L’Europe une fois de plus contre les peuples ?
L’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne (FRA) vient de publier un rapport sur les discriminations envers les musulmans. Or ce rapport, entièrement à charge contre les pays d’accueil, repose sur de graves fautes de méthode et des partis pris outranciers, selon le sociologue Philippe d’Iribarne, ancien élève de l’École polytechnique et directeur de recherche au CNRS.
Voici son argumentation exposée dans cet article paru dans le FigaroVox, le 26 novembre dernier. Ce texte très intéressant est néanmoins très long. Je me permets de vous en proposer un résumé qui sera suivi du texte intégral.
1 – Résumé de l’article
D’emblée, le sociologue s’en prend à la méthode utilisée
- L’étude s’appuie uniquement sur des déclarations relatives à ce qui est ressenti par les personnes interrogées. Pourtant, ce qui est déclaré est identifié à ce qui advient effectivement.
- Rien n’est mis en œuvre dans l’étude pour savoir si une attitude globale plutôt hostile envers la société d’accueil pousserait certains à qualifier de discrimination des réactions fondées en réalité sur des raisons nullement discriminatoires, tel un déficit de compétence.
- Ce n’est nullement l’ensemble, ni même la majorité des musulmans qui déclarent s’être sentis discriminés du fait de leur religion, mais une petite minorité: 17 % dans les cinq ans précédant l’enquête.
- Le rapport, en outre, fournit un ensemble de données distinguant les déclarations provenant de musulmans d’origines diverses (Afrique du Nord, Afrique subsaharienne, Turquie, Asie), hommes et femmes, et vivant dans les divers pays de l’Union étudiés. En moyenne, ceux qui viennent d’Afrique du Nord sont plus de deux fois plus nombreux que ceux venant d’Asie (21 %, contre 9 %) à se déclarer discriminés sur la base de la religion. On retrouve ces différences, encore plus amples, pour le harcèlement et les rapports avec la police. Or rien n’est dit sur ce que ces différences sont susceptibles de devoir à des divergences de manière d’être des personnes concernées.
Le rapport a été à l’évidence inspiré par une parti-pris multiculturaliste
En arrière-fond du rapport, la vision de l’intégration mise en avant est celle d’une « accommodation mutuelle ». Il est fait appel aux orientations du Conseil de l’Europe, « regardant l’intégration comme un processus dynamique à double sens d’accommodation mutuelle de tous les immigrants, y compris les musulmans, et des résidents ». Mais, en pratique, le rapport incite uniquement à réclamer une adaptation à la société d’accueil. Il est question de racisme, de xénophobie, de «crimes causés par la haine».
En réalité, l’interprétation qui paraît la plus sensée des données d’enquête est que la grande majorité des musulmans ne pose aucun problème à la société d’accueil ; et que, corrélativement, ses membres sont traités comme tout un chacun. C’est seulement une petite minorité qui est source de problèmes pour la société d’accueil et suscite, de ce fait, des réactions négatives.
Un rapport toujours à charge contre les pays d’accueil
Quand des sentiments de haine sont évoqués par le rapport, c’est toujours envers les musulmans et jamais provenant d’eux. Il est question de « harcèlement provoqué par la haine », de « harceleurs motivés par la haine ». La place que tient la haine envers l’Occident au sein du monde musulman n’est jamais évoquée. Le fait que ceux qui se déclarent le plus discriminés soient aussi ceux qui déclarent le moins d’attachement à la société d’accueil est interprété, comme si cela allait de soi, comme une relation de cause à effet. Ce serait ceux qui sont le plus discriminés qui, pour cette raison, s’attacheraient le moins à la société qui les accueille. Cette relation à sens unique est postulée, en particulier quand il s’agit de radicalisation islamiste. Il n’est pas envisagé qu’on ait affaire à un effet inverse: une attitude de rejet de la société d’accueil liée à une conception «dure» de l’islam, engendrant à la fois des comportements qui suscitent des réactions négatives et une tendance à interpréter ces réactions comme des discriminations.
