Les cow-boys populistes au pouvoir

Publié par le 6 Jan, 2025 dans Blog | 0 commentaire

Les cow-boys populistes au pouvoir

Je reprends des éléments d’un dossier passionnant publié par le Figaro Magazine dans un numéro récent :

Etats-Unis, Argentine, Salvador
Les cow-boys au pouvoir
Enquête sur une révolution populiste

Les trois « cow-boys » en question sont Donald Trump, Javier Milei en Argentine et Nayib Bukele au Salvador.

Le premier article de ce dossier est signé Alexandre Devecchio dans lequel il propose une analyse politique fouillée de ces victoires populistes et de leurs probables implications futures en Europe et en France.

La méthode Trump pour maitriser l’Etat profond et pouvoir vraiment gouverner est pleine d’enseignements qui devraient être médités par Marine Le Pen et son parti …

Je relaye cet article qui sera suivi par des articles dédiés à chacun des « cow-boys » :

Avec leur style outrancier et leurs méthodes de cow-boys, Donald Trump, Javier Milei et Nayib Bukele, le président de la République du Salvador, sont regardés comme des ovnis politiques. Ils pourraient être à l’avant-garde d’une révolution populiste appelée à durer et, peut-être, redéfinir les contours de la démocratie.

Samedi 7 décembre, le monde entier n’avait d’yeux que pour Notre-Dame si bien que la plupart des chefs d’Etat de la planète n’ont fait que jouer les seconds rôles. À deux exceptions près. La première n’est autre que Volodymyr Zelensky, accueilli par une salve
d’applaudissements. La deuxième se nomme … Donald Trump vers qui tous les regards se sont tournés lorsqu’il est entré dans la cathédrale. Emmanuel Macron, qui ne quittait pas d’une semelle le 47ème président des États-Unis, paraissait vouloir capter une
partie de son aura et de son pouvoir de fascination. Tout le monde semblait
rêver d’être photographié avec celui qui était encore considéré, il y a peu,
comme un paria.

Un véritable changement d’époque : fini le temps des technocrates, bienvenue dans l’ère des cow-boys ! Leurs partisans en font les remparts de la civilisation occidentale, leurs détracteurs de nouveaux démons, ils déroutent ceux qui, avec Alain Finkielkraut, ne comprennent pas comment une absence totale de civilité pourrait perpétuer un art de vivre. Qui aurait pu imaginer un tel scénario il y a 4 ans lorsque les partisans de Donald Trump avaient envahi le Capitole? La plupart des observateurs pensaient que le milliardaire ne se relèverait pas de ce qu’ils considéraient comme une tache indélébile. Beaucoup espéraient que sa défaite serait synonyme de reflux de la vague dite populiste qui, depuis la victoire du Brexit en 2015, déferlait sur nombre de démocraties occidentales. Le « moment populiste » n’aurait été qu’une parenthèse dont l’attaque du Capitole aurait été le point final chaotique, avant le retour à la situation antérieure. D’autres observateurs, comme le directeur de la Fondapol, Dominique Reynié, se montraient cependant plus prudents, notant la progression de Trump de 1 million de voix entre 2016 et 2020.

Le camp trumpiste s’est élargi. Malgré la défaite, on est loin du schéma de l’effondrement,

avertissait-il. Dans les mois et les années qui suivirent, la réélection de Viktor Orbán en Hongrie, la progression constante du RN en France, la popularité de Nayib Bukele, le président du Salvador, la victoire des Démocrates de Suède, celle de Giorgia Meloni en Italie, de Javier Milei en Argentine ou de Geert Wilders aux Pays-Bas, et enfin la percée de l’Ukip en Grande-Bretagne, confirmèrent que la tendance n’était pas au reflux. Bien au contraire.

Du populisme contestataire au populisme de gouvernement

La résilience du populisme n’était, en réalité, guère surprenante dans la mesure où les problèmes qui avaient permis la première élection de Trump ou la victoire du Brexit (baisse du niveau de vie des classes moyennes et populaires; immigration de masse et
montée en puissance du multiculturalisme et du wokisme ; bureaucratie impuissante et déconnectée ; ensauvagement de la société et crise de l’autorité) restaient entiers et que la classe dirigeante se montrait incapable d’y apporter des réponses ou refusait tout
simplement de les prendre en compte.

L’incrovable come back politique de l’homme à la crinière orange marque cependant une nouvelle étape dans la recomposition à, l’oeuvre. Sa première victoire s’inscrivait dans un mouvement de dégagisme et était avant tout celle d’un populisme contestataire : une forme de réaction brouillonne aux désordres sociaux et culturels engendrés par des décennies d’ouverture inconsidérée des frontières. Ce populisme première génération traduisait la volonté des peuples de recouvrer leur souveraineté, de protéger leur modèle social et leur identité face aux migrations massives, de renouer avec un certain nombre de limites et de permanences face au rouleau compresseur de la globalisation. Mais il n’apparaissait pas en mesure de proposer une alternative s’inscrivant dans le temps long et pouvait donc laisser penser que le « moment populiste » ne serait que transitoire.

