La figure de proue du progressisme est encalminée.
Le premier ministre canadien, Justin Trudeau, qui a fait de son pays le laboratoire mondial du multiculturalisme, est en grande difficulté à l’approche des prochaines élections.
Le défenseur et promoteur de toutes les minorités, qu’elles soient ethniques ou sexuelles, a été récemment la victime de l’arroseur arrosé, quand a été révélé le fait que dans sa jeunesse il aimait se déguiser en noir et donc, pratiquer le blackface tant honni des progressistes.
Mathieu Bock-Côté, le pourfendeur du politiquement correct, nous raconte, dans Valeurs actuelles, la descente (aux enfers) de cet infatigable donneur de leçons.
C’est un peu long mais très utile pour nous mettre en garde contre les dangers du multiculturalisme et du progressisme qu’Emmanuel Macron tente d’imposer en France.
Justin Trudeau: le déclin d’une superstar ?
A quelques jours des élections législatives canadiennes, qui se déroulent ce 21 octobre, le sociologue québécois revient sur le parcours et le bilan du Premier ministre sortant, apôtre du multiculturalisme, lequel pourrait se retourner contre lui.
Il y a quatre ans, quelques semaines avant les élections fédérales canadiennes du 19 octobre 2015, rares étaient ceux qui auraient parié sur une victoire de Justin Trudeau. Celui qui était vu alors comme le fils un peu simplet de Pierre Elliot Trudeau, certainement le Premier ministre le plus important de l’histoire du Canada moderne (1968·1979, 1980-1984), qui a refondé le pays en 1982 dans la matrice du multiculturalisme, passait davantage pour un people qu’un politique, plus à l’aise pour faire des pitreries dans une émission de variétés que pour s’imposer comme une figure crédible dans une émission politique. Élevé dans les coulisses du pouvoir, il était apparu publiquement la première fois après la mort de son père, en 2000, à qui il avait livré un vibrant hommage. On l’avait connu professeur de théâtre, comédien plus ou moins raté ou boxeur d’un jour : il était difficile de l’imaginer à la tête du gouvernement fédéral canadien. S’il avait conquis la direction du Parti libéral du Canada (centriste et multiculturaliste) en 2013, c’était essentiellement grâce à son nom de famille et parce que cette formation politique semblait à ce moment si mal en point que ses grandes figures avaient préféré s’en tenir éloignées. Mais la politique est le domaine de l’improbable et une conjoncture particulière peut porter au premier rang un homme qui, hier encore, ne parvenait pas à être pris au sérieux. C’est exactement ce qui s’est passé avec Justin Trudeau.
La conjoncture politique l’a bien servi. Il a commencé la campagne troisième, derrière le Parti conservateur (droite) et le Nouveau Parti démocratique (gauche travailliste), mais est parvenu à profiter de l’usure du premier et des gaffes à répétition du second pour se faufiler à la première place. À la surprise générale, Justin Trudeau a constitué un gouvernement majoritaire que les élites canadiennes ont vite célébré en y voyant le retour du pays à sa vocation progressiste, après une parenthèse conservatrice de dix ans, de 2006 à 2015. Dès son élection, toutefois, Justin Trudeau a été coopté par le star-system international.
Jeune (43 ans), beau, élégant, bien marié avec une superbe femme et père de trois enfants, il fut présenté comme le leader politique progressiste par excellence, incarnant le rêve canadien dans un monde apparemment hanté par le populisme – ce discours s’intensifiera à la suite de l’élection tion de Donald Trump à la Maison-Blanche en 2016, les médias jouant de leurs différences pour marquer le destin contrasté des deux pays qui se partagent l’Amérique du Nord. Trudeau accumulera les unes de magazine : il semblait incarner à merveille les élites mondialisées, et, loin de paraître ringard et attaché plus qu’il ne le devrait au passé, il maîtrisait parfaitement les codes du politiquement correct, comme s’ils lui étaient naturels.
