Voici la suite de l’article consacré aux statisticiens et à la dernière tribune de Jérôme Fourquet dans Le Figaro :
L’épargne des ménages comme financement
En 2003, Nicolas Baverez publiait La France qui tombe. Ce livre qui s’alarmait déjà du décrochage du pays, fit grand bruit. À l’époque, le poids de la dette publique ramené au PIB atteignait 63%. Nous en sommes à près de 110% aujourd’hui, ce qui représente plus de 56.000 euros par habitant, contre 16.000 euros en 2003. D’aucuns en déduiront qu’il y a toujours eu des Cassandre et que le modèle français est des plus résilients. Mais comme disait le camarade Lénine : « les faits sont têtus ». Les chiffres également. Les charges d’intérêts de la dette publique (État et autres organismes publics) sont passées de 40 milliards en 2003 à 55,5 milliards vingt ans plus tard. En 2023, la charge des intérêts de la dette publique (55,5 milliards) a quasiment égalé le budget de l’Éducation nationale (56,5 milliards), premier budget de l’État. Au regard des trajectoires tendancielles, la charge de la dette de l’État devrait prochainement dépasser le budget de l’Éducation. D’ici un ou deux ans, le financement de l’endettement accumulé au cours des dernières décennies consommera davantage de ressources publiques que l’Éducation nationale, budget censé préparer et assurer l’avenir du pays. Tout un symbole.
Cet endettement croissant a permis, comme on l’a dit, de financer l’extension et le fonctionnement d’une sphère publique omniprésente, ainsi que de soutenir la consommation. Mais il a également fourni un débouché à l’épargne de bon nombre de ménages. 25% de la dette souveraine de l’État français sont ainsi détenus par des épargnants français au travers des placements en « fonds euros » des assurances-vies. Offrant des conditions fiscales intéressantes, l’assurance-vie est plébiscitée par les Français qui ont les moyens d’épargner. Selon l’INSEE, 40% des Français disposaient d’une assurance-vie en 2022 contre seulement 29% en 1999. Le choix réitéré pour le déficit public et l’endettement de l’État s’est accompagné du formidable essor de l’assurance-vie qui ne drainait en 1981 que l’équivalent 15,6 milliards d’euros, contre pas moins de 1923 milliards à la fin de l’année 2023, selon France-assureurs. 78% de cette somme est placée dans des fonds-euros, investis en grande majorité dans des obligations, notamment émises par l’État français.
Le modèle stato-consumériste présente ainsi une certaine cohérence puisqu’il a su développer un produit d’épargne attractif en direction des classes moyennes et supérieures et de nos établissements bancaires et assureurs (qui détiennent 25% de la dette publique) qui permet de financer une partie de l’endettement public. On rappellera toutefois que la moitié de la dette française est détenue par des investisseurs étrangers, ce qui n’est pas forcément un grand gage d’indépendance et de souveraineté. Autre effet pervers du modèle stato-consumériste, toute cette épargne des ménages et des institutions financières tricolores fléchée vers la dette publique et les emprunts d’État ne s’investit pas dans le développement des entreprises françaises, qui manquent cruellement -autre travers hexagonal- de fonds propres et d’investisseurs.
Déficit commercial désormais structurel
Un autre symptôme préoccupant de l’impasse dans laquelle nous mène le choix de ce modèle stato-consumériste, réside dans le creusement spectaculaire de notre déficit commercial. Des années 1970 au début des années 1990, la balance commerciale française a oscillé autour de l’équilibre, avec quelques creux passagers suivis d’un retour à un équilibre précaire les années suivantes. Le commerce extérieur français a ensuite connu une quinzaine d’années fastes au cours des années 1990 et au début des années 2000, période caractérisée par la faiblesse des cours du pétrole, la sous-évaluation de l’euro et l’essor lié à la nouvelle économie (arrivée d’internet).
