L’image des trois singes s’applique parfaitement à l’histoire de la gauche et à son rapport schizophrène à l’insécurité.
– La gauche n’entend pas les Français se plaindre de plus en plus de l’insécurité.
– La gauche ne voit pas – ou plutôt ne veut pas voir – l’insécurité qui mine les banlieues.
– La gauche refuse d’en parler et de parler d’immigration pour ne pas renforcer “la bête immonde“!
Voici une excellent analyse signée Victor-Isaac Anne et parue dans Le Club de Valeurs actuelles sous le titre :
Insécurité :
la gauche morale victime de ses propres turpitudes
Quand elle ne réduit pas le thème de la sécurité à un simple enjeu idéologique, là où il s’agit d’une question concrète de la vie quotidienne, la gauche, qui est enfermée dans une posture morale, est tout bonnement inaudible.
Comment apporter une réponse à un phénomène que l’on s’obstine à minorer ? C’est l’équation insoluble que doit résoudre la gauche en matière de sécurité. Tandis que 86 % des Français font de la lutte contre l’insécurité un critère de vote déterminant pour l’élection présidentielle de 2022, selon un récent sondage IFOP pour le JDD, ce sujet demeure toujours aussi tabou à gauche de l’échiquier politique. Pourtant, plusieurs enquêtes d’opinion réalisées ces derniers mois démontrent qu’il s’agit d’une préoccupation transpartisane.
Une approche de l’insécurité pleine de désinvolture
Les sympathisants de la France insoumise ne font pas exception à la règle : dans un autre sondage du même institut paru au début du mois, 63 % d’entre eux se déclaraient « prêts à renoncer à voter en faveur d’un candidat proche de leur sensibilité politique, mais qui ne consacrerait pas une partie importante de son programme à la lutte contre l’insécurité ». Après un été 2020 particulièrement criminogène, ponctué de nombreux faits divers qui ont suscité une certaine émotion dans l’opinion publique, 54 % des sympathisants de gauche jugeaient le terme « ensauvagement » idoine pour décrire l’évolution de la délinquance.
Malgré ces données objectives, une partie de la gauche continue à traiter ce sujet comme quantité négligeable. « La question du rapport de la gauche à la sécurité est une vieille histoire, rappelle le criminologue Alain Bauer. Clemenceau et Jaurès se sont affrontés sur ce sujet au début du XX ème siècle. » Depuis lors, rien ou presque n’a changé : « La gauche n’a toujours pas tranché la question de savoir si la sécurité constitue un authentique fait social (comme l’emploi, le chômage, l’environnement, la qualité de vie, etc.) ou s’il s’agit d’une manipulation pour empêcher le mouvement social de se révolter », poursuit le professeur de criminologie au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM).
À telle chose près que ce débat n’oppose plus aujourd’hui une aile réformiste et une révolutionnaire, mais une gauche républicaine et une gauche multiculturaliste ; la seconde bénéficiant d’une surface médiatique sans rapport avec son poids électoral. Or, ce courant, qui est né dans le sillage de la gauche intellectuelle des années 70, a tendance à faire preuve d’une grande désinvolture à l’égard de la question sécuritaire. Au risque de s’aliéner les couches populaires qui sont les premières touchées par l’insécurité.
Une explication de la faiblesse historique de la gauche
Pour le politologue Pascal Perrineau, spécialiste de sociologie électorale, c’est un des éléments qui explique la faiblesse historique de la gauche aujourd’hui : « On ne peut pas demander à des catégories de la population déjà éprouvées par de multiples insécurités – économique et sociale, culturelle, sanitaire – de supporter en plus une insécurité quotidienne qu’ils connaissent beaucoup plus que les paisibles bourgeois qui habitent le VII ème arrondissement de Paris. Ne pas le comprendre va coûter très cher à la gauche. »
En réduisant la question de la sécurité à un oripeau droitard et en refusant de la considérer comme un élément réel et durable de dégradation des rapports sociaux, cette gauche scellerait son rapprochement avec l’électorat du libéralisme culturel : « Celui-là même qui a permis la victoire des écologistes dans les grandes métropoles », précise Pascal Perrineau. De sorte que la gauche fait désormais face à une contradiction inextricable : soit elle dédaigne ce sujet et acte définitivement son abandon du peuple, soit elle s’en empare, en pâtit sur le terrain de la crédibilité et perd une partie de l’électorat écolo-socialiste.
À quoi s’ajoute immédiatement une seconde aporie***, selon Pascal Perrineau : « Seule une gauche républicaine dans l’esprit de Bernard Cazeneuve aurait pu faire évoluer le logiciel de manière intelligente. Seulement, une partie des élites dirigeantes est contre ce logiciel. C’est la quadrature du cercle : un aggiornamento est impossible par le bas et par le haut, le poisson pourrit par la tête. »
La gauche contre elle-même
Alain Bauer ne dit pas autre chose, qui invite à se déprendre d’une vision politique de la gauche comme instrument politique unilatéral. Selon lui, il faut faire la différence entre une gauche des élus locaux qui investit l’enjeu sécuritaire sans aucun problème et « une gauche des tréteaux parisiens » pour qui cette question relève de la posture.
Aussi faut-il envisager cette préoccupation, non sur le terrain du discours, mais de la réalité de l’enracinement local : « La gauche des maires est lucide, rationnelle et mesurée dans son approche de l’insécurité. Ces représentants locaux, qui n’ont pas de grandes différences avec les maires de droite, parlent un langage que l’électeur comprend », estime le criminologue. Or, à mesure que l’on s’éloigne du secteur, on entre, toujours d’après lui, « dans un débat déterritorialisé, déréalisé, au sens d’une rupture avec le réel ».
Dès lors, comment expliquer que cette gauche enracinée et pragmatique demeure inaudible à l’échelle nationale ? Pour Alain Bauer, cette impuissance est la rançon d’une posture morale exclusive : « La gauche bien-pensante, avec la figure de l’intellectuel, a réussi à décrocher un magistère du Bien. Elle s’est ainsi enferrée dans ses propres représentations du dicible et de l’indicible, de ce qui est présentable et de ce qui ne l’est pas, de ce qui est autorisé et de ce qui ne l’est pas. » Si bien que lorsqu’on quitte le registre de l’administration du pays et qu’on rejoint celui du discours politique, la gauche, honteuse, ne trouve plus les mots pour parler d’insécurité.
Victor-Isaac Anne pour Le Club de Valeurs actuelles.
*** aporie : contradiction insoluble qui apparait dans un raisonnement.
PS : je présente mes excuses à tous mes lecteurs pour oser expliquer certains mots en projetant, de fait, sur eux, ma propre inculture …
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6 Réponses à “Une gauche sourde et aveugle à l’insécurité”
Pourquoi avoir interdit le cumul députation et mairie ? Cela avait l’avantage d’avoir des élus qui n’étaient pas hors-sol et qui connaissaient le terrain.
Bien d’accord avec vous !
Imaginez qu’un élu puisse être maire, député, sénateur, conseiller départemental et régional: on aurait 100 élus!
L’analyse de Alain Bauer me semble très juste… mais ne laisse que peu d’espoir à notre démocratie malade
Alain Bauer connait bien la gauche, et la franc-maçonnerie, https://fr.wikipedia.org/wiki/Alain_Bauer#Engagement_politique
ça n’enlève rien à son diagnostic, mais il faut s’en souvenir au moment des remèdes
La goche n’est pas seulement sourde et aveugle, mais debile !