Liberté, j’oublie ton nom

Publié par le 9 Juil, 2019 dans Blog | 0 commentaire

Liberté, j’oublie ton nom

La « droitosphère », que les bien-pensants appellent la fachosphère, se mobilise contre les atteintes à la liberté d’expression que la macronie ne cesse d’imposer grâce à une majorité-godillot sans âme.

On ne compte plus les articles dénonçant cet air du temps nauséabond et notamment la future loi contre les contenus haineux.

J’ai déjà relayé plusieurs de ces articles :

Je récidive ce matin avec une figure des sites de ré-information, j’ai nommé Elisabeth Lévy, fondatrice de Causeur.

Voici son dernier article de fond :

Minorités lyncheuses, « fake news », Facebook:
sale temps pour nos libertés !

Liberté, j’oublie ton nom

A l’ère de la post-vérité, un récit commun unifié par la Raison n’est plus possible. Les réseaux sociaux devaient être les outils d’émancipation de l’individu connecté. Hélas, ce Far West virtuel est livré aux fabricants de bobards et aux minorités lyncheuses. Les Etats n’arrangent rien en tranquant la haine et les « fake news » au nom du Bien …

C’est un changement insidieux, qu’on ne voit pas opérer et qu’on peine à décrire. Il ne se manifeste pas par des événements susceptibles de nourrir des « unes » et des « éditions spéciales », mais par une foultitude de petits faits. Le plus inquiétant est que les Français ne le mentionnent jamais parmi leurs sujets d’inquiétude. Nos libertés les plus fondamentales sont menacées, à commencer par celle de penser et de publier nos pensées – l’une n’allant pas sans l’autre et les deux étant la condition de toutes les autres. Et soit nous ne le voyons pas, soit nous le voyons et nous nous en fichons, plus soucieux de vivre riches, ou en tout cas de parvenir à un niveau estimé « normal » de consommation, que de vivre libres. La perte de notre autonomie intellectuelle nous importe moins que celle de notre pouvoir d’achat, devenu le critère de la vie bonne à tous les échelons de la société. En somme, nous n’écrivons plus le nom « Liberté » que sur nos cahiers d’écolier. Et il n’y aura bientôt plus de cahiers d’écolier.

On dira qu’un petit tour dans une dictature nous remettrait les idées en place. Que, dans un pays où des manifestants ont pu bloquer des centres-villes 20 samedis d’affilée, le problème est plutôt qu’on peut dire et faire n’importe quoi. Bref, que ce n’est pas l’ordre, mais la pagaille qui nous menace. Sauf que la pagaille peut aussi être un prélude aux rappels à l’ordre. Certes, Emmanuel Macron ne va pas commencer à 40 ans une carrière de dictateur, mais pour Frédéric Rouvillois, lorsqu’il s’agit de restreindre la liberté de manifester, fût-ce au nom de ce bien commun qu’est l’ordre, la main du président ne tremble pas assez.

Toutefois, c’est la liberté d’expression, prise en étau entre un nombre croissant de restrictions législatives et le politiquement correct, qui est aujourd’hui la plus en péril. Les attaques sont menées à plusieurs niveaux : par de multiples associations qui entendent faire respecter la susceptibilité de leur clientèle ou, comme le décrit Erwan Seznec, défendre une noble cause allant de la lutte contre la violence routière à l’enfance heureuse ; par les élus ou les gouvernants qui leur cèdent ; par les innombrables redresseurs de torts qui se pensent autorisés à exiger que leurs contradicteurs se taisent. La censure est à l’œuvre sur les nombreuses scènes qui constituent l’espace public, des universités, où d’éminents professeurs doivent employer l’écriture inclusive, aux palais nationaux, où on rêve d’un conseil de l’ordre qui dirait ce qu’est le bon journalisme. Or, face à ces incessantes demandes de nouvelles restrictions, beaucoup abandonnent le combat, préférant adoucir ou déguiser leur pensée que perdre leur boulot, leurs clients, leurs amis ou leur réputation. Seuls les bistrots semblent encore échapper à la surveillance de la police de la pensée. À condition de ne pas y être espionné par un crétin à smartphone – ou par Edwy Plenel.

