Il y a un peu plus de 45 ans, Claude Imbert et Olivier Chevrillon créait le magazine Le Point.
Séduit par le magazine et sa ligne éditoriale, je m’abonnai dès le début de l’aventure de ce magazine. Malheureusement, en 2011, l’arrivée d’un intrus à la tête de la rédaction, un transfuge du Nouvel Obs, me poussa à la décision difficile de rompre avec le magazine.
Cet intrus s’appelait Franz-Olivier Giesberg dont je ne pus supporter la suite ininterrompue de chroniques au vitriol contre Nicolas Sarkozy.
Claude Imbert nous a quitté il y a quelques années et je lui garde une admiration sans borne. Eric Zemmour aussi, semble-t-il, qui, a consacré, à l’occasion la publication d’un ouvrage regroupant toutes les chroniques du fondateur du Point, une billet dans le Figaro.
L’angle de ce texte est très original, voire surprenant – peut-être même provocateur pour certains – puisqu’il ose comparer le calme Claude imbert à la très pugnace Elisabeth Lévy, considérée à gauche comme l’égérie de la fachosphère.
La comparaison m’est apparue pourtant très intéressante. Je vous la soumet pour avis …
Petites maisons avec vue sur l’histoire
La différence fondamentale entre le journaliste et l’écrivain est sans doute dans leur rapport au temps. Le journaliste charrie l’éphémère tandis que l’écrivain flirte avec l’éternel. Et puis, il y a les chroniqueurs. Les pieds dans la glaise du journalisme, ils ont la tête dans les étoiles de la littérature. Ils sont à la charnière des deux mondes. Le passage entre les deux univers est consubstantiel à notre génie national. Les chroniques de Chateaubriand, Péguy, Maurras, Bainville, Suarès, Mauriac, Sartre ou Aron, et bien d’autres, sont partie intégrante de notre Empyrée* littéraire. Le recueil de chroniques est à la fois l’outil et le test du passage réussi – ou raté. Le livre donne l’épaisseur du temps; il révèle aussi cruellement les lacunes – de forme – ou les erreurs de fond.
Comme le reconnaît avec honnêteté Élisabeth Lévy, « il y a un peu de masochisme à publier en volume des chroniques rédigées au fil de l’actualité et déjà parues ». Masochiste, la patronne du mensuel Causeur s’avère aussi le juge le plus lucide de son travail : « À l’exception de quelques très grandes plumes (du passé pour la plupart), aucun chroniqueur n’échappe aux faiblesses congénitales du genre : le bavardage flirte avec la réflexion, l’impression va au secours de la conception. »
Claude Imbert était, lui, d’une autre génération. Sa prose est plus tenue, contenue, retenue, moins débraillée, à la manière de ses costumes. Avec une pointe de coquetterie parfois, dans un mot rare ou vieillot. Ses cmoniques données chaque semaine au Point, depuis la création du journal, en 1972, s’étalent sur quarante armées et s’achèvent en 2012, au moment même où celles d’Élisabeth Lévy commencent. Les deux ouvrages éclairent crûment le choc des générations : Imbert séduit par l’élégance classique de sa phrase, quand Lévy charme par la truculence de ses formules à l’emporte-pièce. Imbert imite sans l’atteindre le modèle indépassable du Bloc-notes de François Mauriac; Lévy paye sans barguigner sa dette à l’égard de son pygmalion Philippe Muray. L’un vient d’une droite libérale et européenne, sous la tutelle de Raymond Aron; l’autre vient d’une gauche républicaine et souverainiste, sous le parrainage initial de Jean-Pierre Chevènement et de Régis Debray.
Les deux ont en commun d’être membres de ce nouveau pouvoir médiatique dont Imbert a annoncé l’avènement, avec une prescience admirable, lors de la chute de Nixon dans le scandale du Watergate :
Dressée sur la dépouille du président américain, une nouvelle classe de la société d’aujourd’hui émerge : celle des campus universitaires, des intellectuels, des ingénieurs, des professions libérales, des cadres, celle qui (…) se définit par son savoir et ses compétences. Cette classe ne tolérait pas le mépris que Nixon lui vouait. Distincte du monde ouvrier, comme de cette bourgeoisie industrielle, agricole et commerçante qui reste liée à la propriété, elle constitue le nouveau tiers état des nations modernes. Ce tiers état vient de commettre calmement, sans terreur ni drame populaire, son « régicide ». Il n’est pas au bout de sa route.