La conclusion de Philippe d’Iribarne
Alors que l’intention affichée par l’étude, comme de manière générale à la famille d’études à laquelle elle appartient, est d’être au service d’une meilleure intégration des musulmans, son effet tend à être exactement inverse. Elle incite les musulmans à croire, à tort, que leurs efforts d’intégration sont vains et donc à nourrir du ressentiment et à les détourner d’accomplir de tels efforts.
L’étude sert involontairement, par ailleurs, les stratégies des islamistes militants qui travaillent à la construction d’une contre-société islamique hostile aux pays d’accueil et plus généralement à l’Occident.
Philippe d’Iribarne pour le FigaroVox
2 – Texte intégral de l’article de Philippe d’Iribarne
Un fort courant de pensée dénonce le mauvais accueil que l’Europe réserverait aux musulmans, contribuant aux difficultés d’intégration de ces derniers. Ce courant inspire nombre d’études affirmant que les musulmans sont victimes d’«islamophobie». Une telle approche vient d’être illustrée par un rapport élaboré par l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne (FRA). Le texte, intitulé «Second European Union Minorities and Discrimination Survey. Muslims – Selected findings», (septembre 2017), analyse les réponses de 10.527 personnes qui s’identifient elles-mêmes comme musulmanes dans quinze pays de l’Union. Or, dès qu’on examine de près les données recueillies, on voit qu’elles conduisent à des conclusions bien différentes de ce que le rapport prétend démontrer.
L’étude s’appuie uniquement sur des déclarations relatives à ce qui est ressenti par les personnes interrogées. Pourtant, ce qui est déclaré est identifié à ce qui advient effectivement. On trouve sans cesse des affirmations telles que: «Les musulmans ayant répondu rencontrent de hauts niveaux de discrimination», comme s’il s’agissait d’un fait avéré. Or, on trouve chez les personnes interrogées des conceptions très larges de ce qu’elles entendent par discrimination, en y incluant des différences de traitement conformes à la loi, liées à la nationalité. Rien n’est mis en œuvre dans l’étude pour savoir si une attitude globale plutôt hostile envers la société d’accueil pousserait certains à qualifier de discrimination des réactions fondées en réalité sur des raisons nullement discriminatoires, tel un déficit de compétence. De surcroît, ceux qui affirment que les musulmans en général sont discriminés sont beaucoup plus nombreux que ceux qui se déclarent discriminés personnellement. Dans cette étude, en France, 75 % des musulmans déclarent qu’il existe une discrimination sur la base de la religion alors que seulement 20 % déclarent s’être sentis personnellement discriminés sur cette base au cours des cinq dernières années. On trouve, en réponse aux mêmes questions, 72 % et 30 % en Suède, 59 % et 19 % en Belgique, 26 % et 10 % en Espagne, etc. La croyance, que l’on retrouve au sein de la population en général, selon laquelle les musulmans seraient discriminés en raison de leur religion outrepasse donc largement la réalité. Par ailleurs, «les musulmans» en général sont supposés traités sans distinction par les sociétés d’accueil, en tant que musulmans ou vraisemblablement musulmans. L’état même de musulman est censé engendrer une réaction négative. Dès sa première phrase, le rapport annonce: «Vous souvenez-vous de la dernière fois où vous avez postulé pour un emploi? Vous pouvez avoir craint que vos compétences informatiques soient insuffisantes, ou vous vous êtes tracassé à propos d’une faute d’orthographe dans votre CV. Mais, si vous êtes musulman ou d’origine musulmane et vivez dans l’Union européenne, votre nom peut suffire pour rendre certain que vous ne recevrez jamais d’invitation à un entretien d’embauche.» Or, en réalité, les données mêmes de l’enquête montrent qu’on observe, dans les pays de l’Union, des réactions très différenciées à l’égard de ceux qui se déclarent musulmans.
