« Les invisibles sont devenus incontournables »

Publié par le 29 Oct, 2020 dans Blog | 0 commentaire

« Les invisibles sont devenus incontournables »

Les politiques n’ont plus rien à nous dire !

La gauche, en trahissant le peuple, a perdu ses idées.

La droite, singeant la gauche, a renié les siennes.

Aujourd’hui, les gens simples – ordinaires, nous dit Christophe Guilluy – sont en rebellion contre les élites. En rébellion économique après le déclassement des classes moyennes, et rébellion culturelle et identitaire par peur du Grand Remplacement, farouchement nié par ces élites.

Heureusement, des personnalités qui appartiennent à l’élite intellectuelle française, se désolidarisent de la bien-pensance des élites progressives en proposant des analyses pertinentes sur notre société et même des solutions pour sortir de l’impasse où ces mêmes élites nous ont conduits.

C’est, par exemple, bien sûr, Eric Zemmour dont l’audience ne cesse de monter sur CNews, et dont la tragique actualité française renforce jours après jours les thèses alarmistes.

C’est aussi le politologue Jérôme Fourquet dont l’analyse du mouvement des Gilets jaunes, L’Archipel français, est devenue une référence mais aussi le géographe Christophe Guilluy avec son best-seller la France périphérique.

Voici une interview passionnante de Christophe Guilly parue dans Le Figaro Magazine. Il y défend les thèses de son dernier ouvrage : le temps des gens ordinaires :

Certains observateurs lui reprochent de se répéter et de céder à l’idéologie. Pourtant, dans « Le Temps des gens ordinaires » (Flammarion), le géographe Christophe Guilluy approfondit et renouvelle à la fois ses thématiques. Si les fractures françaises sont plus que jamais d’actualité, analyse-t-il, le fait nouveau est la constitution d’un bloc populaire solide qui conteste le modèle globalisé et multiculturel.

Le FigMag : Hier, vous développiez le concept de « France périphérique » et de classes moyennes et populaires. Aujourd’hui, vous évoquez « les gens ordinaires ». Qui sont-ils ?

Christophe Guilluy : La classe moyenne occidentale, autrefois colonne vertébrale de nos sociétés, n’existe plus, elle est déclassée. C’est pourquoi j’utilise le concept de « gens ordinaires », qui regroupe des catégories différentes, formant hier la classe moyenne : des ouvriers, des employés, mais aussi des paysans, des retraités, des petits fonctionnaires comme des petits artisans ou indépendants. Ils peuvent être aussi bien dans les services publics que dans le secteur privé. Certains viennent de la gauche, d’autres de la droite. Ce bloc relève aussi d’origines très diverses (bien que minoritaires, il y avait des personnes issues de l’immigration, dans le mouvement des « gilets jaunes », celles-ci n’avaient pas d’étendard identitaire et se définissaient avant tout par leur catégorie sociale).

Le point commun des gens ordinaires, c’est leur regard négatif sur les effets de la mondialisation aussi bien sur le plan économique que culturel. Ils sont attachés à des valeurs plutôt traditionnelles et à la volonté de vivre de leur travail et non en tendant la main en attendant un revenu universel. Cependant, ils ont intégré le fait majeur qu’ils ne seraient plus demain dans une phase d’ascension sociale. Ils ont compris que les modèles politique et médiatique, de même que la « caste » des experts, ne les représentaient pas et qu’il y a nécessité impérieuse de repenser le modèle économique pour faire revenir de l’emploi sur les territoires désindustrialisés et paupérisés. Les gens ordinaires forment un bloc autonome, puissant et sûr de son diagnostic. Un socle solide né de l’implosion de la classe moyenne.

Le FigMag : Ce bloc existe-t-il vraiment ? Il paraît très hétérogène … Ne sommes-nous pas entrés au contraire dans l’ère de « la société liquide » ?

