Pour Le Figaro Magazine, Tom Wolfe, le Balzac new-yorkais scrute l’Amérique de Trump et de Harvey Weinstein. A 86 ans, l’inventeur du « nouveau journalisme » n’a rien perdu de sa verve et continue d’envoyer au « bûcher des vanités » les conformismes de son époque.
Je vous propose une partie d’une interview de Tom Wolfe parue dans le Figaro Magazine. La première partie est dédiée à une critique de la théorie de l’évolution de Darwin. La seconde, la seule rapportée ici, a pour sujet le politiquement correct qui envahit tout, tant en France qu’aux Etats-Unis.
L’analyse de Tom Wolfe est vraiment intéressante, notamment sur les ravages du politiquement correct, les raisons de la victoire de Donald Trump et l’impact d’internet sur le métier de journaliste et l’appauvrissement de leurs publications qui en découle.
« Le politiquement correct est devenu
l’instrument des classes dominantes »
Il est l’un des plus importants écrivains vivants. Peut-être le plus grand « écrivain français » contemporain, tant son oeuvre est imprégnée de celles de Zola et de Balzac. L’auteur d’Illusions perdues avait pour projet d’identifier les « espèces sociales »de l’époque, tout comme Buffon avait identifié les espèces zoologiques. Il voulait « écrire l’histoire oubliée par tant d’historiens, celle des moeurs » et « faire concurrence à l’état civil ». Comme Balzac est « le secrétaire de la société » , Tom Wolfe, l’inventeur du « nouveau journalisme », est le secrétaire de son époque, l’ethnologue des tribus post-modernes :
- les psychédéliques sous acide (Acid Test, 1968),
- les gauchistes de Park Avenue (Radical Chic, 1970),
- les astronautes (L’Etoffe des héros, 1979),
- les golden boys de Wall Street (Le Bûcher des vanités, 1987),
- les étudiants décadents des grandes universités (Moi, Charlotte Simons, 2004),
- les Latinos immigrés en Floride (Bloody Miami, 2013) …
Son costume blanc, qu’il ne quitte jamais, est un instrument de diversion. Une manière de détourner l’attention pour ne pas avoir à en dire trop sur son art ou sur lui-même. Wolfe a toujours préféré les faits et les longues descriptions à la psychologie et aux explications de texte. Mais, à 86 ans, le dandy réac n’a plus rien à perdre et n’élude aucun sujet. Au téléphone, d’un ton volontiers distancié et malicieux, il s’amuse des moeurs de l’Amérique progressiste et démasque son hypocrisie. Le phénomène #Balance ton porc – et ses conséquences – pourrait être, selon lui, « la plus grande farce du XXI ème siècle » . Dans son dernier essai, Tom Wolfe semble faire un pas de côté. Il y déboulonne les thèses évolutionnistes de Darwin. Pour autant, Le Règne du langage (Robert Laffont) n’est en rien un traité scientifique. A travers la figure de Darwin, dignitaire installé qui aura su ériger sa théorie en dogme, Wolfe continue d’observer la « comédie humaine ».
Alexandre Devecchio : Depuis l’un de vos premiers livres, Radical Chic (Le Gauchisme de Park Avenue en français), vous fustigez le politiquement correct, le gauchisme culturel, la tyrannie des minorités. L’élection de Donald Trump est-elle la conséquence de ce politiquement correct ?
Tom Wolfe : Dans ce reportage, d’abord paru en juin 1970 dans le New York Magazine, je décrivais une soirée organisée, le 14 janvier précédent, par le compositeur Leonard Bernstein dans son duplex new-yorkais de treize pièces avec terrasse. La fête avait pour objet de lever des fonds en faveur des Black Panthers … Les hôtes avaient pris soin d’engager des domestiques blancs pour ne pas froisser la susceptibilité des Panthers.
