« J’ai peur de mourir pendant son quinquennat. La pensée que Hollande puisse me rendre hommage me terrifie. »
Jean d’Ormesson, dans un humour malicieux qui le caractérisait tellement, s’était confié, en novembre 2014, au micro d’Yves Calvi sur RTL.
Dans une de ses chroniques matinales, Eric Zemmour, jeudi dernier, avait imaginé l’ultime parole qu’il prêtait à Jean d’Ormesson :
« Mourir en même temps que Johnny, mais c’est épatant ! »
Je n’étais pas un fan de Johnny, mais plutôt d’Eddy Mitchell que je suis depuis … six décennies ! Mais ces derniers jours, j’ai pris conscience, comme des millions de Français, que Johnny a marqué nos vies. Sans doute à cause de sa simplicité, de son authenticité de cette passion pour la musique qui l’a porté toute sa vie.
Hier, j’ai été touché par cet hommage populaire rendu à Johnny. Bien sûr par le témoignage poignant de Line Renaud mais sans doute plus encore par ces dizaines de témoignages de « gens ordinaires », de Français qui sont venus de tout le pays, qui sont restés immobiles dans le froid et qui ont fait preuve d’un calme impressionnant, et d’un respect incroyable.
Au risque de m’attirer les foudres de certains d’entre vous, j’ai envie, ce matin, de remercier le président de la République, Emmanuel Macron pour les organisations des hommages respectifs rendus, vendredi à Jean d’Ormesson, et le lendemain à Johnny Hallyday.
Ce fut deux hommages très différents, l’un national, « officiel », pour l’académicien, l’autre « populaire » pour le rocker. Mais, deux hommages qui, tous les deux, ont visé juste et ont touché les Français.
Si la cérémonie, tenue dans la cour des Invalides, était assez convenue, sans surprise, mais parfaitement adaptée à l’homme qu’elle honorait, l’hommage populaire organisé pour Johnny, fut étonnant, décoiffant même mais également en parfaite osmose avec le chanteur et avec l’homme, en résumé … un hommage populaire et Rock’n Roll !
Oui, merci aux autorités de l’Etat, préfecture de police, sécurité civile, et présidence de la République, pour avoir autorisé cette horde pacifique de bikers qui firent trembler les façades des immeubles hausmanniens des Champs-Elysées au son rauque des Harley-Davidson.
Bravo à cette superbe idée d’avoir permis à la foule de se masser sur la voie montante de « la plus belle avenue du monde » de façon à être au plus près du cortège, « bombardé pacifiquement » par une pluie de bouquets de fleurs.
Merci encore d’avoir laissé la musique de Johnny, notre musique, s’inviter partout. Sur le parvis de l’église de la Madeleine mais aussi au sein même de son choeur. Le Blues aura conquis cet espace habituellement compassé et on aura surpris l’assistance en train de frapper dans ses mains dans une vraie communion avec les musiciens de Johnny.
Avec Jean d’O, nous remercions le ciel que François Hollande ait été empêché de présider ces deux événements. De toute façon, ça n’était pas l’affaire d’un « président normal » ! Monsieur « petite phrase », aurait été déplacé. Lui, ce petit homme devenu président par défaut, face à la dépouille de cet homme simple devenu immense parce que plébiscité par le peuple français.
Pour terminer, j’ai envie que soit repris dans ce blog, la transcription du discours prononcé par Emmanuel Macron en hommage à Johnny. Un discours simple, mais « matchant » parfaitement avec l’homme simple mais extraordinaire auquel il rendait hommage. La vidéo du discours est aussi disponible en fin d’article.
Mes chers compatriotes,
Vous êtes là pour lui, pour Johnny HALLYDAY.
Près de 60 ans de carrière, 1.000 chansons, 50 albums. Et vous êtes là, encore là, toujours là.
Je sais que vous vous attendez à ce qu’il surgisse de quelque part. Il serait sur une moto, il avancerait vers vous. Il entamerait la première chanson et vous commenceriez à chanter avec lui.
Il y en a certaines qu’il vous laisserait chanter presque seuls. Vous guetteriez ses déhanchés, ses sourires. Il ferait semblant d’oublier une chanson et vous la réclameriez, alors il la chanterait.
Vers la fin, il présenterait ses musiciens et vous applaudiriez, vous applaudiriez plus encore pour que cela ne finisse jamais. Et dans un souffle, en n’osant pas vous l’exprimer trop fort, alors il vous dirait qu’il vous aime.
Alors oui, ce samedi de décembre est triste. Mais il fallait que vous soyez là pour Johnny parce que Johnny depuis le début était là pour vous.
Dans chacune de vos vies, il y a eu ce moment où l’une de ses chansons a traduit ce que vous aviez dans le cœur, ce que nous avions dans le cœur : une histoire d’amour, un deuil, une résistance, la naissance d’un enfant, une douleur.
