Voici donc la suite de l’interview de Patrick Buisson sur LCI.
Dans cette deuxième partie, l’ancien conseiller de Nicolas Sarkozy trace un chemin pour sortir la droite de l’ornière dans laquelle elle est tombée.
Pour lui, une seule stratégie est possible : face à la jonction des libéraux de droite et de gauche opérée par Emmanuel Macron, il faut réunir l’électorat conservateur qui a voté Fillon et qui battait le pavé pour la Manif pour tous avec l’électorat populaire qui ne se reconnait absolument pas dans ce président des riches et de la mondialisation heureuse.
Très intéressant dans cet interview : Xavier Bertrand, le démissionnaire médiatique des Républicains, est habillé pour l’hiver par Patrick Buisson qui rappelle les nombreux conseils que lui demandait l’ancien ministre de Nicolas Sarkozy de 2007 à 2010 !
Voici le script de l’interview :
David Pujadas : « Vous avez conseillé Laurent Wauquiez. Est-ce que vous le conseillez toujours ?»
Patrick Buisson : « Non, je n’ai plus de rapport direct avec lui ».
David Pujadas : « La droite est de retour, une droite qui s’assume, une droite qui ne s’excuse pas d’être de droite, autant de formules de Laurent Wauquiez. Est-ce qu’il prend, pour vous, le bon chemin, pour redresser la droite ? »
Patrick Buisson : on verra à l’usage. Nous sommes là devant un discours d’intronisation. Les options sont assez simples. Elles sont d’ordre stratégique avant d’être idéologique ! L’erreur à éviter, le piège que tout le monde lui tend, c’est de reproduire ce qu’a été l’erreur initiale de l’UMP qui, à force de vouloir marier les contraires, Pasqua et Douste-Blasy sous le même drapeau, n’a fait que produire finalement que des ambiguïtés, des incohérences idéologiques et stratégiques, si bien que le bilan est terrible quand on regarde ce qui s’est passé. L’UMP a été créée en 2002. Juppé voulait, disait-il, créer une droite plurielle, après la gauche plurielle de Lionel Jospin …
15 ans après, la droite plurielle est devenue la droite plus rien !
C’est un désert d’idées. C’est une machine qui ne produit plus de pensée politique, et qui n’a pas de stratégie !
Le maître-mot de ce que doit être l’option de la droite :
ce n’est pas rassemblement, c’est désenclavement !
La question qui se pose à elle, ce n’est pas réunir dans la même structure ces talents considérables que sont Xavier Bertrand, Valérie Pécresse ou Christian Estrosi.
Je suis un peu surpris que Xavier Bertrand claque la porte aujourd’hui des Républicains en parlant de dérive ! Moi j’ai souvenir de Xavier Bertrand, dans la période 2007-2010, ministre – il l’a été à différents postes – qui n’avait pas du tout le sentiment d’une dérive à l’égard de la ligne politique que je représentais, qu’on appelait la ligne Buisson. Tant et si bien qu’il m’invitait régulièrement à dîner au ministère, qu’il me téléphonait sans cesse pour me demander des conseils. Je n’ai pas le sentiment que la ligne Wauquiez soit radicalement différente de ce qu’était la ligne Buisson. Xavier Bertrand ne voyait aucun mal, aucune difficulté à cohabiter avec ce que je représentais au sein de l’équipe du président de la République de l’époque.
Les personnes n’ont aucune importance. S’il s’agit de rassembler des ambitions, quel intérêt ? Le rassemblement, ce n’est jamais qu’un moyen, au service d’un projet politique. Ce n’est pas une fin de rassembler ! Ce n’est pas parce que madame Pécresse et monsieur Bertrand seront là que les Républicains auront le sésame pour retrouver le pouvoir !
Le désenclavement, c’est un désenclavement sociologique !
La droite doit sortir de son ghetto sociologique dans lequel elle est enfermée !