Avec la deuxième élection de Trump, tout l’enjeu est de passer d’un populisme contestataire à un populisme de gouvernement. Si l’élection de 2016 pouvait apparaître comme un accident électoral et avait surpris l’intéressé lui-même, cette fois Trump a un plan et une stratégie de gouvernement nourris par des intellectuels et des experts conservateurs. Trump reste un cow-boy, mais il n’est plus aussi solitaire qu’auparavant et est entouré d’une armée de mercenaires. Ces derniers ont fait le constat que l’échec de la première expérience Trump était moins lié aux foucades du milliardaire qu’aux blocages auxquels son gouvernement s’est heurté faute de relais dans l’élite. Et qu’il ne suffit pas de gagner les élections et de changer de gouvernement pour diriger un pays, mais qu’il faut, parallèlement, en transformer la technostructure administrative et juridique.

En finir avec l’Etat profond

Paru quelques jours après l’élection américaine et préfacé par le vice-président JD Vance, le livre de Kevin Roberts, Dawn’s Early Light. Taking back Washington ti Save Alerica (Les premières§des lueurs de l’aube. reprendre Washington pour sauver l’Amérique) éclaire l’ambition du second mandat de Trump. L’auteur propose rien moins qu’une « seconde révolution américaine » pacifique aux électeurs désireux de remettre le pouvoir entre les mains du peuple. Chapitre après chapitre, il dessine les contours de cette révolution, identifiant les institutions que les conservateurs doivent construire, celles qu’ils doivent reprendre, et d’autres encore qui seraient trop corrompues pour être sauvées. Kevin Roberts n’est autre que le président des la Heritage Foundation, l’influent think-thank conservateur qui a mis en place le projet 2025, un plan d’action de grande envergure pour remodeler le gouvernement fédéral américain et consolider le pouvoir exécutif après l’investiture de Trump. Si durant la campagne, le candidat républicain, accusé de fascisme, avait pris ses distances avec le Projet 2025, tout semble indiquer désormais qu’il souhaite appliquer le programme théorisé par Kevin Roberts et par une nouvelle génération de conservateurs. Le coeur de la promesse trumpiste est d’en finir avec ce qu’il appelle l’Etat profond : c’est à dire l’élite bureaucratique et financière qui domine la vie politique depuis les années 1980 aux Etats-Unis. C’est en ce sens qu’il faut lire un certain nombre de nominations ébouriffantes : comme une volonté de grand remplacement des élites progressistes pour faire émerger une nouvelle élite populiste plus susceptible, selon lui, de répondre aux défis nouveaux du temps présent.

Cette stratégie n’est pas sans rappeler celle de Viktor Orban. Le premier ministre hongrois, qui a théorisé le concept de démocratie illibérale, n’a pas hé-sité à réformer en profondeur la technostructure de son pays, à revoir le statut se certaines cours constitutionnelles oui à s’extraire de certains règlements européens. Hasard ou coïncidence, réélu quatre fois consécutivement, il est l’une des rares figures populistes qui soit parvenue à proposer un véritable contre-modèle et à gouverner dans la durée. Son pays est devenu le lieu de la tension extrême entre la souveraineté populaire et l’Etat de droit, ses partisans considérant qu’il est pleinement démocrates et ses adversaires qu’il représente un danger pour les libertés fondamentales.

Mais si le laboratoire hongrois n’a pas réussi à étendre son influence au delà de l’Europe centrale, la « révolution américaine », si elle venait à se concrétiser, pourrait bien avoir un tout autre impact sur l’ensemble des démocraties occidentales.

Populisme de droite contre populisme de gauche

Reste que le populisme se conjugue au pluriel et est un phénomène éminemment protéiforme. De Trump à Milei en passant par Meloni, Orbn et Bukele, il semble exister autant de populismes que de peuples et de cultures auxquels ils renvoient. Le philosophe Pierre-André Taguieff le définit comme :

un style politique fondé sur le recours systématique à l’appel au peuple. Il se reconnait en outre paradoxalement à l’indétermination et au syncrétisme de ses orientations.

Si en Europe et dans une moindre mesure aux Etats-Unis, le phénomène populiste est relativement nouveau, il est en Amérique latine plus ancien. Et fut, là-bas, longtemps ancré à gauche (on peut citer Eva Peron en Argentine ou plus récemment Hugo Chavez au Venezuela, Lula au Brésil ou encore Evo Morales en Bolivie, qui sont des sources d’inspiration de Jean-luc Mélenchon et de la France insoumise) avant d’être concurrencé par un populisme de droite (Bolsonaro au Brésil, Milei en Argentine, Bukele au Salvador). Le point commun entre le populisme occidental et le populisme latino-américain est qu’ils prospèrent tous deux sur fond d’insécurité systémique et de crise économique et sociale profonde. Si le processus de « mexicanation » de l’Europe et des Etats-Unis se poursuit, cela préfigure peut-être que le grand clivage du XXI ème siècle dans les démocraties occidentales opposera un populisme gauche et un populisme de droite. Si pour l’heure les cow-boys Trump, Milei ou Bukele sont encore regardés comme des ovnis politiques, ils pourraient bien former l’avant-garde d’un nouveau monde.

Pour le meilleur et pour le pire.

Alexandre Devecchio pour Le Figaro Magazine.

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