Depuis la victoire d’Emmanuel Macron, vous avez pu observer une certaine retenue de ma part, aussi bien dans la critique que dans l’approbation. Comme beaucoup de Français intéressés par la politique, comme je le suis, c’est le sentiment de sidération qui prévaut ! Le bouleversement politique est tellement énorme qu’il laisse beaucoup d’entre nous sans voix !
Sidération, que nous dit le Larousse : Anéantissement subit des forces vitales, se traduisant par un arrêt de la respiration et un état de mort apparente.
C’est sans doute un peu fort pour qualifier mon état mais en tout cas cela décrit bien celui des deux anciens grands partis de gouvernement : les Républicains et le Parti socialiste !
Nous sommes à la fois impressionnés par la réussite du nouveau président, qui je le redis encore ici, va rejeter le quinquennat de Hollande dans l’oubli le plus total, et aussi un peu effrayé par cette victoire écrasante qui se profile à l’assemblée nationale. Nous attendons tous les premières mesures prises par le gouvernement pour nous faire une idée de ce qui se cache derrière la communication dosée mais parfaitement huilée du nouveau locataire de l’Elysée.
Voici un article de Jean-Claude Paye, sociologue, paru sur le site du Réseau Voltaire. Cet article est consacré à l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron et au pouvoir sans partage qu’il serait en train de mettre en place. Je ne partage pas totalement la sévérité du propos mais je relaye cet article pour ouvrir la discussion dans ces colonnes.
L’article étant assez copieux, je me propose de le relayer en deux fois, avec le plan suivant :
Première partie
- Introduction
- Le législatif désigné par l’Exécutif
- Annihilation du pouvoir législatif
- Subordination de la fonction exécutive
Seconde partie :
- Etat d’urgence et réforme du Code du travail
- La moralisation de la politique
- Une morale à géométrie variable
Voici donc la première partie :
Que rien ne change, pour que tout change !
Introduction
Il est beaucoup trop tôt pour analyser la politique du président Macron qui n’est aux affaires que depuis un mois. Il est cependant possible d’observer la manière dont il ré-organise le système politique, les nominations auquel il procède, et de prendre en compte l’annonce de ses prochaines réformes pour évaluer son orientation : la France se dirige vers une dictature administrative au service de la Commission européenne.
L’élection du candidat « anti-système » Emmanuel Macron, au poste de président de la République, ne révolutionne pas le système, ni les « valeurs » politiques. Les réformes présentées s’inscrivent dans une tendance existante depuis des dizaines d’années, telle l’absence de toute alternative possible à la mondialisation libérale. Cette politique est consacrée par la primauté des marchés et des organisations internationales sur les politiques nationales, ainsi que par la volonté d’être, en même temps, de gauche et de droite , une modernisation du « ni gauche, ni droite » de la « troisième voie », déjà en partie adoptée par les partis continentaux.
Surtout, cette élection finalise une crise aiguë de la représentation partisane. L’organisation des primaires enlevait déjà aux membres d’un parti la possibilité de désigner leur candidat. En outre, nombre de dirigeants socialistes réclamaient le démantèlement de leur propre parti. L’effondrement du système de représentation politique, ainsi que sa « réorganisation » par le mouvement En Marche ! n’est donc pas une surprise, mais l’aboutissement d’une tendance lourde. Il s’agit, comme le slogan de campagne de Georges Pompidou l’exprimait, d’un « changement dans la continuité ».
Le Législatif désigné par l’Exécutif
Cependant, la succession rapprochée de modifications d’ordre quantitatif aboutit à une mutation qualitative. Il suffit que rien ne change dans la tendance imprimée aux réformes pour que celles-ci aboutissent à une transformation profonde de l’organisation du pouvoir.
La plupart des prérogatives ont déjà été transférées aux mains de l’exécutif, au détriment des pouvoirs législatif et judiciaire. Cependant, c’est la première fois que le président a la possibilité de choisir directement une partie importante des membres de l’Assemblée nationale. Le premier tour place l’alliance d’En Marche ! et du Modem [1] en tête des votes exprimés. Plus de 30 % des suffrages devraient lui assurer une confortable majorité, nettement au-dessus de la majorité absolue, à l’issue du 2ème tour. Ce résultat a donné à Emmanuel Macron la possibilité de désigner une grande partie des élus, celle composant sa majorité parlementaire. En effet, la structure d’En Marche ! est particulièrement centralisée. Le mouvement présente une spécificité : les candidats à l’élection législative ne sont pas élus par les bases locales du mouvement, mais désignés, d’en haut, par une commission dont les membres sont choisis par Emmanuel Macron [2]. Les élus n’apparaissent plus comme représentants, de sections locales de partis et d’électeurs d’une circonscription électorale, mais comme des agents du Pouvoir exécutif légitimés par le vote des citoyens. Remarquons que le projet présidentiel de réduire le nombre de députés, de 577 à 300, ne pourra que renforcer la fragilité des députés face à un président, auquel ils sont redevables de leur poste et de son éventuel renouvellement.
Si le Président n’a pas encore la possibilité « d’élire le peuple », il a néanmoins la capacité de choisir nombre de ses représentants.