Période révolutionnaire que ces années 1970, qui vont faire naître notre monde. Pour le meilleur et surtout pour le pire. Il est savoureux à ce propos de lire l’actuel directeur du Point qui, concluant sa préface élogieuse – forcément élogieuse – , se croit obligé d’utiliser les textes de son prestigieux prédécesseur comme d’un gourdin à l’intention des apôtres du « C’était mieux avant, s ‘accrochant aux photos sépia ». Or, en lisant les chroniques des années 1970, et surtout celles des années Pompidou, on est frappé par l’éclat d’une France sûre d’elle-même et dominatrice, qui n’a que des problèmes d’intendance, soldant grâce à une richesse inédite, les derniers reliquats de la misère ouvrière née au XIX ème siècle. Imbert fait ainsi l’éloge de Pompidou mourant, qui, « en homme d’État – sont- ils si nombreux ? – a maintenu les deux vérins essentiels de la machine française , c’est-à-dire la solidité de l’État et l’indépendance de la France en matière de politique étrangère. Comme cet essentiel est depuis seize ans, assuré, on le croit éternel. Il n’en est rien. »
À sa manière, Elisabeth Lévy ne dit pas autre chose, lorsqu’elle écrit à propos des problèmes rencontrés par l’école : « Je suis vernie. Je suis entrée au collège en 1973, alors que la réforme Haby était encore dans les tuyaux et je l’ai quitté avant qu’elle produise ses effets les plus désastreux. »
Cette lutte contre le « pédagogisme » et les « baguenauderies en tous genres » (Imbert, bien sûr) ne sera pas le seul rapprochement que les temps de plus en plus orageux vont susciter entre ces deux- là. Seule la manière les oppose. Même le féminisme ne les sépare pas. Imbert glorifie « un féminisme à la française qui n’abolit pas la distinction biologique des sexes » tandis que Lévy, évoquant drôlement le temps de « Cro-Magnon et cro-mignonne » dénonce « ces effrayantes donzelles (qui) finiront par nous faire regretter la domination masculine ». Seule l’Europe reste une pomme de discorde. Affaire de génération encore. Imbert est de celle qui, au sortir de la guerre, « rêvait d’un arc-en-ciel européen pour remplacer le rose des planisphères où se peignaient la France et son Empire » , tandis que Lévy est adepte d’un agnosticisme tout voltairien vis-à-vis de la religion de l’Europe : « Seulement, essayez de fonder une religion dont le prophète serait Habermas *** ».
Et puis, il y a l’islam. La question saute au visage de tout lecteur de bonne foi. Inexistante au cours des années 1970 et 1980, elle s’impose à partir de l’affaire des voiles de Creil en 1989. « L’entêtante question de l’islam et de son acculturation en France, devenue le révélateur et l’accélérateur du malaise identitaire » (Lévy), devient au fil des ans et des chroniques, préoccupation, souci, angoisse, obsession, jusqu’à écraser, chez l’un comme chez l’autre chroniqueur, tous les autres sujets de réflexion et d’inquiétude. C’est alors, dans cette accumulation même, que le recueil de chroniques sort du journalisme pour entrer dans ce qui n’est pas encore l’éternité – et ne le sera peut-être jamais – mais est déjà l’Histoire.
Eric Zemmour pour le Figaro.
* Empyrée : Nom donné dans certains systèmes cosmologiques antiques à la sphère céleste supérieure, où était réuni l’élément igné **. Partie la plus élevée du ciel, que les dieux habitaient.
** igné : Qui est en feu. Qui se fait sous l’action de la chaleur : Fusion ignée.
*** Habermas : Jürgen Habermas (, Düsseldorf) est un théoricien allemand en philosophie et en sciences sociales. Il est avec Axel Honneth l’un des représentants de la deuxième génération de l’École de Francfort, et développe une pensée qui combine le matérialisme historique de Marx avec le pragmatisme américain, la théorie du développement de Piaget et Kohlberg, et la psychanalyse de Freud. Il a pris part à de nombreux débats théoriques en Allemagne, et s’est prononcé sur divers événements sociopolitiques et historiques. Lire la suite sur Wikipedia
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