Ce n’est nullement l’ensemble, ni même la majorité des musulmans qui déclarent s’être sentis discriminés du fait de leur religion, mais une petite minorité: 17 % dans les cinq ans précédant l’enquête. On retrouve ce même caractère minoritaire quand il s’agit de harcèlement (du regard perçu comme hostile à l’acte de violence physique), ou encore des rapports avec la police. Dans ce dernier cas, parmi les personnes qui se déclarent musulmanes et qui ont été interrogées, seulement 16 % des hommes et 1,8 % des femmes indiquent se sentir discriminés. En fait, on a affaire à plusieurs sous-populations suscitant des réactions très contrastées. Tandis que la majorité ne se sent jamais discriminée, une minorité se sent discriminée à répétition – cinq fois par an en moyenne, jusqu’à quotidiennement pour une partie. Un tel contraste entre des groupes traités (ou qui se sentent traités) de manière aussi radicalement différente serait impossible si on avait affaire à une discrimination s’exerçant au hasard,liée au simple fait d’être musulman.
Le rapport, en outre, fournit un ensemble de données distinguant les déclarations provenant de musulmans d’origines diverses (Afrique du Nord, Afrique subsaharienne, Turquie, Asie), hommes et femmes, et vivant dans les divers pays de l’Union étudiés. En moyenne, ceux qui viennent d’Afrique du Nord sont plus de deux fois plus nombreux que ceux venant d’Asie (21 %, contre 9 %) à se déclarer discriminés sur la base de la religion. On retrouve ces différences, encore plus amples, pour le harcèlement et les rapports avec la police. Or rien n’est dit sur ce que ces différences sont susceptibles de devoir à des divergences de manière d’être des personnes concernées.
L’existence de limites au droit à l’expression des religions, spécialement dans l’entreprise, est bien notée. Mais il n’est jamais envisagé qu’une acceptation de ces limites chez les uns puisse coexister avec une rébellion à leur égard chez d’autres, cette différence d’attitude entraînant une différence de réactions des employeurs. Par ailleurs, les immigrés de seconde génération déclarent davantage rencontrer des réactions négatives du fait de leur religion que ceux de première génération (22 % contre 15 % pour les discriminations, 36 % contre 22 % pour le harcèlement). Mais il n’est jamais question, dans le rapport, de l’adoption, au sein de la seconde génération, d’une posture plus revendicative, susceptible de conduire à des comportements posant problème.
En arrière-fond du rapport, la vision de l’intégration mise en avant est celle d’une «accommodation mutuelle». Il est fait appel aux orientations du Conseil de l’Europe, «regardant l’intégration comme un processus dynamique à double sens d’accommodation mutuelle de tous les immigrants, y compris les musulmans, et des résidents». Mais, en pratique, le rapport incite uniquement à réclamer une adaptation à la société d’accueil. Il est question de racisme, de xénophobie, de «crimes causés par la haine».
En réalité, l’interprétation qui paraît la plus sensée des données d’enquête est que la grande majorité des musulmans ne pose aucun problème à la société d’accueil ; et que, corrélativement, ses membres sont traités comme tout un chacun. C’est seulement une petite minorité qui est source de problèmes pour la société d’accueil et suscite, de ce fait, des réactions négatives. Il est vraisemblable que les membres de cette petite minorité, refusant de reconnaître ce qui est dû à leur manière d’être, se déclarent discriminés.
En outre, l’interprétation, par le rapport, des sentiments à l’égard de la société d’accueil est toujours à sens unique. Les musulmans dans leur grande majorité déclarent se sentir à l’aise avec des voisins d’une religion différente ou prêts à voir leurs enfants épouser des non-musulmans. Selon le rapport, «presque tous (92 %) se sentent bien à l’idée d’avoir des voisins d’une autre religion» et presque un sur deux (48 %) n’aurait aucun problème «si un membre de sa famille épousait une personne non musulmane». Ce fait est l’objet d’une interprétation laudative. Le rapport dénonce, par contraste, les réactions peu favorables de l’ensemble de la population envers les musulmans, une personne sur cinq n’aimant pas avoir des musulmans parmi ses voisins et 30 % n’appréciant pas que son fils ou sa fille ait une relation amoureuse avec une personne musulmane. Selon le rapport, ces réponses prouvent que les musulmans sont plus ouverts et tolérants que les membres des sociétés d’accueil. Dans la comparaison ainsi faite, il n’est question que d’attitudes d’ouverture et de fermeture. L’étude ne porte aucune attention à la réalité des difficultés à vivre dans un univers où des personnes d’une autre culture peuvent tendre à imposer leurs mœurs.