Le politiquement correct, que je surnomme PC, pour « police citoyenne », est né de l’idée marxiste que tout ce qui sépare socialement les êtres humains doit être banni pour éviter la domination d’un groupe social sur un autre. Par la suite, ironiquement, le politiquement correct est devenu l’instrument des « classes dominantes », l’idée d’une conduite appropriée pour mieux masquer leur « domination sociale » et se donner bonne conscience. Peu à peu, le politiquement correct est même devenu un marqueur de cette « domination » et un instrument de contrôle social, une manière de se distinguer des « ploucs » et de les censurer, de délégitimer leur vision du monde au nom de la morale. Les gens doivent désormais faire attention à ce qu’ils disent. C’est de pire en pire, en particulier dans les universités. La force de Trump est sans doute d’avoir rompu avec cette chape de plomb. Par exemple, les gens très riches font généralement profil bas alors que lui s’en vante. Je suppose qu’une partie des électeurs préfère cela à l’hypocrisie des politiques conformistes.
Alexandre Devecchio :Dans votre oeuvre, le statut social est la principale clef de compréhension du monde. Le vote Trump est-il le vote de ceux qui n’ont pas ou plus de statut social ou dont le statut social a été méprisé ?
Tom Wolfe : A travers Radical Chic, je décrivais l’émergence de ce qu’on appellerait aujourd’hui la « gauche caviar » ou le « progressisme de limousine », c’est-à-dire une gauche qui s’est largement affranchie de toute empathie pour la classe ouvrière américaine. Une gauche qui adore l’art contemporain, s’identifie aux causes exotiques et à la souffrance des minorités, mais méprise les « rednecks » de l’Ohio. Des Américains ont eu le sentiment que le Parti démocrate faisait tellement des pieds et des mains pour aller séduire les différentes minorités qu’il en arrivait à négliger une partie encore considérable de la population. A savoir cette partie ouvrière de la population qui, historiquement, a toujours été la moelle épinière du Parti démocrate. Durant cette élection, l’aristocratie démocrate a pris le parti de favoriser une coalition de minorités et d’exclure de ses préoccupations la classe ouvrière blanche. Et Donald Trump n’a plus eu qu’à se pencher pour ramasser tous ces électeurs et les rallier à sa candidature.
Alexandre Devecchio : Que vous inspirent l’affaire Weinstein et la polémique #Balance ton porc ?
Tom Wolfe : Personne ne se donne la peine de définir correctement le terme d’agression sexuelle. C’est une catégorie fourre-tout qui va de la tentative de viol à la simple attirance. C’est de cette confusion que naissent tous les excès. Je suis partagé entre l’effroi, en tant que citoyen, et l’amusement, en tant que romancier, pour cette merveilleuse comédie humaine. Si cela continue, cela peut devenir la plus grande farce du XXI ème siècle. Dans la presse locale, encore ce matin dans le New York Post et le New York Times, ces affaires sont en lettres capitales à la une. Aujourd’hui, n’importe quel homme qui prête n’importe quelle sorte d’attention à n’importe quelle femme, par exemple sur son lieu de travail, devient un « prédateur ». Depuis cette affaire, j’entends partout autour de moi des hommes dire à de jeunes femmes qu’ils fréquentent « je ne devrais pas être vu avec toi ici ou là », « nous travaillons dans la même entreprise et je suis à un poste hiéarchique plus elevé et tout cela va faire trop mauvais genre ». Les hommes s’inquiètent désormais de trouver certaines femmes attirantes.