Christophe Guilluy : J’ai toujours trouvé le concept de « société liquide » très éclairant. Zygmunt Bauman l’avait théorisé pour mieux le dénoncer. Mais la société liquide a aussi été un objectif des  élites néolibérales qui rêvaient d’une société atomisée et segmentée hyperindividualiste, qui permettrait aux multinationales, aux banques et aux publicitaires de mener le monde. L’éclatement de la société, la relégation des humbles et la sécession des élites étaient visibles dès la fin des années 1980, comme l’ont justement montré les travaux de Bauman, mais aussi ceux de Christopher Lasch. Avec Christophe Noyé (coauteur de L’Atlas des nouvelles fractures sociales en France), nous avions évoqué les fractures sociales, mais aussi culturelles et même la question du séparatisme il y a déjà vingt ans. La question que nous nous posions alors était : « Va-t-on vers un processus de décomposition complet nous conduisant à l’atomisation et même à la disparition de la société, en particulier des classes populaires ? » A travers Le temps des gens ordinaires ,j’ai essayé de montrer que la réponse est « non ». Au contraire, nous assistons à une recomposition sociale et culturelle dont les mouvements populistes à travers le monde sont souvent la traduction politique : les « gilets jaunes », le mouvement du Brexit, mais aussi le phénomène Trump, etc. On ne peut plus parler de la France des invisibles, les classes populaires sont devenues incontournables et se sont autonomisées comme on a pu le voir durant la crise des « gilets jaunes ». C’est un changement métaculturel et métapolitique. La décomposition absolue, l’individualisme radical épouse la vision des « néolibéraux », c’est pourquoi leur réaction immédiate lors de l’apparition des « Brexiteurs » ou des « gilets jaunes » est de segmenter. Ces mouvements seraient, selon eux, morcelés et hétérogènes, regroupant des catégories opposées.

Le FigMag : Le mouvement des « gilets jaunes » a tout de même été incapable de trouver un leader et a fini par se dissoudre, faute de cohérence …

Christophe Guilluy : Selon moi, les « gilets jaunes » n’étaient qu’un début. Prenons l’exemple des Brexiteurs : les « gilets jaunes » britanniques en quelque sorte. Alors même que les médias prétendaient qu’ils regrettaient leur vote, la majorité des Britanniques, sous l’impulsion de la « working class », ont confirmé à deux reprises le Brexit: en plébiscitant d’abord le Parti du Brexit lors des élections européennes, puis en donnant une majorité nette à Boris Johnson. On a aussi prétendu qu’ils étaient manipulés. Je postule exactement l’inverse : l’utilisation de la marionnette « populiste » par les gens ordinaires. Autrement dit, les ouvriers américains votent par exemple Trump parce qu’il n’y a rien d’autre sur le marché. Ils se disent : « Peu importe sa coupe de cheveux et sa vulgarité puisqu’il défend nos intérêts. » De la même façon, les classes populaires britanniques utilisent le Brexit pour dire à l’intelligentsia britannique et à la BBC : « On existe ! » Tout cela prouve une intelligence politique très forte et une assurance sur leur diagnostic. Après quatre décennies de mondialisation, ils font le constat qu’ils en sont les perdants économiques et culturels. Ils ne changeront pas d’avis.

Le FigMag : Plutôt qu’à une recomposition, n’assiste-t-on pas à une « archipellisation » pour reprendre la thèse défendue par Jérôme Fourquet ?

Christophe Guilluy : Je partage le même diagnostic que Jérôme Fourquet. Je faisais déjà ce constat dans Fractures françaises dès 2010 et je n’ai pas changé d’avis. La question est de savoir si après plusieurs décennies de mondialisation, d’américanisation, le peuple a disparu comme le pense une partie des élites. La réponse est non, nous assistons au contraire à un processus de renaissance et de recomposition des gens ordinaires. Nous ne sommes donc pas allés jusqu’à la disparition du peuple, ce qui est sous-jacent, non pas dans le discours de Fourquet, mais dans l’instrumentalisation qui en est faite par les « néo libéraux » qui ne voient qu’une « société d’individus ». C’est oublier que les gens ordinaires n’ont pas les moyens de l’individualisme : les solidarités sont contraintes et préservent de fait une forme de « common decency ». Je pense au contraire que le fait nouveau est l’apparition d’un bloc populaire, qui, s’il n’a pas de représentation politique partisane indiscutable, partage bien une même vision politique et culturelle.