Il est bien noté, certes, que l’environnement institutionnel est sans doute meilleur dans les pays d’accueil que dans les pays d’origine et que cela peut intervenir dans le haut niveau de confiance que les personnes interrogées expriment envers les institutions du pays d’accueil. Mais l’intensité de la pression sociale dans certains quartiers où les musulmans tendent à régenter les tenues et les conduites n’est jamais évoquée. S’agissant du mariage, on ne trouve pas, dans l’étude, de questions séparées pour le mariage des filles et celui des garçons, alors que l’islam les distingue. On ne trouve pas davantage de mention des difficultés concrètes associées pour un non-musulman à un mariage avec un musulman: possibilité pour un conjoint musulman d’enlever les enfants en cas de séparation pour les amener dans un pays musulman, en étant protégé par la justice du pays en question ; pression à la conversion du conjoint non musulman.
Quand des sentiments de haine sont évoqués par le rapport, c’est toujours envers les musulmans et jamais provenant d’eux. Il est question de «harcèlement provoqué par la haine», de «harceleurs motivés par la haine». La place que tient la haine envers l’Occident au sein du monde musulman n’est jamais évoquée. Le fait que ceux qui se déclarent le plus discriminés soient aussi ceux qui déclarent le moins d’attachement à la société d’accueil est interprété, comme si cela allait de soi, comme une relation de cause à effet. Ce serait ceux qui sont le plus discriminés qui, pour cette raison, s’attacheraient le moins à la société qui les accueille. Cette relation à sens unique est postulée, en particulier quand il s’agit de radicalisation islamiste. Il n’est pas envisagé qu’on ait affaire à un effet inverse: une attitude de rejet de la société d’accueil liée à une conception «dure» de l’islam, engendrant à la fois des comportements qui suscitent des réactions négatives et une tendance à interpréter ces réactions comme des discriminations.
L’étude de l’Union européenne ne se demande jamais pourquoi il existe un tel contraste entre une grande majorité des musulmans qui déclare ne jamais se sentir discriminée et une petite minorité qui déclare l’être intensément. Ce contraste montre que l’on n’a pas affaire à des réactions globales à l’égard des musulmans en tant que tels, mais à des réactions différenciées, ce qui suggère que les manières d’être de chacun, considérées dans leur grande diversité, ont un rôle majeur. Pourtant l’étude affirme, comme si cela allait de soi, que les barrières à une pleine inclusion des musulmans dans les sociétés européennes ne sont imputables qu’à ces sociétés et sont exclusivement dues à «discrimination, harcèlement, violences motivées par la haine, fréquence des contrôles policiers». Ce sont ces expériences qui peuvent à la longue réduire l’attachement des populations concernées au pays où elles résident, soutient l’étude. Le communiqué de presse diffusé à la suite de la parution de l’étude indique, comme première solution aux problèmes d’intégration des musulmans, «des sanctions efficaces contre les violations de la législation de lutte contre la discrimination».
Alors que l’intention affichée par l’étude, comme de manière générale à la famille d’études à laquelle elle appartient, est d’être au service d’une meilleure intégration des musulmans, son effet tend à être exactement inverse. Elle incite les musulmans à croire, à tort, que leurs efforts d’intégration sont vains et donc à nourrir du ressentiment et à les détourner d’accomplir de tels efforts. L’étude sert involontairement, par ailleurs, les stratégies des islamistes militants qui travaillent à la construction d’une contre-société islamique hostile aux pays d’accueil et plus généralement à l’Occident.
Philippe d’Iribarne pour le FigaroVox
* Philippe d’Iribarne est l’auteur de nombreux ouvrages dont plusieurs sont devenus des classiques, tels «La Logique de l’honneur. Gestion des entreprises et traditions nationales» (1989) et «L’Étrangeté française» (2006).