Fillon, 20 % des voix, c’est quoi ? Les retraités, les travailleurs indépendants, les femmes au foyer, ce n’est pas une équation électorale gagnante ! La seule façon, la seule formule pour que la droite puisse espérer retrouver une majorité électorale, c’est de s’adjoindre les catégories populaires.
David Pujadas, toujours réducteur et avec une arrière-pensée : « c’est à dire celles qui votent Front national ? »
Patrick Buisson : Non ! Pas forcément ! Au delà ! Le vote populaire ne se réduit pas au seul vote FN. L’équation que Wauquiez a à résoudre, c’est d’être capable de pouvoir faire l’addition de la France de la Manif pour tous, la France conservatrice et la France de Johnny qu’on a vue samedi ! S’il y parvient, alors la perspective du pouvoir s’ouvrira à nouveau pour la droite.
Question de Fabien Namias : « la bonne stratégie pour les Républicains est-elle d’affaiblir le Front national en adoptant son discours ou bien d’accepter de faire un pas vers lui ? »
Patrick Buisson : D’abord, le discours du Front national fut, pour partie, avec des nuances qu’il conviendrait d’apporter, celui de la droite il y a quinze ans ou vingt ans : le thème de l’identité, de l’enracinement, du localisme, cela faisait partie du patrimoine de la droite. Si la droite les a délaissés, de telle sorte qu’aujourd’hui, le FN s’en est emparé, ça ne veut pas dire que ces thèmes soient la propriété du FN !
La question qui se pose aux Républicains et à Wauquiez, est de savoir si le choix est idéologique ou stratégique. Ça n’est pas un choix idéologique !
La stratégie des Républicains découle du rapport de force électoral et de rien d’autre !
Il n’y a pas d’autres issues que celle qu’on peut résumer facilement : il y a une incompatibilité radicale entre la droite libérale – celle des classes dominantes urbaines, des bobos – et l’électorat populaire. Il y a entre eux un antagonisme de classe ! Leurs intérêts ne sont pas conciliables. Ils ne sont pas compatibles ! On ne peut pas à la fois, comme le veut cette droite-là, protéger les Français, et, en même temps, libérer le travail et déréguler ! Comme le fait Emmanuel Macron. Il y a une incompatibilité radicale ! Ils ne peuvent pas se retrouver. Ça n’est pas miscible !
En revanche, entre le peuple de la Manif pour tous, l’électorat conservateur qui a élu Fillon, pas du tout sur son programme économique mais sur la vision sociétale qu’il prêtait à Fillon, la France de la province, des villes moyennes, celle qui a fait le succès de Fillon, et cet électorat populaire, la tension sociologique entre ces deux électorats est bien moindre. Il y a des passerelles et des possibilités de les faire converger.
Fabien Namias relance le débat sur l’alliance avec le FN …
Réponse de Patrick Buisson : ce qui est assez extraordinaire, c’est que Marine Le Pen puisse dire : « il nous donne raison » mais ces thèmes étaient, mais mot pour mot, le programme du RPR en 1986 ! Donc, qui a rejoint l’autre ? C’est le Front national qui s’est emparé de ces thèmes.
Ce qui parait incroyable, aujourd’hui, c’est de noter que l’UDF était partie prenante de ces Etats généraux ! La bonne question est la suivante : 27 ans plus tard, les Français considèrent-ils que les problèmes d’immigration sont réglés ? Quelle démission de la droite !
Il y a une seule élection ou le Font national a perdu de 2 millions de voix, et reculé de 7 points : c’était en 2007 ! Lorsque le candidat Sarkozy se réapproprie un certain nombre de thèmes, en annonçant un ministère de l’identité nationale. Ce n’est pas le travailler plus pour gagner plus qui lui permet d’attirer cet électorat populaire, les 2 millions de voix, il les prend à Le Pen parce qu’il réintègre, dans le discours de la droite, ce qui faisait partie de son patrimoine idéologique depuis toujours.