Voilà qu’on se retrouve à s’opposer aux lois naturelles de l’attraction qu’il faudrait désormais ignorer. Personne ne parle de ces femmes, et elles sont pourtant nombreuses, qui prennent un plaisir réellement considérable à rencontrer sur leur lieu de travail un collègue masculin qu’elles trouvent attirant. Un homme qu’elles n’auraient pas eu la chance de rencontrer autrement. Je pense que le monde n’a pas tant changé pour que l’on se mette à proclamer qu’aujourd’hui les femmes ne désirent soudain plus attirer l’attention des hommes. En vérité, rien n’a vraiment changé, hormis le fait que les femmes disposent d’un puissant outil d’intimidation qu’elles n’avaient pas auparavant. Elles peuvent maintenant remettre à leur place ces hommes dont l’attention est trop extrême ou qu’elles jugent trop vulgaires, écarter un rival sur le plan professionnel ou encore se venger d’un amant « trop goujat ». Pour inculper quelqu’un d’agression sexuelle, il semble désormais que la seule parole de la femme soit suffisante et certains demandent déjà un renversement du droit qui obligerait l’homme soupçonné à faire la preuve de son innocence.
Alexandre Devecchio :Vous êtes l’inventeur du « nouveau journalisme ». Un journalisme qui se rapproche de la linérature dans la forme, mais qui repose aussi sur la minutie des enquêtes et la précision des faits rapportés. A l’heure du numérique et de l’immédiateté, ce journalisme est-il mort ?
Tom Wolfe : A l’époque, les bureaux du Herald étaient à Times Square. Il suffisait de descendre dans la rue poser des questions aux gens. J’utilisais ce que j’appelle la technique de l’homme de Mars. J’arrivais et je disais : « Ça à l’air intéressant, ce que vous faites ! Moi, j’arrive de Mars, je ne connais rien, qu’est-ce que c’est ? » Aujourd’hui, certains journalistes ne sortent jamais de leur bureau. ils font leurs articles en surfant sur internet. Pourtant, il n’y a pas d’alternative : il faut sortir ! Quand de jeunes écrivains ou journalistes me demandent un conseil, ce qui est rare, je leur dis toujours : « Sors ! » Au final, le nouveau journalisme c’était quoi ? J’ai toujours pensé que c’était simplement une technique d’écriture sur un sujet non fictif avec toutes les méthodes normalement utilisées pour la fiction. Pour moi, l’un des principes du nouveau journalisme est d’écrire scène par scène, comme pour un scénario. Le futur de ce genre dépend des jeunes qui se lancent. Mais ils lisent tout en ligne désormais. Et, quand vous lisez en ligne, juste pour la simple raison que vous lisez sur un fond très lumineux, vous avez beaucoup de mal à lire des longs formats . Une fois les huit cents mots dépassés, vous commencez à fatiguer. Et tout cela invite les journalistes à raccourcir leur écriture. La lecture est de plus en plus rapide et cela force l’auteur à renoncer à tout un tas de techniques qui peuvent pourtant donner à un article une puissance sans pareil. Il devient plus difficile de parler des détails désormais, le décor, la façon dont les gens s’habillent, tout cela prend énormément de place. Il n’y aura plus beaucoup d’auteurs ou de journalistes que l’on pourrait appeler des plumes. Le style demande un dur labeur. Aujourd’hui, on met l’accent sur tout ce qui est efficace. C’est ce à quoi sont formés les journalistes. Déjà à mon époque, on nous demandait de faire court, car les journaux craignaient la concurrence de la télévision. Cela n’a pas empêché le nouveau jomnalisme d’être un succès. Je crois que cela pourrait fonctionner , y compris sur des formats numériques. Vous savez que tous les livres de Zola sont encore disponibles en anglais partout aux Etats-Unis ? On les réimprime tout le temps.
Propos recueillis par Alexandre Devecchio pour le Figaro Magazine.
L’interview complète est disponible ici.
Quand on sait que la plupart des comportements notés aux Etats-Unis arrivent en Europe et en France quelques années plus tard, la question qui se pose est : qui sera le prochain Trump français ? Jean-Luc Mélenchon ?
Un Trump de gauche, ça risque d’être pire encore que l’original !
Quand Trump tente de construire un mur à la frontière mexicaine, Mélenchon ouvrirait toute grande les portes de l’immigration.
Alors que Trump vient de baisser spectaculairement les impôts pour les entreprises, Mélenchon les accablerait de charges.
Etc …
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