Emmanuel Macron veut supprimer toute possibilité de résistance du Pouvoir législatif. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre sa volonté de renouvellement de la classe politique. Désirant mettre de côté les « professionnels » de la politique, c’est-à-dire ceux qui ont une bonne connaissance des arcanes du pouvoir et qui auraient ainsi d’avantage de moyens pour lui mettre des bâtons dans les roues. Ainsi, le président veut qu’un élu ne puisse accomplir plus de trois mandats successifs. Pour lui, la fonction élective ne serait pas un savoir-faire, mais une « vocation ». Afin de faire pression sur les partis qu’il ne contrôle pas, il propose que le financement public des partis soit partiellement conditionné par le renouvellement des candidats investis.
Annihilation du pouvoir législatif
La volonté de réduire le Pouvoir législatif à une simple chambre d’enregistrement est confortée par le désir d’Emmanuel Macron de légiférer par ordonnances. L’article 38 de la Constitution stipule que « Le gouvernement peut, pour l’exécution de son programme, demander au parlement l’autorisation de prendre par ordonnances, pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi. » Après avoir donné une habilitation législative au gouvernement, pour un domaine tel que la réforme de la loi du travail, le parlement ne pourra qu’accepter ou refuser le projet présenté, mais en aucun cas l’amender. Ainsi, il aura perdu sa compétence législative, pour une période déterminée et dans les domaines définis par le projet d’habilitation [3].
Comme les réformes envisagées, telle celle du Code du travail, sont particulièrement impopulaires, le pouvoir exécutif ne se contente pas de choisir des élus d’une grande docilité et veut anticiper toute velléité de résistance, en retirant, pour ces matières, la compétence législative au parlement. La capacité de neutralisation des Chambres est également renforcée par la proposition de transformer la procédure accélérée en une procédure de droit commun [4]. Cette opération, déjà existante, permet de réduire le nombres de navettes entre les deux chambres et réduit ainsi le temps consacré au débat parlementaire. Le changement consiste en ce que la procédure d’exception deviendrait la règle. Même si cette réforme, nécessitant une révision de la Constitution, aboutit, le nouveau président n’entend pas renoncer à la procédure dite du « vote bloqué », bien connue sous le nom de 49/3, une technique permettant au gouvernement d’engager la confiance, afin de faire adopter un projet de loi sans vote de l’Assemblée. Bref, même si l’exception devient la norme, les procédures d’urgence seront maintenues.
Ainsi, la séparation des pouvoirs, chère à Montesquieu, mise à mal par des dizaines d’années de réformes concentrant les pouvoirs au sein de l’Exécutif, est ici complètement annihilée. Cette procédure conduit à un résultat qui aurait été apprécié par Boris Eltsine lui-même, la mise en place « d’un bon parlement, d’un parlement qui vote les lois et qui ne fait pas de politique. »
Subordination de la fonction exécutive
La subordination du parlement s’accompagne d’une volonté de prise en main de la haute administration. L’entourage du nouveau président est constitué de hauts fonctionnaires, rencontrés par Macron à Bercy ou à l’Élysée. Nombre de ceux-ci participaient déjà à d’anciens gouvernements. Ils assurent une continuité des institutions et bénéficient d’une expérience pouvant être déterminante dans certains dossiers. Cependant, le président a annoncé sa volonté d’utiliser son pouvoir de nomination, afin d’avoir bien en main et au besoin de remanier la haute administration [5]. Cette volonté n’est pas sans effet.
La haute administration joue un rôle important dans la gouvernance exercée par le pouvoir exécutif : préparation des projets de lois, mise en place des réformes. Elle peut disposer d’une certaine marge de manœuvre vis-à-vis du président et du Premier ministre par la continuité de l’action administrative. C’est justement avec une pratique, existant depuis une vingtaine d’années, permettant à chaque nouveau président de maintenir en poste nombre de directeurs, déjà en place dans les gouvernements précédents, que rompt Macron.
Cette prise en main de l’administration s’accompagne d’un renforcement des prérogatives attribuées aux énarques [6]. Ainsi, ceux-ci occupent 4 ministères clés, ainsi que le poste de Premier ministre.
En augmentant son emprise sur la fonction exécutive au détriment de la continuité de l’action administrative, afin de faire passer plus facilement des réformes issues de l’UE, Macron nous indique que, en fait, le Pouvoir exécutif national, malgré son renforcement face au Législatif, ne travaille pas pour son propre compte, mais est au service d’institutions internationales, dont il est le relais. La réforme du Code du travail, promue par l’Union européenne en est un bon exemple.
La crise actuelle du système de représentation partisane pourrait être formellement comparée à l’action opérée par le général De Gaulle, lors de la fondation de la cinquième République. Cependant, la comparaison ne dépasse pas le stade de l’image puisque, en 1958, l’initiative gaullienne aboutit à un renforcement de la souveraineté nationale. L’opération du président Macron conduit à son contraire.
[1] Le MoDem (Mouvement démocrate) est un parti centriste présidé par François Bayrou.
[2] David Dornbusch, « Les élus d’En marche ! « se montreront d’une docilité absolue » », Le Monde, 12 mai 2017.
[3] Lire : Daniel Rouscous, « Gouverner par ordonnances et 49.3, comment ça marche et quels garde-fous ? », L’Humanité, 6 juin 2017.
[4] Elodie Derdaele, « La démocratie rénovée selon Emmanuel Macron », Programmesprésidentiels.com, 8 mars 2017.
[5] Sébastien Billard, « Emmanuel Macron veut mettre la haute administration sous pression », L’Obs, 16 mai 2017.
[6] Les énarques sont les anciens élèves de l’École nationale d’administration (ENA).
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