Fabien Namias : reprendre la stratégie de Sarkozy en 2007, c’est la martingale pour Wauquiez?
Patrick Buisson : Non car on ne fait pas, en 2022, le même programme politique qu’en 2007 ! Et dans cette déclaration de Laurent Wauquiez, je vois une part d’hypocrisie, de duplicité et d’opportunisme. Il a dit qu’il faut faire l’analyse de nos échecs. Il réclame le droit d’inventaire, y compris à l’égard de Sarkozy ! On ne peut pas dire que le modèle Sarkozy est le bon quand on sait qu’il a échoué en 2012 !
Obstiné, David Pujadas revient sur le fait que Wauquiez reprend les thèmes du FN …
Patrick Buisson lui oppose une fin de non recevoir : Non, bien sur que non ! Qu’est-ce qui s’est passé en 2007 ? C’est le candidat de la droite qui a plumé la volaille frontiste. Il n’y avait pas d’accord, pas d’alliance !
Fabien Namias, tentant de minimiser le mérite de Sarkozy : « mais Jean-Marie Le Pen était très affaibli … »
Patrick Buisson lui réplique : Mais il était affaibli par la campagne du candidat Sarkozy ! Il aurait eu en face de lui, Alain Juppé , il n’est pas dit que Le Pen n’aurait pas retrouvé son score de 2002 !
Ce qui est important, c’est que le phénomène Macron est en train d’opérer plus qu’une recomposition, une clarification de la donne politique ! Macron est en train de réunifier les libéraux des deux rives, les libéraux de gauche et les libéraux de droite. On les reconnait, d’ailleurs, parce qu’à travers l’histoire, ils tiennent toujours le même discours, y compris sous la troisième République : « Mon pays avant le parti », qu’on appelait sous la troisième République … les opportunistes !
Et bien, ces libéraux-là se retrouvent, avec une cohérence idéologique très forte, autour du président de la République.
La droite, si elle veut camper une alternance et une alternative politique doit être résolument une droite sociale !
C’est pour ça que le programme de 2007 ne suffira pas ! Il faut faire des choix, des arbitrages dans l’emploi de l’argent public ! La critique que fait Wauquiez de l’assistanat, elle mérite d’être non seulement complétée mais précisée. Aujourd’hui, la critique de l’Etat-providence et de l’assistanat émane, non pas des possédants – il y en a marre de payer pour les feignants – mais des catégories populaires elles-mêmes, qui considèrent que l’argent public est mal employé !
Donc si cette droite ne fait pas les arbitrages, si la droite est seulement dépositaire des intérêts privés catégoriels, comme elle l’a été trop souvent dans l’histoire, si c’est une droite libérale, et bien je pense qu’elle ira à l’échec !
Sur l’origine de la rupture entre le peuple et les élites
Cette rupture intervient au moment de la Convention en 1793. Entre la bourgeoise révolutionnaire bénéficiaire de la Révolution et d’autre part la paysannerie de l’ouest de la France qui va se dresser et s’insurger contre la Convention. Le propre de la Convention est qu’elle est élue par une infime minorité de Français. Moins de 10 % d’un corps électoral déjà très réduit. Elle n’a pas de forte légitimité. la question de la légitimité se pose toujours quand le peuple ressent qu’il est exclu du jeu démocratique.
Mélenchon a invoqué pour la première fois la question de la légitimité au lendemain des élections législatives et je vous rappelle ces chiffres impressionnants : Mélenchon, Le Pen et Dupont-Aignant font 45 % des voix au premier tour de la présidentielle, mais ne font que 4 % de la représentation nationale aux législatives ! Et bien c’est un peu la situation de 1793 !
En conclusion
On ne peut que recommander à Laurent Wauquiez et à tout le futur bureau politique des Républicains de lire et de cette interview, et d’appliquer la stratégie préconisée par Patrick Buisson.
Et de ne surtout pas tomber dans le piège du « Rassembler à tout prix » !
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