Prenons l’exemple de l’immigration : si la question est considérée comme polémique par les « élites », elle apparaît extrêmement consensuelle en milieu populaire. Les chômeurs de longue durée à Hénin-Beaumont dans le Nord, comme ceux de La Courneuve en Seine-Saint-Denis, souhaitent pour leurs enfants de la sécurité dans leur quartier et si possible moins d’immigration dans leur environnement. Cela ne signifie pas nécessairement qu’ils vont voter pour un même parti, mais, culturellement, quelle que soit leur origine, il y a une aspiration commune à une vie tranquille et à un environnement apaisé. La question de l’immigration n’est ni raciale ni religieuse, même s’il faut bien sûr interdire les mosquées salafistes et expulser les prédicateurs islamistes. Y compris dans les quartiers d’immigration, la demande de régulation des flux est très forte. Car les habitants de ces quartiers, pour la plupart, ne souhaitent pas accueillir toute la misère du monde et désirent que leurs enfants aillent dans des collèges où il existe encore un minimum de mixité culturelle.

Le FigMag : La question de l’immigration semble pourtant cliver profondément la société française …

Christophe Guilluy : Avoir fait de cette question un objet ultrapolitique et l’avoir sous-traitée au Rassemblement national est une arme de classe : il s’agit d’une façon pour les bobos de maintenir leur position en affichant une posture morale supposément progressiste. La régulation va, cependant, s’imposer en Europe. Le discours des partis qui se présentent comme progressistes a évolué ces dernières années. L’exemple du Danemark est très intéressant. En quelques années, le pays est passé d’une politique d’accueil très généreuse à très restrictive. Les sociaux-démocrates danois ont notamment opéré un spectaculaire virage anti-migrant expliquant que le prix du ticket d’entrée au Danemark devait être particulièrement cher. Les demandes d’asile ont chuté de 75 % et les « populistes », qui semblaient aux portes du pouvoir, se sont effondrés dans les urnes. On pourrait également évoquer le surgissement des thèses souverainistes hier jugées obsolètes. L’hypermobilité est aujourd’hui totalement has been. Nous ne sommes plus dans la folie du « bougisme »permanent. Le modèle néolibéral est en crise aussi bien économiquement que culturellement. Nous sommes en train de tourner une page.

Le FigMag : Les mouvements comme Black Lives Matter aux États-Unis ou les Indigènes de la République en France, sans parler de la montée de l’islamisme, ne sont-ils pas le signe d’un séparatisme, d’une communautarisation du monde ?

Christophe GuilluyBlack Lives Matter aux États-Unis, mais surtout en France, n’a pas mobilisé la majorité de la population noire. Ce mouvement dit subversif est, en réalité, soutenu par toutes les multinationales du monde entier. Assa Traoré est devenu l’égérie d’une intelligentsia médiatique et culturelle, mais le comité Adama, au-delà d’une poignée de militants, n’a pas de prise en banlieue.

Les gens ordinaires issus de l’immigration ne se lèvent pas le matin en pensant à Adama Traoré.

Ils pensent à leur boulot et à la sécurité pour leurs enfants. Le séparatisme, lié à la concentration de population immigrée dans certains quartiers, fait le lit de l’islamisme et représente un danger réel. Cependant aller frontalement sur la question de l’islam politique, faire sonner la fanfare républicaine, sans s’appuyer sur le bloc populaire majoritaire qui a toujours su porter concrètement, au quotidien, ses valeurs, ne résoudra rien. Le seul levier rationnel dont dispose en réalité l’Etat, c’est la régulation des flux migratoire, c’est-à-dire la limitation des entrées sur le territoire. C’est en s’appuyant sur ce bloc solide, en réaffirmant son rôle central et la légitimité de ses demandes que l’on pourra retrouver une cohérence et sortir de l’impuissance du politique.

Propos recueillis par Alexandre Devecchio pour Le Figaro Magazine.

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