Il fallait toute la culture d’Eric Zemmour pour faire un parallèle entre les morts très proches de Jean d’Ormesson et de Johnny Halliday et celles, il y a un demi-siècle, de Jean Cocteau et d’Edith Piaf.
Il fallait aussi tout son talent pour tirer de cette comparaison tous les enseignements sociologiques et politiques sur la disparition de ces personnages qui ont construit – ce que certains nient – mais ce qui est réellement la culture française.
Voici en effet l’étonnant rapprochement qui a fait, ce matin, le sujet de la chronique d’Eric Zemmour sur RTL :
L’histoire begaye ! Il y a plus de cinquante ans, le 11 octobre 1963, Jean Cocteau et Edith Piaf mouraient à quelques heures d’intervalle. Le poète et la chanteuse, l’homme des salons et la femme des rues, le créateur mondain et l’artiste populaire. C’était la France des années 40 et 50, celle de l’Occupation et de la reconstruction qui disparaissait avec eux.
Et tout recommence avec les décès de Jean d’Ormesson et de Johnny Halliday ! L’écrivain et le chanteur, le fils de la haute et celui des faubourgs, l’homme qui murmurait à l’oreille des présidents et celui qui beuglait dans les stades. C’est la France des années 60/70 qui faisait avec eux des heures sup. Ceux qui n’avaient pas fait la guerre et ceux qui étaient nés pendant la guerre. La France de de Gaulle et Pompidou, la France des DS et des machines à laver ! La France des voitures décapotables et du Rock’nRoll !
D’Ormesson, c’était Françoise Sagan au masculin; Johnny, c’était Elvis Presley en tricolore ! D’Ormesson, c’était l’ultime trace d’un temps où l’Europe parlait français. Johnny, c’était la première génération américaine de l’histoire de France. On disait que la conversation de d’Ormesson était brillante, mais il ne faisait que ça depuis trois siècles ! On disait que Johnny était le chanteur de toutes les générations mais il était plutôt l’incarnation de cette génération des baby-boomers qui avait imposé son hégémonie culturelle à toutes les autres.
Relance d’Yves Calvi : les messages de condoléances affluent de tous les bords politiques. Vous arrivez à les classer politiquement, Eric ?
D’Ormesson était un orléaniste qui se voyait, de bonne foi, en gaulliste. Un centriste qui se prétendait de droite. Johnny était un rebelle qui n’était pas de gauche. D’Ormesson, c’était l’homme de droite que la gauche aimait aimer. Johnny, c’était l’éternel révolté qui permettait à la droite de ne pas paraitre complètement ringarde à ses propres yeux !
D’Ormesson savait bien sûr, au fond de lui, qu’il ne serait jamais Chateaubriand. Johnny savait bien sûr, au fond de lui, qu’il ne serait jamais Elvis. Ils étaient tous les deux, en dépit de leur indéniable talent, la preuve que la France avait perdu son rang. Mais tous les deux faisait comme si, avec une grande élégance et une certaine classe. La French touch, comme on dit dans les publicités de notre industrie du luxe, à destination des touristes chinois.
Les deux hommes étaient des inventions de la télévision, à la fois déifiés et ridiculisés par le spectacle permanent. S’ils étaient de magnifiques têtes de gondole médiatiques, c’est qu’ils appartenaient à une époque où les êtres n’avaient pas encore été façonnés par l’écran-roi. Le livre pour d’Ormesson, la salle de concert pour Johnny. C’est ce qui les rendait authentique au coeur même de leur rouerie de comédie. Mais Johnny n’avait plus envie d’avoir envie tandis qu’on entend encore la voix fluète de Jean d’O, s’égosiller :
« Mourir en même temps que Johnny, mais c’est épatant ! »
Eric Zemmour pour RTL.
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