Pour autant, le terme « totalitarisme soft » employé par notre cher Mathieu Bock-Côté (dont Stéphane Germain recense l’ouvrage dans Causeur sous le titre « Le réac venu du froid ») n’est pas complètement satisfaisant, car il suggère qu’il y a quelque part un effroyable Monsieur No qui se serait mis en tête d’asservir l’humanité. Or, à quelques exceptions près, comme celle des Indigènes, aujourd’hui, Monsieur No porte un jean et des baskets, mange sans gluten et rêve de faire le bonheur de ses semblables. Il ne cherche pas à les endoctriner, mais à leur apporter la vérité. Monsieur No, c’est à la fois Zuckerberg, Macron, votre voisin. Et moi.

Pour comprendre la nouveauté de notre situation, un bref retour en arrière s’impose. La loi de 1881 qui garantit la liberté de la presse prévoit aussi la sanction de ses abus tels que la diffamation et l’injure. L’évolution des mœurs aidant, on pénalisera plus lourdement la haine des Arabes, des juifs ou des homosexuels. Fort bien. Avec la loi Gayssot, votée en 1990 dans l’excellente intention d’en finir avec le négationnisme, on passe à un autre registre. Pour la première fois, le législateur (qui, dans notre République bien tenue, met en musique la volonté de l’exécutif) se mêle de combattre les bobards en définissant une vérité objective. Cette rupture avec notre tradition libérale s’avère peu efficace, car les vérités objectives finissent toujours par apparaître à certains, constitués en réseaux de connivence plus ou moins vastes, comme des vérités officielles qui profitent aux puissants ou à qui vous savez.

Il s’agissait, en interdisant la contestation d’un crime du passé, de protéger le groupe qui en avait été la première victime. Le privilège judiciaire accordé aux juifs a fait des envieux, chaque communauté religieuse ethnique et désormais sexuelle estimant (non sans logique) qu’elle avait aussi le droit à une protection particulière, d’abord contre les agressions, puis contre les critiques, enfin contre les opinions dissidentes ou les blagues. Depuis, on assiste à une extension permanente du domaine de l’interdit, au point que certains demandent que l’on fasse taire les « climato-négationnistes ». Et si, pour l’instant, les associations islamistes ou crypto-islamistes ont échoué à faire inscrire dans la loi un délit d’islamophobie, Richard Malka observe avec tristesse qu’il n’est nullement besoin d’une loi, dès lors que plus personne n’oserait aujourd’hui blasphémer au sujet de l’islam. Qui voudrait mourir pour un dessin ?

Le règne des réseaux sociaux, présentés par les ravis de la crèche numérique comme une nouvelle frontière de la liberté, a radicalement accru la pression sur les nôtres. C’est qu’avec cette invention diabolique qui a fait de chacun un émetteur d’information, la production et la diffusion de bobards (désormais appelés « fake news ») ont acquis une dimension et une efficacité industrielles. Comme le pointe en substance Gérald Bronner, nous avons tous tendance à voir ce que nous croyons et à croire ce que nous voulons. Or, la technologie aidant, rien n’est aujourd’hui plus simple que de fabriquer et de faire circuler des preuves d’apparence très convaincantes permettant d’étayer des thèses farfelues ou dangereuses sur l’existence des extra-terrestres ou la nocivité des vaccins.

