L’assimilation est récemment revenue au cœur des débats, après sa condamnation au bénéfice de l’intégration par Emmanuel Macron dans un entretien fin décembre dernier pour l’Express. Une posture dans la lignée de ses prédécesseurs, révélant une absence de renouvellement dans la réflexion sur l’immigration. Pour sortir des poncifs, notre président devrait lire un livre remarquable tout juste paru sur le sujet, Éloge de l’assimilation, de Vincent Coussedière.
Professeur agrégé de philosophie et essayiste, il analyse avec finesse comment une véritable idéologie migratoire s’est développée dans notre pays jusqu’à se diffuser dans la société civile et les institutions politiques, empêchant tout retour en arrière et entraînant le basculement d’une politique d’assimilation à une politique d’inclusion. Il montre de façon inédite le rôle majeur de Sartre dans l’avènement de cette idéologie multiculturaliste et les verrous qui rendent toute remise en question difficile. Loin d’un fatalisme, l’intellectuel propose de renouer avec notre tradition assimilationniste et avec notre amour de la nation. Un éclairage complet, dense et précieux pour réfléchir sur un sujet encore très tabou.
Vous venez de lire l’introduction d’une excellente tribune, signée Anne-Laure Debaecker, dans la rubrique Espace de libres débats, de Valeurs actuelles.
Elle nous propose les bonnes feuilles du dernier ouvrage de Vincent Coussedière qui vont dans le même sens de Lydia Guirous à qui j’ai consacré récemment un article :
« L’assimilation, pour en finir avec un tabou français »
« Nous devenons tous étrangers à notre propre société »
“Ce qui manque singulièrement au débat sur l’immigration, outre la liberté et le courage de ne pas céder aux intimidations de tous bords, c’est la faculté d’étonnement devant le phénomène lui-même, dont personne ne semble vouloir interroger la légitimité et la signification. C’est qu’un gigantesque effort de naturalisation du phénomène de l’immigration a été produit depuis soixante ans. Tout a été fait pour que nous ne nous en étonnions plus. Des milliers de pages de journaux et de livres ont été écrites, des millions de paroles ont été proférées sur cette question, comme si son entente allait de soi, comme s’il ne pouvait être qu’incongru, tabou, de demander: qu’est-ce que l’immigration ? […] Le débat sur l’immigration, qui oppose immigrationnistes et anti-immigrationnistes, a rarement été un débat sur la signification de l’immigration en elle-même, mais un débat sur les moyens de la poursuivre ou pas, et à quelle échelle.”
Sartre et la genèse de l’idéologie migratoire
“Gaullistes et communistes, chacun à leur manière, s’étaient disputé l’héritage mémoriel de la Résistance et l’avaient parfois enjolivé pour ressouder les Français autour d’un projet de reconstruction nationale. Notre hypothèse est que Sartre est le fondateur d’un troisième programme : non pas rendre à la France sa fierté en lui proposant le modèle de la Résistance, pour lui permettre de faire le lien avec sa grandeur passée, mais au contraire lui faire honte, pour l’entraîner vers un programme révolutionnaire et post-national. La place que nous donnerons à Sartre pourra surprendre. Elle est pourtant essentielle et trop négligée par ceux qui veulent faire la généalogie du multiculturalisme français et des origines de l’idéologie migratoire. Remonter à la figure de Sartre permet pourtant de comprendre l’ancienneté de l’orientation multiculturelle de la gauche
L’instrumentalisation de la question juive
“Sartre est le premier à avoir utilisé et instrumentalisé la question juive pour un projet qui n’a rien à voir avec les juifs ! Sartre ne s’est en réalité intéressé aux juifs, ainsi qu’aux Noirs ou aux colonisés, ainsi qu’aux femmes ou aux immigrés, ou encore aux prolétaires, qu’en tant que ceux-ci pouvaient être un exutoire à la honte d’être français, laquelle n’était elle-même qu’un exutoire pour la honte que Jean-Paul éprouvait pour lui-même.
Qu’une telle instrumentalisation biographique et politique de la question juive, comme des autres questions concernant les autres identités victimaires abordées par Sartre, n’ait pas été aperçue, ou que très partiellement, par les meilleurs esprits de l’époque, comme par les meilleurs esprits actuels, doit nous faire prendre la mesure de la réussite et de l’efficacité du verrouillage sartrien. Ancrer le projet de dépassement de la démocratie nationale sur la question juive était un véritable coup de génie stratégique. Critiquer la critique que Sartre a faite de la démocratie assimilationniste, ce serait forcément ne pas prendre la mesure de l’antisémitisme, voire être soi-même antisémite. En abritant son entreprise de déconstruction et de dépassement de la démocratie nationale derrière la question juive, Sartre avait trouvé une arme de dissuasion intellectuelle massive qui fonctionnera par la suite de manière permanente dans l’idéologie migratoire.”
