J’ai trouvé dans Le Figaro Magazine un très beau texte de Michel Onfray consacré aux « petits » aux « sans-grade.»
Ce texte m’a rappelé mes grands-parents maternels qui appartenaient à la classe ouvrière. A partir d’eux, ma famille a bénéficié à plein de l’ascenseur social, mais je me souviens très bien de leur condition modeste dans les années 50.
Mon grand-père avait commencé à travailler à la pointerie d’un petit laminoir à l’âge de 14 ans. A la retraite, il entretenait le jardin du fils du châtelain propriétaire du laminoir. Sans jamais faire de prosélytisme, il disait avoir toujours voté communiste et je peux le comprendre. Paradoxalement, j’avais été choqué quand, gamin, je voyais mon grand-père retirer son béret et parler avec déférence au « châtelain ».
Ma grand-mère était « culottière » et travaillait dans un petit atelier de confection de costume. A la retraite, elle « donnait la main », comme on dit en Dordogne, comme lingère au service, toujours, du châtelain !
Mes grands-parents vivaient simplement, sans jamais se plaindre, sans jamais jalouser quiconque. Ces gens-là étaient, comme l’évoque Michel Onfray dans son article …
… des « gens de peu » mais de belles personnes.
Mais je dois vous ennuyer avec mes histoires de famille ! Je passe la parole à Michel Onfray :
Le philosophe souligne combien le virus a fait ressortir le courage et les vertus des sans-grade : infirmières, aides–soignantes, routiers, caissières ou magasiniers … Toute une France modeste, digne et laborieuse que les élites parisiennes refusent de voir alors qu’elle est indispensable au pays.
Le milieu modeste de mon enfance avait de lui-même une certaine idée qui ne relevait ni de l’orgueil ni de la vanité. On y enseignait ce qui se fait et ce qui ne se fait pas. Un beau geste, un bel acte, une belle pensée, une belle parole, cette esthétique générait une éthique. On savait alors comment être à la hauteur mais aussi comment déchoir.
Ce trésor est transmis par des gens pauvres en tout : cette vertu est leur seule richesse, c’est l’or du démuni. J’ai remarqué cette grandeur sans bruit chez des gens sans ombres ou presque, j’en ai souvent vu les effet chez des « gens de peu », pour utiliser la belle expression de Pierre Sansot. Elle est une leçon qu’on n’oublie jamais. Mais, aussi loin que je m’en souvienne, je n’ai jamais rencontré cette décence ordinaire dans quelque autre milieu qu’il m’a été donné de côtoyer.
De la politesse, de la courtoisie, de l’affectation, des manières, de l’affabilité, oui, mais pas grand-chose à voir avec la grandeur des « petits» qui se manifeste dans la « décence ordinaire », pour le dire avec les mots d’Orwell. Cette vertu s’avère claire comme une eau de roche qu’on ne verrait que dans un seul type de source: ailleurs, il n’y a que des points d’eau.
L’épidémie qui met la France à genoux l’a fait ressortir mais très précisément chez ceux qu’ont méprisés Emmanuel Macron et les siens : les Gaulois réfractaires, les fumeurs de Gitanes qui roulent au diesel, les crétins qui ne savent pas qu’en traversant la rue ils trouveraient du travail, ceux qui ne sont rien opposés à ceux qui ont réussi dans la vie, les alcooliques et les illettrés des corons, ceux qui, prétendument, jalousaient ses costards.
Ce peuple-là, c’est le contraire des premiers de cordée qui devaient se fader les pauvres en queue de ficelle, l’opposé des fringants gominés de la start-up nation, l’antithèse du ruisselant dont la fortune devait faire le bonheur de sa femme de ménage et du migrant dormant sous les ponts, l’antinomie d’Emmanuel Macron.
Car la France ne tient le coup qu’avec des paysans et des maraîchers qui produisent, des routiers qui livrent de quoi nourrir le pays, des magasiniers qui approvisionnent, des employés et des ouvriers qui travaillent, des caissiers et des caissières qui encaissent des pièces et des billets souillés et contaminés avec le virus, des videurs de poubelles, des comptables discrets, des femmes de ménage, des hommes d’entretien, des infirmières, des aides-soignantes, des fonctionnaires – les petits salaires français …
Les cathédrales de la douleur
Je n’oublie pas non plus ceux qui fabriquent des masques dans leurs cuisines avec des chutes de tissu, qui constituent des paniers de légumes livrés à domicile pour éviter la faillite des paysans, qui offrent des repas aux personnels soignants.
Pour déplacer ceux qui travaillent, ajoutons aussi les chauffeurs de bus, de métro, de tramway, de train. N’oublions pas la police, la gendarmerie, les pompiers. Et que dire des forçats de l’hôpital : de l’aide-soignante au professeur qui dirige le service en passant par les infirmières et tout le personnel qui permet à ces cathédrales de la douleur de fonctionner nuit et jour pour faire au mieux avec les rogatons consentis par le capital.
L’Etat a failli, on l’a vu ; la grandeur de la nation est dans ce petit peuple, on le voit.
On me dit que Paris est vidé d’une grande partie de sa population ; je sais que des auteurs ont rejoint leur maison de campagne, chez les ploucs, en province, et qu’ils racontent leurs petits malheurs de confinés dans les journaux comme il faut ; j ‘ai vu qu’à l’ île de Ré, les Parisiens ont sorti les grosses coupures pour vider les magasins, acheter les boissons de l’alcoolisme mondain en quantité et faire une razzia sur le papier toilette … Pas beaucoup de décence ordinaire dans tout ça.
Il paraît également que, dans Elle, une certaine Brigitte Trogneux a confié, il y a déjà quinze jours, tout le mal qu’elle avait à vivre son propre confinement ! Il est vrai que vivre dans le palais de l’Elysée avec tous les services attenants, dont les cuisiniers et les sommeliers, la blanchisserie et la garde-robe, les salons de coiffure ou de maquillage, le tout aux frais du contribuable, puis la possibilité de faire une balade dans un parc d’un hectare et demi en plein Paris, tout cela est effectivement pénible …
Je plains ces gens-là dont le quotidien est fait d’indécence ordinaire. Que dis-je : le quotidien ? Leur vie tout entière est indécence ordinaire.
Michel Onfray pour Le Figaro Magazine.
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