Il suffit d’un « bad buzz » pour être licencié et même parfois pour être marqué à vie

Ainsi sommes-nous entrés dans ce que les spécialistes ont appelé l’ère de la post-vérité ou des vérités alternatives où, faute de récit unifié par la Raison, il n’existe plus de monde commun. Une diablerie en appelant une autre, nos gouvernants et les Gafam, à qui nous avons donné le droit de nous surveiller, s’emploient désormais à lutter contre les « fake news » et l’expression de la haine en ligne. À lire Jeremy Stubbs et Sébastien Dieguez, les remèdes sont soit inopérants soit plus nocifs que le mal. En tout cas, la loi contre « la manipulation de l’information », adoptée par le Parlement en décembre dernier, n’a finalement servi qu’à interdire (provisoirement) une campagne gouvernementale sur Twitter. En revanche, chaque jour, des comptes sont suspendus, des images et des contenus refusés par des algorithmes dont on ne peut contester les décisions que par de pénibles procédures, généralement sans succès.

Quand bien même Emmanuel Macron caresserait les intentions liberticides que lui prêtent ses adversaires, face aux plates-formes, d’une part, et aux internautes déchaînés de l’autre, les politiques ne font pas le poids. Dans ce Far West devenu une puissance en lui-même, ce ne sont pas eux qui font la loi.

Emballés par la modernité d’un outil qui promettait à n’importe qui son quart d’heure de célébrité, les médias traditionnels, puis une grande partie de la société ont décidé qu’il s’agissait d’un lieu d’expression légitime de la vox populi, alors même que l’expression n’y obéit à aucune règle, sinon celles que dicte la technique. Ainsi a-t-on permis aux réseaux sociaux, ou plutôt aux meutes qui y sévissent, de s’ériger en tribunaux populaires. Il suffit en effet d’un « bad buzz » pour être licencié et même, dans les cas les plus graves, pour être marqué à vie. Plus encore que les individus, les institutions et les entreprises sont lâches. Elles préfèrent souvent commettre une injustice que risquer d’attirer sur elles la foudre numérique.

Les milieux antiracistes ont longtemps été les spécialistes incontestés de ces procès expéditifs. On peut pourtant survivre à leurs accusations (surtout quand elles sont infondées, c’est-à-dire très souvent). Certains médias refusent d’inviter Zemmour par peur d’un déluge d’insultes antiracistes, mais la plupart ignorent ces interdits. Les flots de haine déversés sur Alain Finkielkraut ne lui ont pas fait perdre un seul lecteur. Cependant, incapable d’exercer une influence réelle au-delà de l’UNEF et de certains campus, le décolonialo-indigénisme qui a absorbé, dévoyé et racialisé la lutte contre le racisme conjugue maintenant la ratiocination numérique et la pression physique. Le 25 mars, c’est en montrant les muscles que certains de ses représentants ont empêché, pour cause de prétendu « blackface », une représentation des Suppliantes à la Sorbonne. Quelques semaines plus tard, celle-ci avait lieu et chacun se félicitait de ce bel acte de résistance. Tu parles Charles ! En réalité, l’Ouvreuse raconte1 que les masques criminels ont purement et simplement disparu. La censure a gagné et nul n’a moufté. Reste qu’en cette matière, nul n’arrive à la cheville des néoféministes. (Voir mon éditorial de juin).

Nous croyons vivre dans un monde où on peut dire n’importe quoi et nous nous en plaignons souvent. Mais déjà nsoous censurons instinctivement nos opinions les plus minoritaires. Si la vie en société devrait commander une certaine civilité dans la forme, la pensée ne saurait être soumise à la tyrannie de la majorité ni à celle de minorités actives, quand bien même elles prétendraient parler au nom des femmes, des musulmans ou des pêcheurs à la ligne. À accepter que la bienséance et la loi se mêlent chaque jour un peu plus de dire le licite et l’illicite en matière d’expression publique, nous finirons par nous réveiller dans un monde où il sera impossible de proférer quoi que ce soit de vaguement inconvenant, déroutant ou amusant. Nous pourrons alors nous dispenser de penser.

Elisabeth Lévy pour Causeur.

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