L’ancienne tradition assimilationniste de la gauche
“Une curieuse alliance entre gauchisme et socialistes, sous l’influence de Mitterrand, prenait en étau le PCF qui n’avait pas renié la perspective assimilationniste. On a oublié aujourd’hui que la gauche avait une tradition assimilationniste, lorsqu’elle ne reniait pas sa préoccupation de justice sociale et d’égalité économique. C’était une préoccupation de la III ème République que de protéger les travailleurs français, par une politique de contrôle de l’immigration de travail. Léon Blum lui- même, en créant le statut de réfugié politique dispensé de visa, distinguait clairement le droit d’asile, de l’immigration pour motif économique, qu’il fallait réguler en fonction des intérêts de la classe ouvrière. Cela ne veut pas dire que la gauche n’était pas ouverte, dans certaines limites, à l’immigration économique, mais que celle-ci devait alors avoir comme contrepartie un effort d’assimilation de la part des immigrés. Or, dès la fin des années 1970, un certain nombre de conflits sociaux se transformèrent, dans une logique sartrienne, en conflits identitaires, la reconnaissance de l’identité de l’immigré et particulièrement de son appartenance à l’islam, prenant le pas sur les revendications classiques d’égalité économique. La lettre de Georges Marchais au recteur de la mosquée de Paris, publiée dans l’Humanité le 6 janvier 1981, est un épisode particulièrement fort et symbolique de cette ultime tentative de résistance de la gauche à l’idéologie migratoire.”
BHL héritier de Sartre
“Avec BHL, c’est le “masochisme moralisateur” sartrien qui envahit la politique à un degré jusque-là inconnu et avec une puissance d’appui médiatique et politique qui n’a rien à envier à son illustre ancêtre. Sur le fond, la honte et le ressentiment à l’égard de la nation seront particulièrement développés dans l’idéologie française, et la filiation avec Sartre assumée dans le Siècle de Sartre. L’entreprise de discrédit du nationalisme républicain, de Péguy à Chevènement, n’aura jamais été poussée aussi loin, et la reductio ad Hitlerum du FN non plus. En termes de “masochisme moralisateur” et de posture pseudo-politique d’“engagement”, BHL aura été le digne héritier de Sartre, dont il poursuivra l’entreprise culpabilisatrice sur la France des années 1980-1990. Les années de SOS Racisme furent donc d’abord celles de la honte d’être français, le Français moyen caricaturé devenant le successeur du collaborateur, du partisan de cette « France moisie » dont Sollers, compère de BHL en francophobie, avait “honte” et se ferait également le contempteur. Mais elles furent également celles d’une tentative de verrouillage de la critique de l’assimilation au profit d’une conception multiculturelle et identitaire, voire racialiste, de la France. »
Le travers de l’intégration par la laïcité
“Vouloir faire […] de la laïcité la règle à laquelle doivent obéir les immigrés est à la fois fondé, puisque c’est une règle française, et naïf, car son acceptation dépend d’un processus d’assimilation à des moeurs nationales auxquelles on a par ailleurs renoncé. Le respect de la laïcité prétend ainsi se substituer à l’assimilation qui est en réalité sa condition de possibilité. On pense que le cadre laïque, entendu comme respect de la légalité, assurera l’assimilation, rebaptisée intégration, alors que c’est au contraire l’assimilation aux moeurs nationales qui permet le respect du cadre laïque. Désormais on ne demandera plus aux immigrés de devenir français pour accepter le cadre laïque, mais d’accepter le cadre laïque pour devenir français. Bref, l’intégration par la laicité, réputée “républicaine”, remplacera l’assimilation à la France, réputée “nationaliste”. On fera ainsi porter à la “laicité” un rôle pour lequel elle n’a iamais été faite, ce faisant, on déforme tout autant la laïcité qu’on méconnaît l’assimilation ».