Ainsi, alors qu’on lui demandait pourquoi il s’était plié avec enthousiasme au principe de la parité hommes-femmes dans la formation de son gouvernement, il répondit tout naturellement que c’était « parce que nous [étions] en 2015 ». C’est ce qu’on pourrait appeler l’argument du calendrier : celui qui s’opposerait à ce principe s’opposerait au sens de l’histoire et serait donc réactionnaire. Dans le même esprit, le gouvernement Trudeau avait des allures de carte postale censée refléter fidèlement le Canada contemporain, qui aime se représenter comme un Disneyland diversitaire. Peu notèrent toutefois que le cabinet était essentiellement anglophone et que rares étaient les ministres maîtrisant la langue française – sauf ceux provenant du Québec, naturellement – , ce qui n’est pas sans relativiser la prétention du Canada à être un pays bilingue. On l’a vite compris, le Canada de Trudeau allait se présenter sur la scène du monde comme le pays de la diversité heureuse. Dans un entretien accordé au New York Times dans les semaines suivant son élection, Justin Trudeau affirmera que le Canada n’aurait aucun noyau identitaire non plus qu’aucune culture fondatrice et se définirait exclusivement par sa diversité. Le multiculturalisme devenait La matrice exclusive pour définir l’identité canadienne, et liquidait une fois pour toutes, dans la mesure où il en restait quelque chose, la référence aux deux peuples fondateurs, canadien anglais et québécois, à l’origine de la fédération canadienne.
Un peu avant son élection, en 2015, les tribunaux fédéraux avaient ainsi jugé qu’une femme pouvait au Canada prêter son serment de citoyenneté en niqab, sans jamais dévoiler son visage. Justin Trudeau embrassera cette décision en y voyant une autre preuve de la disposition favorable du Canada envers la diversité.
Le Canada va ainsi, pendant quelques années, valoriser le niqab comme un double symbole d’émancipation.
- Il représenterait d’abord l’émancipation diversitaire, en exprimant le droit des minorités à se définir et à s’afficher sans se plier aux moeurs de la majorité.
- Il représenterait aussi l’émancipation féminine, dans la mesure où il démontre la possibilité pour une femme de se vêtir comme elle l’entend, sans se soumettre à qui que ce soit.
L’ouverture au niqab sera vue comme la marque distinctive de la modernité canadienne. Le Canada serait la superpuissance morale de notre temps, et même le laboratoire d’un nouveau modèle de communauté politique. Toujours, il devrait donner l’exemple – les Canadiens ont généralement besoin de croire que leur pays est le meilleur au monde et qu’il représente la prochaine étape dans l’histoire du progrès humain.
C’est ce qui poussera Justin Trudeau, en janvier 2017, à vouloir maximiser l’ouverture du Canada aux migrants. Alors que Donald Trump raffermissait la politique américaine à l’endroit des immigrés et des réfugiés, Justin Trudeau publiera deux tweets affirmant globalement que le Canada accueillerait tous les déshérités de la Terre qui se présenteraient à ses frontières:
« À ceux qui fuient la persécution, la terreur et la guerre, sachez que le Canada vous accueillera […] indépendamment de votre foi. La diversité fait notre force. »
Cela a provoqué un afflux d ‘immigrés traversant illégalement la frontière au Québe, et ce flux n’a pas vraiment cessé depuis. On y verra une forme de sans-frontiérisme appliqué, celui d’un homme qui à plusieurs reprises, dans son mandat, a pleuré publiquement en demandant pardon pour les fautes historiquement commises par le Canada contre la diversité. Justin Trudeau est un orateur lacrymal.