Dans sa voix, dans ses chansons, dans son visage il y avait cette humanité indéfinissable qui vous perce à jour et qui fait qu’on se sent moins seul. C’est comme cela que Johnny est entré dans nos vies, par ce blues qui dit nos misères et nos bonheurs, par ce rock qui dit nos combats et nos désirs et pour beaucoup il est devenu une présence indispensable, un ami, un frère.
Et je sais que certains aujourd’hui ont le sentiment d’avoir perdu un membre de leur famille, je sais que beaucoup d’entre vous depuis quelques jours découvrent une solitude étrange.
Mais vous aussi, vous étiez dans sa vie. Vous l’avez vu heureux, vous l’avez vu souffrir. Vous avez vécu ses succès et ses échecs. Vous l’avez vu parcourir le moindre recoin du pays, passer près de chez vous, chanter dans les petites salles et dans les plus grands stades. Vous l’avez vu frôler la mort plusieurs fois et vous avez tremblé pour lui. Vous avez aimé ses amours, vous avez vécu ses ennuis et à chaque instant, vous l’avez aidé parce qu’il savait que vous étiez là pour lui.
Nous sommes là avec sa famille : avec Sylvie VARTAN, Nathalie BAYE, Laeticia HALLYDAY ; avec ses enfants David, Laura, Joy et Jade, avec ses petits enfants, Emma, Ilona, Cameron. Et je n’oublie pas que pour eux, c’est aussi un jour de souffrance intime. Nous vous avons si souvent volé votre mari, votre père, votre grand-père, aujourd’hui nous devons aussi vous le laisser un peu parce que ce deuil est d’abord le vôtre.
Nous sommes là avec sa marraine, avec ses musiciens, avec ses paroliers, ses équipes, ses amis, avec ses compagnons de route de toujours. Eux aussi sont déjà un peu plus seuls, ils chercheront cette énergie qui emportait tout sur scène. Ils devront désormais retenir les mots et les mélodies que personne d’autre ne pouvait chanter ; et ils attendront le copain, l’ami, celui dont ils aimaient les longs silences et l’œil qui à un moment sourit.
Mais tous, tous au fond d’eux-mêmes savent depuis longtemps que Johnny était à vous, Johnny était à son public, Johnny était au pays. Parce que Johnny était beaucoup plus qu’un chanteur, c’était la vie, la vie dans ce qu’elle a de souverain, d’éblouissant, de généreux et c’était une part de nous-mêmes, c’était une part de la France.
Que ce jeune belge décidant de prendre un nom de scène anglo-saxon soit allé chercher très loin le blues de l’âme noire américaine, le rock’n’roll de Nashville pour le faire aimer aux quatre coins du pays était hautement improbable. Et pourtant, c’est un destin français.
Dix fois, dix fois il s’est réinventé, changeant les textes, les musiques, s’entourant des meilleurs mais toujours il a été ce destin et toujours vous étiez au rendez-vous. Il a été ce que Victor HUGO appelait « une force qui va ».
Il a traversé à peu près tout sur son chemin, il a connu les épreuves, les échecs. Il a traversé le temps, les époques, les générations et tout ce qui divise la société. Et c’est aussi pour cela que nous sommes ensemble aujourd’hui, c’est aussi pour cela que je m’exprime devant vous. Parce que nous sommes une nation qui dit sa reconnaissance. Parce que nous sommes un peuple uni autour d’un de ses fils prodigues.
Et parce qu’il aimait la France, parce qu’il aimait son public, Johnny aurait aimé vous voir ici.
Il ne savait pas vraiment exprimer ce qu’il vivait, il préférait les silences. Alors il chantait les mots des autres, les chansons des autres. Il n’osait pas avouer ce qu’il ressentait, il aimait la pudeur.
Alors il se brûlait au contact du public, dans la ferveur de la scène et il s’offrait entièrement, terriblement, furieusement à vous.
Il aurait dû tomber 100 fois, mais ce qui l’a tenu, ce qui souvent l’a relevé c’est votre ferveur, c’est l’amour que vous lui portez. Et l’émotion qui nous réunit ici aujourd’hui lui ressemble. Elle ne triche pas. Elle ne pose pas. Elle emporte tout sur son passage. Elle est de ces énergies qui font un peuple parce que pour nous, il était invincible parce qu’il était une part de notre pays, parce qu’il était une part que l’on aime aimer.
Alors au moment de lui adresser un dernier salut, pour que demeure vivant l’esprit du rock’n’roll et du blues, pour que le feu ne s’éteigne pas, je vous propose où que vous soyez, qui que vous soyez pour lui dire merci, pour qu’il ne meure jamais d’applaudir monsieur Johnny HALLYDAY.
Emmanuel Macron sur le parvis de l’église de la Madeleine – 9 décembre 2017
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