Voici la seconde partie de l’interview de Pascal Praud parue dans Valeurs actuelles :
Valeurs actuelles : En parlant de droite, vous dites souvent que l’autorité semble avoir disparu …
Pascal Praud : Ça c’est vrai. Mais parce que vous tirez le fil du mot autorité, et vous avez toute la société française ! Le prof ne peut plus parler aux élèves comme avant, le policier non plus. Même le père de famille ! J’ai quatre filles et je le vois bien : tout est négociable. La vraie fracture n’est pas Mai 68, mais la guerre. Mes parents me parlent d’une France morte et enterrée. Je fais très attention quand je parle à des jeunes gens parce qu’on va vite sur un terrain impossible : « tu ne me respectes pas », « tu me discrimines », « tu me dis ça parce que je suis une femme » … On a du mal, aujourd’hui, à parler de tout.
Valeurs actuelles : Mais même intellectuellement … On ne dit plus « ce que vous dites est faux » mais « ce que vous dites est offensant » et, du coup, il y a une moralisation du débat … Ce qui le rend difficile, non ?
Pascal Praud : C’est ce qui était formidable dans les années soixante-dix, à la télé : on acceptait que quelqu’un dise « c’est complètement con ce que vous dites! » et ça n’était pas offensant. Aujourd’hui, on prend des gants.
Valeurs actuelles : Votre émission est-elle difficile à assumer, du coup ?
Pascal Praud : Honnêtement, non. Cette émission, c’est un plaisir.
Valeurs actuelles : Et elle marche bien! Pour remonter un peu le fil de notre conversation, ne pensez-vous pas que la place médiatique accordée à des personnes très marginales est l’une des causes de la déconnexion des journalistes avec la France profonde ?
Pascal Praud : Oui, bien sûr. Je ne suis pas sociologue, mais je crois que c’est Raymond Baudon qui a théorisé cette idée des minorités actives. Ces personnes sont minoritaires, en effet, mais elles sont tellement présentes, tellement engagées dans le débat qu’elles nous obligent à faire attention à tout ce que l’on dit. Ce n’est pas vrai de tout le monde : les Bretons, on peut se moquer allègrement de leur accent. Mais attention avec d’autres. Sans compter que l’on feint en permanence de prendre le second degré pour du premier. Alors on devient vite raciste, homophobe, etc.
Valeurs actuelles : Les journalistes ont-ils raison, dès lors, d’accorder autant de place à ces marginaux?
Pascal Praud : Vous êtes au coeur du sujet. C’est finalement un peu la télévision qui est le diable en pareils cas. Elle a clairement changé nos vies. Pourquoi ? Parce que certains discours et certains intellectuels ne sont faits que pour la télévision. Prenons l’exemple des végans : ils attaquent une boucherie pour une seule raison, celle de la réaction médiatique. Et c’est moi qui vous dis ça [rires] … Je sais que je suis moi-même otage de ces réflexes. Souvent, je le dis en plateau d’ailleurs, il y a une forme de schizophrénie à le dire et à parler de ces sujets quand même. Mais si je dis que la télévision est parfois le diable, c’est parce que je m’aperçois – en côtoyant des adolescents par exemple – que le rapport à la solitude et à la lecture existe peu, pour ne pas dire pas. Le temps consacré à regarder la télévision a bouffé un autre temps, et c’est dommage.
Valeurs actuelles : Dans votre émission, vous usez souvent de références littéraires, théâtrales, musicales ou cinématographiques … Et vous reprochez parfois au service public de ne pas faire son travail sur ce terrain. Pourquoi ?
Pascal Praud : Je ne reproche pas au service public les émissions qu’il programme, mais celles qu’il ne programme pas. J’ai grandi dans une France où nous avions accès à la culture à 20H30, par le biais de grands passeurs comme Chancel, Pivot ou Labro. J’aime beaucoup ces gens-là parce que ce sont des gens normaux, ils savaient se mettre à notre niveau. Je me souviens très bien avoir découvert George Steiner comme ça lorsque j’étais étudiant. Pourtant, c’est compliqué à lire, ça demande un vrai effort. Ils m’avaient donné envie de le faire.
Valeurs actuelles : Mais arrive la question de l’audience .. :
Pascal Praud : Ces programmes faisaient de l’audience parce qu’il n’y avait que trois chaînes ! Mais le service public ne devrait pas avoir à se soucier de l’audience et c’est pour ça que je lui reproche ce qu’il ne programme pas. Nous devrions avoir des émissions de théâtre, de musique classique, une émission sur l’art … Aujourd’hui, tout est éclaté et il y a des niches. Radio Classique fonctionne très bien, je suis certain qu’une télévision qui déciderait de programmer cela trouverait sa voie.
Valeurs actuelles : Du bon sens … et des références culturelles. C’est ça, votre marque de fabrique ?
Pascal Praud : La seule conviction que je peux avoir aujourd’hui, la seule chose pour laquelle je suis prêt à me battre, c’est la culture : je veux que mes filles maîtrisent l’orthographe, la grammaire, l’histoire de France et sa littérature.
Parce que la culture, ça permet quand même d’être moins con, disons les choses !
Propos recueillis par Charlotte d’Ornellas, Laurent Dandrieu, Bastien Lejeune et Paul Saverot
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