelles.
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