Le renversement opéré par l’idéal d’inclusion
“Après avoir renoncé à l’assimilation pour adopter l’in- tégration dans les années 1980- 1990, l’État renonce depuis les années 2000 à l’intégration pour adopter un idéal d’inclusion. Il emprunte pour cela la justification rationnelle de son renoncement à l’idéologie migratoire, devenue ouvertement multiculturaliste et différentia- liste. La nécessité de l’assimilation s’est d’abord renver- sée en “idéalisme” de l’intégration, puis en “réalisme” de l’inclusion. L’étranger, rebaptisé migrant, a le droit de rester étranger, tout en vivant et s’installant dans les sociétés d’accueil. C’est aux autochtones de s’adapter à lui pour lui permettre de vivre chez eux comme chez lui. Pour cela,
l’idéologie migratoire doit persuader les autochtones qu’ils sont eux-mêmes des étrangers chez eux, que nous sommes tous des migrants. /…/ La coupure entre la citoyenneté et la nation tend à devenir tout aussi profonde pour le citoyen francais de souche que pour le citoyen fraîchement naturalisé “Nous sommes tous des immigrés”, non parce que la condition d’immigré serait désirable et permettrait d’accéder à une humanité universelle, mais parce que – comme l’avait bien vu Guy Debord -nous devenons tous étrangers à notre propre société. Des immigrés accueillent des immigrés, si l’on peut encore appeler ça un accueil, car accueillir suppose une dissymétrie entre le propre et l’étranger. En réalité, des immigrés coexistent – de plus en plus difficilement – avec des immigrés, ils “vivent ensemble” […] L’antipolitique de l’inclusion est le renversement par lequel l’étranger prend la place du concitoyen et le concitoyen la place de l’étranger; c’est le moment, non de préférence nationale, mais de la préférence pour l’étranger. […] Il s’agit de penser et d’établir la loi du point de vue de l’étranger en inversant la dissymétrie classique entre droits du citoyen et droits de l’étranger. Il s’agit que l’étranger soit chez lui chez nous et que nous ne soyons plus chez nous, chez nous, mais chez lui chez nous ! Pour reprendre l’expression de Houellebecq, l’antipolitique est une politique de « soumission » à l’étranger. Cette antipolitique est elle-même encouragée et instrumentalisée par des puissances étrangères, qui, elles, sont restées des puissances politiques, c’est-à-dire des puissances qui défendent leurs intérêts. En effet. l’impuissance à aborder politiquement la question migratoire n’est pas un phénomène universel, mais un phénomène essentiellement européen. et dans une moindre mesure américain.
Assimilation et identité
“Aucune politique de l’immigration ne sera possible si on ne déculpabilise pas et ne relégitime pas la préoccupation de l’assimilation. Il faut en finir avec le fétichisme de l’identité : celle-ci est une abstraction dès lors qu’elle est coupée de sa source vivante, l’assimilation. Elle devient, au contraire, un carcan et une prison, une identité maladive et revendicative, et ce aussi bien pour l’immigré que pour l’autochtone, le paradoxe étant que l’idéologie migratoire, tout en culpabilisant l’assimilation nationale, promeut la poursuite de l’assimilation par l’immigré de sa culture d’origine. La logique de l’inclusion est en réalité une critique asymétrique de l’assimilation car, par le biais de la reconnaissance de l’identité de l’immigré, elle reconnait à celui-ci le droit de poursuivre son assimilation, alors qu’elle l’interdit à l’autochtone. On dénonce le caractère contraignant de l’assimilation nationale, mais on promeut la liberté de l’assimilation de l’immigré à sa culture d’origine. »
Renouer avec la véritable nature de la nation
« La contestation identitaire prend le risque de tomber dans le piège de l’idéologie migratoire, car le concept d’identité ne permet pas de reposer correctement le problème de la place des étrangers dans la cité, et il est trop facile de faire porter sur lui le soupçon de racisme et de xénophobie. Plus gravement, en se plaçant sur le terrain de l’idéologie, on se place sur le terrain de l’idéologie migratoire elle-même, et on fait de l’identité nationale une identité à défendre parmi de multiples autres. Ainsi défendu, le concept d’identité est un concept parfaitement relativiste, toutes les identités se valent en tant qu’identités menacées et victimisées, et on ne voit pas pourquoi l’identité de l’autochtone mériterait davantage d’attention que celle du migrant. Loin de nous l’idée de déligitimer le souci de la conservation de la nation qui s’exprime derrière le vocabulaire de l’identité nationale, mais pour le formuler, nous avons besoin d’une parole qui reprenne la question de la véritable nature de la nation, qui soit à la mesure de l’héritage et de la dette qu’elle représente, mais aussi de l’innovation et de l’ouverture vers l’avenir qu’elle suppose. »
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- Jean-Paul Sartre a tout inventé, même l’indigénisme ! | A droite fièrement ! - […] déjà présenté son ouvrage dans un précédent article, mais l’interview d’aujourd’hui, me parait beaucoup plus accessible et pleine […]
La goche comme d’habitude s’est eloignée de la realité, qu’elle transforme selon son fantasme.