En marche vers l’immobilisme, c’est le titre du dernier ouvrage de Agnès Verdier-Molinié dont je relaye souvent ici les propos.
Agnès Verdier-Molinié est la directrice de la fondation IFRAP, qui se présente comme un Think Tank dédié à l’analyse des politiques publiques, laboratoire d’idées innovantes.
Elle pourfend régulièrement les syndicats pour leur corporatisme et les gouvernements pour leur incapacité à réduire les dépenses publiques.
Voici des extraits d’une interview qu’elle a donnée à Valeurs actuelles :
Valeurs actuelles : Dans la présentation du budget 2019, le gouvernement vient de se féliciter de 6 milliards d’euros de baisses d’impôts pour les ménages. Peut-on réellement espérer un gain de pouvoir d’achat ?
Agnès Verdier-Molinié : Il convient de toujours rester très prudent avec ce genre d’effet d’annonce. Comment l’addition pour atteindre ces 6 milliards de baisses d’impôts pour les ménages est-elle faite ? Pourquoi recompte-t-elle des baisses de charges qui ont déjà été entérinées en 2018 ? Une partie de ces 6 milliards de baisses d’impôts est totalement virtuelle. Regardons un instant les chiffres: la CSG augmente d’au moins 22 milliards quand les cotisations salariales baissent de 22 milliards. Où est la baisse d’impôts ? Elle relève surtout d’un tour de passe-passe.
En réalité, les 6 milliards de pouvoir d’achat en plus annoncés par le gouvernement n’existent pas. Et ce d’autant plus que le gouvernement refuse de compter dans son addition la hausse des cotisations de retraites complémentaires, qui augmentent de 1,8 milliard d’euros en 2019.
Ce n’est guère mieux en ce qui concerne la mise en place du prélèvement à la source. Les 5,9 milliards d’impôts prélevés sur la fiche de paie des Français en décembre ne seront enregistrés dans les recettes qu’en … 2020. Pourtant, ils seront bel et bien payés par les Français en 2019 ! Mais dans ce cas, le gouvernement ne compte pas l’impact sur le pouvoir d’achat des Français …
Il y a pourtant un principe en comptabilité que le gouvernement ne semble pas respecter, celui de la permanence des méthodes comptables d’un exercice à l’autre. Dans les deux exemples cités, la méthode de calcul du gouvernement change. Le jeu de bonneteau est maîtrisé à la perfection, avec un sens de la communication poussé à l’extrême. C’est ce que je décris dans mon livre, En marche vers l’immobilisme. On assiste ici à un véritable jeu de dupes qui vise à faire un contre-feu au retour du ras-le-bol fiscal.
Valeurs actuelles : La France n’a donc retrouvé aucune attractivité fiscale ?
Agnès Verdier-Molinié : Comment voudrions-nous que la France retrouve son attractivité fiscale alors que, en face de la fiscalité, les dépenses ne baissent pas ou quasi pas ? Tant que la règle de bon sens qui voudrait qu’on vote en simultané 1 euro de baisse de dépenses pour 1 euro de baisse d’impôts ne sera pas appliquée, renouer avec l’attractivité sera impossible.
D’où le fait que fleurissent en permanence de nouvelles idées de taxes, comme une sur le sel, ou une augmentation de la taxation des successions, ou la taxe foncière progressive en fonction du revenu … Même si ces projets sont rejetés un à un, cela montre bien la fébrilité de la majorité en matière de recettes. Malgré les annonces, l’effort pour baisser et rationaliser notre maquis de taxes est faible. L’exit tax, qui ne rapporte que 70 millions d’euros, devait être supprimée, elle sera juste toilettée. Et, alors qu’on nous parle depuis dix ans de la suppression des petites taxes (celles qui rapportent moins de 150 millions d’euros par an et représentent 5 milliards de recettes), en 2019, le gouvernement n’en supprimera que 20 pour … 130 millions d’euros. À ce rythme, il faudra quarante ans pour toutes les supprimer.
Et, pour la taxation des entreprises, on n’est pas loin non plus du jeu de bonneteau déjà évoqué pour les ménages. Le gouvernement nous rabâche que les entreprises sont les grandes gagnantes de ce budget, mais les 20 milliards de CICE étaient dus de toute façon car ils viennent des années antérieures. Si on fait, là encore, le vrai décompte, c’est plutôt une augmentation de leur fiscalité que nos entreprises vont constater en 2019. De l’ordre de 4 milliards d’euros, notamment avec la hausse de la fiscalité locale qui continue et celle des taxes énergétiques. Et, pendant ce temps-là, le chômage stagne à 9 % et notre balance commerciale est encore annoncée à – 65 milliards d’euros en 2019. La France est désormais le pays le plus taxé, devant le Danemark. Quand allons-nous nous réveiller ?
Valeurs actuelles : Les dépenses publiques continuent de gonfler …
Agnès Verdier-Molinié : Le gouvernement a peu à peu repoussé, depuis son accession au pouvoir, les objectifs ambitieux de baisse de dépenses à la fin du quinquennat, il a aussi quasi enterré le rapport « Cap22 » … Résultat, pour l’État, les dépenses augmentent, certes peu, mais elles augmentent de 0,7 %. Et pour cause, les suppressions de postes annoncées ne sont pas au rendez-vous.
Souvenons-nous: Emmanuel Macron promettait 120 000 suppressions de postes d’ici 2022, dont 50 000 pour l’État. Une mesure forte, mais qu’en est-il ? 1660 postes supprimés pour l’État en 2018, 4173 en 2019 … Quand serons-nous aux 50 000 ? Dans huit ou dix ans ? Et la masse salariale de l’État continue, elle aussi, d’augmenter et atteindra en 2019 les 88 milliards d’euros pour la première fois. Encore une fois, un record.
Quant aux nouvelles annonces gouvernementales, elles ont tout du virage social et vont clairement dans le sens de dépenser plus. C’est le cas avec le plan pauvreté, estimé à 8,5 milliards d’euros, ou du plafond de dépenses d’assurance maladie, revu à la hausse.
Retrouvez l’ensemble de l’interview dans ce document pdf.
Propos recueillis par Marie de Greef-Madelin et Frédéric Paya pour Valeurs actuelles.
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