Mais qui a vécu par l’image périra par l’image …
… et c’est en poussant le multiculturalisme jusqu’à la caricature que Justin Trudeau a connu son premier revers sur la scène internationale. Lors d’un voyage en Inde en février 2018, il a senti le besoin de se déguiser en costume traditionnel indien à chaque étape de son parcours – c’est sa famille en entier qu’il déguisait, en fait. On l’a vu plus d’une fois esquisser quelques pas de danse, comme s’il était à la foire. Le gouvernement indien lui-même l’accueillera très froidement. Mais cette fois, ses pitreries se sont retournées contre lui. Trudeau n’avait plus l’air ouvert mais ridicule. Plusieurs se demandèrent s’il ne s’était pas simplement égaré en politique, et si sa victoire de 2015 n’était pas un immense malentendu. Premier ministre au leadership faible, plus apte à régner qu’à gouverner, comme on l’a vu au moment du scandale de SNC (une affaire de conflits d’intérêts où s’est empêtré son gouvernement), Justin Trudeau a déçu dès lors qu’il a dû renoncer à une définition strictement symbolique de l’action politique. Certains se demandent si son seul héritage n’aura pas consisté à légaliser la marijuana, pour transformer une fois pour toutes le Canada en festivocratie. C’est aussi sous le gouvernement Trudeau que Service Canada, l’institution fédérale responsable des relations avec les citoyens, en est venu à suggérer que les représentants de l’État ne s’adressent plus aux citoyens en les appelant Monsieur ou Madame, de peur de les « mégenrer » – il serait moralement scandaleux, apparemment, de présumer de l’identité sexuelle de quelqu’un.
C’est en ayant cela à l’esprit qu’on peut aborder la controverse du blackface de Justin Trudeau, qui a fait le tour du monde et a gâché le début de sa présente campagne électorale, quand on a découvert que, dans sa jeunesse, il s’était plus d’une fois peint le visage en noir, notamment dans le cadre d’une fête costumée.
Dans un Canada anglais dominé par le politiquement correct, on a voulu y voir tout autant de gestes racistes du Premier ministre, ce qui l’a poussé d’ailleurs dans une séance d’autoflagellation publique humiliante, en s’accusant d’avoir manqué de sensibilité à l’endroit des minorités. Paradoxalement, il n’a trouvé, pour le défendre dans cette crise, que le Québec, qui refuse manifestement d’aborder l’affaire du déguisement exclusivement à partir des traumatismes associés à l’expérience historique américaine. La parole s’est néanmoins libérée: qui est ce Premier ministre enfant qui, au cours de son mandat, n’a jamais cessé de se déguiser de mille manières, comme s’il empruntait des rôles pour combler son vide intérieur ? Tous ont néanmoins convenu que si une telle histoire de déguisement avait concerné n’importe quel autre candidat de n’importe quel parti, Justin Trudeau aurait été le premier à exiger son expulsion de la campagne électorale. L’ histoire du blackface l’a marqué du sceau de l’hypocrisie.
Nul ne sait si Justin Trudeau remportera les élections du 21 octobre. Jusqu’à la mi-campagne, il misait sur le Québec, la seule province « française » de la fédération canadienne, pour se maintenir au gouvernement – les Québécois, comme c’est souvent le cas dans une nation minoritaire, ont tendance à voter pour un des leurs lorsqu’il se présente à la tête du gouvernement. Mais l’opposition déclarée de Trudeau à la très importante loi 21 que vient d’adopter l’Assemblée nationale du Québec, qui affirme le principe de la laïcité de l’État et qui incarne le rejet par les Québécois du multiculturalisme canadien, pourrait lui coûter cher. Au moment où l’on écrit ces lignes, l’électorat francophone se détourne de lui et les nationalistes se tournent vers le Bloc québécois, un parti indépendantiste qui entend défendre les intérêts du Québec à Ottawa. Les présentes élections fédérales pourraient annoncer le retour du conflit entre le Canada anglais et le Québec. Qu’un Trudeau contribue à le réanimer nous rappelle que l’histoire s’écrit sous le signe de la continuité. Justin Trudeau a beau avoir un nom francophone, il est ce qu’on appelle au Canada un assimilé, c’est-à-dire un Québécois anglicisé et devenu étranger à son propre peuple. Son français massacré en témoigne. Ni Canadien anglais ni Québécois francophone, il incarne, à sa manière, le Canada contemporain, post-national, hybride sur le plan identitaire, incapable de se définir autrement que dans le culte de la diversité. Son histoire personnelle annonce celle du peuple québécois s’il s’entête à demeurer dans la fédération canadienne et n’opte pas finalement pour l’indépendance.
Mathieu Bock-Côté pour Valeurs actuelles.
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