Le débat fait rage au sujet de l’antisémitisme !
Ce fut d’abord ce retentissant Manifeste contre l’antisémitisme publié dans les colonnes du Parisien et signé par trois cents personnalités de tout bord, politiques, artistes, industriels, etc … (voir ce précédent article).
Puis ce fut cette tribune publiée, tout aussi courageuse, dans le Monde par trente imams.
On ne peut que se féliciter que le débat sur l’antisémitisme, après dix ans de déni, se place enfin au bon endroit : celui de l’antisémitisme qui se développe au sein des musulmans de France.
A contrecourant de ce mouvement, Dalil Boubakeur, le recteur de la grande mosquée de Paris a cru devoir réagir violemment contre le Manifeste contre l’antisémitisme.
Voici la chronique de Natacha Polony, très sévère envers cette réaction. Elle y pointe également l’ambiguïté de la position d’Emmanuel Macron qui, lui aussi, cultive le déni de réalité :
« Injuste et délirant. » Ainsi le recteur de la Grande Mosquée a-t-il qualifié le manifeste contre l’antisémitisme signé pourtant par des personnalités aussi diverses que François Pinault, Dominique Perben ou François Berléand. Tous ces gens ne seraient-ils que des inconscients incapables de déceler l’intention perverse cachée dans ce texte ? Ou bien seraient- ils eux-mêmes coupables de nourrir quelque intention malveillante à l’égard d’une religion de paix et de ses croyants, qu’on voudrait implicitement exclure de la communauté nationale ?
« Tel est bien le noeud du problème : à chaque fois que des voix s’élèvent, les plus diverses possible, pour tenter de sortir du déni, de nommer enfin l’innommable et de poser les bases d’un rassemblement, de doctes esprits s’emploient à vider le message de sa substance et à détourner le débat. Michel Wieviorka parle d’un manifeste « partiel et partial »: un antisémitisme « connu depuis un bon quart de siècle » et « déjà dénoncé d’abondance ».
Circulez, il n’y a rien à voir, ni surtout à dire.
Puisqu’on en a déjà parlé, n’est-ce pas, on ne va pas y revenir …
D’autant qu’à nommer-cet antisémitisme islamiste, on en oublierait l’antisémitisme traditionnel européen … Comprenez, le véritable danger en France, c’est la republication de Céline et Maurras. Mohamed Merah avait trop lu Rebatet.
On peut ne pas juger indispensable la publication des pamphlets antisémites de Céline et, pour autant, voir dans les arguments de Michel Wieviorka une brillante façon de noyer le poisson. La même dont use Emmanuel Macron, qui, depuis les États-Unis, a déclaré « qu’il y a deux racines de ce nouvel antisémitisme. La première est liée à l’importation du conflit entre Israël et la Palestine (…). La deuxième racine est une sorte d’ancien antisémitisme français, qui existait au début du siècle et qui reprend de l’ampleur ».
Cette chronique alerte depuis des années contre la résurgence de l’antisémitisme, contre les « mort aux Juifs ! » entendus dans les rues de Paris et contre la jonction, réalisée lors de la manifestation « Jour de colère » le 26 janvier 2014, entre un antisémitisme d’extrême droite, version soralienne, et un antisémitisme d’extrême gauche, camouflée derrière l’antisionisme. Mais la réponse présidentielle est un peu courte. Ou plutôt, elle cherche délibérément à construire un balancement qui n’existe pas en France pour mieux escamoter le débat lancé par le Manifeste de Philippe Val.
On ne peut, bien sûr, négliger le fait que le conflit israélo-palestinien constitue dans le monde un abcès de fixation. Et l’on aimerait entendre des voix s’élever contre la politique insupportable, mais aussi suicidaire, de la droite israélienne, qui grignote les Territoires palestiniens jusqu’à rendre impossible désormais une solution à deux États. Suicidaire, car Israël, avec des citoyens de seconde zone, ne serait plus l’État démocratique de ses origines. Il fut un temps, au début des années 2000, où des intellectuels français faisaient vivre sur ce sujet un indispensable débat. Leur silence laisse croire à une unanimité qui nourrit le ressentiment et repousse l’antisionisme dans les franges de l’antisémitisme.
Pour autant, la seule « importation du conflit entre Israël et la Palestine » ne suffit pas à raconter ce qui se passe en France et dans le monde. La gangrène d’un islamisme qui impose partout une lecture littéraliste du Coran – et c’est bien la lettre du Coran, n’en déplaise à Dalil Boubakeur, mais aussi la Sira et les hadiths, toute la tradition autour de la vie de Mahomet, qui servent de prétexte aux islamistes – ne peut pas être évacuée si facilement. Moins encore quand l’État qui porte cette vision et finance ses sectateurs, l’Arabie saoudite, noue une alliance dangereuse avec les États-Unis et Israël, et veut entraîner la France dans la dénonciation de l’accord nucléaire avec l’Iran. Mais ce qui se joue dans nos banlieues, et dans la tête de ceux qui basculent dans le délire antisémite, qu’il s’agisse d’assassiner une vieille dame ou de massacrer des enfants de 3 ans devant leur école, n’est qu’en partie déterminé par ces facteurs.
Le ressentiment, la frustration qui voient se coaguler antisémitisme et haine de la France germent dans des esprits culturellement en jachère, livrés à cet obscurantisme contre lequel se sont élevées les Lumières. Le Manifeste contre l’antisémitisme ne prétend nullement, comme s’en émeuvent 30 imams qui ont réagi dans Le Monde, que seul un musulman qui s’éloignerait de sa religion pourrait être pacifiste. En revanche, il appartient à l’école – et, dans l’idéal, aux représentants des religions – d’enseigner la différence entre l’ordre des croyances et celle des savoirs. De quoi permettre à un jeune musulman de ne pas considérer comme une vérité le caractère incréé du Coran, et donc d’entrer dans une forme de distance qui articule l’identité du citoyen et celle du croyant. Les imams français n’ont visiblement pas encore envie d’affronter ces difficultés. L’école non plus, quand le président lui-même y prône « la bienveillance et l’ouverture » plutôt que le savoir et l’exigence. Les intellectuels encore moins, dont la grande angoisse est de passer pour islamophobes.
Continuons donc de débattre de la réédition de Céline ou
de l’antisémitisme en Hongrie, jusqu’au prochain drame.
Natacha Polony pour Le Figaro.
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