La situation va ensuite s’assombrir au milieu des années 2000, la balance commerciale affichant un premier solde négatif en 2006 (-4,3 milliards d’euros), avant de se dégrader régulièrement : -21,9 milliards en 2013, -49 milliards en 2020 et une perte historique de 102 milliards en 2022.
Ce creusement du déficit commercial n’est pas sans conséquence sur notre souveraineté économique. Comme l’explique Jean-Marc Daniel : « La France accumule les déficits extérieurs dont la conséquence est un transfert de moyens financiers à ses fournisseurs, et plus généralement au reste du monde. Comme elle ne parvient pas à vendre assez pour couvrir le coût de ses importations, elle se vend à ses partenaires commerciaux utilisant le produit de leurs ventes réalisées sur son territoire pour acheter son patrimoine. Concrètement, l’avoir extérieur net de la France, c’est-à-dire la différence entre la valeur de ce que les Français détiennent à l’étranger et celle de ce que les étrangers détiennent en France, ne cesse de se détériorer. En 2001, cet avoir était légèrement négatif (-40 milliards d’euros, soit 2,7% du PIB). Depuis, pour combler le déficit systématique de sa balance des paiements courants, la France a creusé son avoir extérieur net qui s’élevait début 2023, à -630 milliards d’euros. Ce faisant, elle se rapproche dangereusement du plafond fixé par les accords européens, soit 35% du PIB ».
Un pays « en voie de détention »
L’analyse économique distingue les pays « détenteurs », dont les avoirs nets extérieurs sont positifs et les pays « détenus », affichant un avoir net extérieur négatif. De ce point de vue, la France est donc de plus en plus un pays « détenu » ou « en voie de détention », une part croissante de ces actifs économiques et de son patrimoine immobilier étant possédée par des investisseurs étrangers.
Depuis le début des années 2000, toute une série de fleurons industriels français sont ainsi passés sous pavillon étranger comme le montre la liste suivante :
Rachats de grandes entreprises françaises par des groupes étrangers
- 2004 : Rachat de Pechiney par Alcan
- 2006 : Rachat d’Arcelor par Mittal
- 2015 : Rachat d’Alcatel-Lucent par Nokia
- 2015 : Rachat de Lafarge par Holcim
- 2015 : Rachat de Norbert Dentressangle par XPO Logistics
- 2015 : Rachat du Club Med par Fosun
- 2017 : Rachat de Technip par FMC Technologies
- 2019 : Rachat de Latécoère par Searchlight
Inversement, des grands groupes français ont racheté des concurrents étrangers comme Axa avec le réassureur américain XL ou bien Suez avec son homologue américain GE Water. Mais selon la Banque de France, les « non-résidents » possèdent aujourd’hui près de 40% de l’ensemble du capital de l’ensemble des entreprises du CAC 40.
L’acquisition par des acteurs étrangers s’observe également sur le marché de l’immobilier haut de gamme. Les investisseurs étrangers ont représenté, en 2022, 20% des achats dans le 7e arrondissement de Paris, 18,4% dans le 6e et 16,3% dans le 8e. De la même manière, en Haute-Savoie, 21% des résidences secondaires appartiennent à des étrangers.
On peut voir dans ces achats la preuve de l’attractivité de notre pays et un apport de devises bienvenu. On peut aussi les considérer sur un plan plus systémique, comme les symptômes d’une perte de substance et de surface financières résultant d’une balance commerciale structurellement déficitaire et traduisant un lent et silencieux appauvrissement de la France. Dit autrement, pour équilibrer le déficit commercial récurrent généré par l’adoption du modèle stato-consumériste, la France cède progressivement son patrimoine et ses bijoux de famille.
La suite de La Tribune est à lire dans l’article original du Figaro.
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Une réponse à “Le parler vrai des statisticiens (2)”
momo macron le roi de l’economie, le mozart de la finance, s’est fourvoyé comme d’habitude.
Il exelle pour couler le pays.