Voici la seconde partie de l’interview donnée à The EpochTimes par le sociologue québécois et journaliste de CBews, Mathieu Bock-Côté (première partie disponible ici).
Vous revenez également dans votre livre sur la crise du Covid-19 et sa méthode de gestion inspirée du modèle chinois, qui a plongé le monde occidental dans l’expérience d’un contrôle social inédit. Selon vous, la société dans laquelle nous avons vécu de 2020 à 2022 préfigure-t-elle celle dans laquelle nous pourrions être amenés à vivre au nom de la lutte contre le changement climatique ?
Je le redoute. Je ne suis pas de ceux qui pensent que la fuite de ce virus aurait été planifiée dans le cadre de je ne sais quelle conspiration. En revanche, je note que les sociétés occidentales frappées par une épidémie ont tout d’abord tâtonné pour réagir face à un phénomène qui représentait une menace inédite et qui ne faisait plus partie de leur imaginaire mental et qu’elles se sont rapidement converties à la logique du contrôle social. Bien que je puisse excuser les mesures prises par les décideurs politiques au cours de la première année, car nous étions dans le brouillard, la nature de la situation se déroulant sous nos yeux est devenue évidente par la suite.
Pour gérer la crise sanitaire, nous nous sommes inspirés, avec bien des nuances, du modèle chinois, une source d’inspiration très peu convaincante pour ceux ayant le souci de la protection des libertés individuelles. Au nom d’une urgence circonstancielle, nos politiques ont réalisé qu’ils pouvaient continuellement aller plus loin, imposant une accumulation de mesures sanitaires souvent contradictoires. Mais c’est là le propre du politique, de vouloir toujours étendre plus encore son emprise sur la société par le biais de l’édiction de nouvelles règles. C’est l’une des leçons que nous avons retenues de l’expérience Covid.
Parallèlement, je constate une grande docilité des sociétés occidentales à cet égard, ce qui est étonnant compte tenu de leur attachement affirmé à la liberté. D’une certaine manière, cela reflète l’intuition de Hobbes selon laquelle la peur de la mort violente fonde l’ordre politique. On pourrait dire que la peur de la contagion, comme celle ayant eu cours lors d’une pandémie, a suscité un niveau élevé d’obéissance à l’État.
Comme je l’écris dans mon ouvrage, je crains que l’expérience Covid ne serve de modèle à ceux qui devront gérer les futures crises. Invoquer l’urgence de la lutte contre le réchauffement climatique pourrait servir à activer une nouvelle fois l’état d’exception. Des écologistes ont considéré les mesures sanitaires admirables et imaginé leur mise en œuvre dans cette optique… L’état d’exception pandémique laisserait alors place à l’état d’exception climatique.
Dans votre ouvrage, vous reprenez cette citation de Milan Kundera : « Quand une conversation d’amis devant un verre de vin est diffusée publiquement à la radio, ce ne peut vouloir dire qu’une chose : que le monde est changé en camp de concentration ». En déployant progressivement un système de surveillance généralisé à tous les pans du quotidien, nos élites mondialisées ont-elles à vos yeux l’objectif de transformer les démocraties occidentales en camps de concentration à ciel ouvert ?
Je ne crois pas en l’existence d’un plan orchestré étape par étape par de sombres conspirateurs, mais davantage dans le rôle des idéologies qui se déploient devant nous, sans que nous ne comprenions bien le processus historique dans lequel nous sommes engagés. Or, nos sociétés sont engagées dans un processus liberticide, qui se manifeste notamment par une expansion constante du domaine des discours prohibés au nom de la lutte contre la haine, par exemple. De même, au nom de la transparence éthique, on cherche sans cesse à restreindre la sphère de l’intime et du privé à l’image de l’univers terrifiant décrit par Orwell.
Je redoute un monde où les enfants seraient encouragés à dénoncer leurs propres parents pour des comportements jugés anti-écologiques ou pour des propos non conformes aux exigences de l’idéologie diversitaire. Je ne pense pas que nous en soyons si éloignés, et crains même que nous y soyons déjà en partie. Quand le commun des mortels dit « on ne peut plus rien dire », c’est l’expression d’un sentiment généralisé de vivre dans un climat d’autocensure permanente, car une simple phrase sortie de son contexte, rapportée des années plus tard, peut suffire à causer votre exclusion sociale.
Ce qui est véritablement troublant, c’est que ceux qui promulguent de telles lois le font probablement avec de bonnes intentions, pensant pouvoir purger l’humanité du Mal qui l’habite. Nous avons une classe dirigeante dominante, une élite convaincue d’être guidée par le sens de l’histoire, craignant que de sombres passions ne ressurgissent parmi les peuples, et estimant dès lors qu’il est impératif de se prémunir. C’est toujours cette idée que la démocratie a conduit à la montée du nazisme en Allemagne et porte en elle quelque chose de sinistre. Il convient donc de se méfier du peuple, susceptible de basculer à nouveau dans l’horreur.
Vous écrivez que les initiatives les plus liberticides émanent de la technostructure européenne, alors que l’Union européenne se voulait être à l’origine championne du libéralisme. Comment analysez-vous ce paradoxe ?
Je n’ai jamais cru un instant que l’Union européenne était championne du libéralisme. L’UE est plutôt la championne de la technocratie, du saint-simonisme s’il le faut, avec une prétention à l’administration bureaucratique des affaires. Elle est mondialiste, et libre-échangiste dans le mauvais sens du terme, mais elle ne défend pas les libertés publiques.
Le terme « libéral » est l’un des plus mal définis. Si nous le définissons comme une défense des libertés publiques dans une société où l’arbitraire dans les décisions publiques est réduit sans pour autant abolir le politique, alors l’Union européenne ne correspond pas à cette vision. J’affirme même souvent que l’UE, c’est la poursuite de l’URSS par d’autres moyens : l’EURSS. Cette formule peut sembler forte, mais je ne la considère pas inexacte au regard de la tentation totalitaire qui traverse l’Union européenne, bien que sans le goulag, je le rappelle, et ce n’est évidemment pas un détail. Les deux sont fondées sur une idéologie postnationale, les deux veulent réduire à peu de choses les nations, en les condamnant à une forme de souveraineté limitée, qui ne peut s’exercer à l’extérieur de paramètres idéologiques fixés par le régime, et fonctionnent sur le mode de l’ingénierie sociale toujours plus invasive.
L’Union européenne n’est pas l’amie des libertés, elle reconduit la doctrine de la souveraineté limitée contre les peuples qui auraient la mauvaise idée de voter dans une autre direction que celle fixée par nos élites mondialisées. Ainsi, en amont du résultat des élections générales italiennes qui ont porté Giorgia Meloni au pouvoir, Mme von der Leyen avait insinué qu’elle disposait des « outils » « si les choses tournent mal ». Cette nomenklatura assimile l’expression démocratique au populisme lorsque le résultat du scrutin ne va pas dans le sens souhaité. Elle s’est d’ailleurs attristée profondément du Brexit, regrettant que le peuple, peu qualifié selon elle pour prendre de telles décisions par référendum, ait eu l’opportunité de s’extraire de l’Union européenne.
Pourtant, je ne pense pas que ces élites soient si qualifiées et compétentes qu’elles méritent nos louanges. Elles nous ont menés vers des sociétés en proie à la violence, surbureaucratisées, surfiscalisées et surendettées, et où les peuples historiques sont progressivement mis en minorité par l’immigration massive. Ces élites ne méritent ni notre admiration, ni notre adhésion.
Propos recueillis par Etienne Fauchaire pour The EpochTimes.
Suivre @ChrisBalboa78