Je relaye ce matin un article de Maxime Tandonnet paru récemment sur son blog et sur le FigaroVox :
Les élections présidentielle et législatives rappellent-elles 1958 et le retour du Général de Gaulle au pouvoir ? Opposé à cette comparaison, Maxime Tandonnet explique les différences entre les deux situations.
L’année politique 2017 est-elle comparable à 1958 comme le suggère l’entretien de M. Jérôme Jaffré avec le Figaro du 12 juin ? La ressemblance est en effet saisissante. En 1958, l’avènement du général de Gaulle au pouvoir s’est traduit par un renouvellement de la classe politique. Une partie du personnel de la IVe République, enlisée dans la guerre d’Algérie et l’instabilité gouvernementale, a été écartée aux élections législatives du 23 et du 30 novembre. Les partisans du Général, dont beaucoup de nouveaux venus sur la scène nationale, effectuaient une percée : déjà, le dégagisme avant la lettre?
Cependant, la comparaison s’arrête là, car au-delà des apparences, la nature des événements est profondément différente. 1958 est toute autre chose qu’un brusque mouvement d’humeur hostile au milieu politique. Sa logique n’est pas celle de la table rase, mais bien au contraire d’un acte de confiance envers l’auteur de l’appel du 18 juin, chef de la Résistance de 1940 à 1944, et du gouvernement français de 1943 à 1946. De Gaulle est porté au pouvoir avec un projet de transformation profonde des institutions, en préparation depuis plus de dix ans– discours de Bayeux et de Strasbourg – touchant non seulement à la Constitution mais aux piliers de la société française (lois organiques sur les finances, la magistrature, l’hôpital, etc.). L’équivalent n’existe pas aujourd’hui. Aucun bouleversement du régime politique, judiciaire, administratif, n’est en gestation.
Surtout, 1958 exprime un grand moment de confiance populaire. Le phénomène vient des profondeurs de la Nation qui accorde sa confiance au général de Gaulle notamment pour mettre fin à la guerre d’Algérie. La fracture démocratique, entre la France dite d’en haut, celles des élites intellectuelles et dirigeantes, et la France dite d’en bas, la majorité silencieuse, ne sévit pas encore. Les Français croient alors dans la politique et la démocratie. Aux élections législatives du 23 novembre 1958, le taux de participation dépasse les 77% puis 80% au référendum sur la Ve République. Le soutien explicite au nouveau gouvernement dépasse les 43%, dont l’UNR du Général à 17,6%. Par ailleurs, en nombre de voix, les autres formations traditionnelles, dans une logique de soutien conditionnel à de Gaulle, se maintiennent : MRP à 10%, gauche parlementaire (SFIO) à 17,20%. Aux extrêmes, le PCF est stable à 18,90% mais « l’extrême droite », exprimant le « rejet du système » réalise un score marginal : 3,3%.
En 1958, en effet, l’heure est à la construction et non à la destruction.
Le climat actuel, en 2017, semble radicalement différent. Le taux d’abstention au premier tour des législatives, supérieur à 50%, un record absolu, souligne la démobilisation populaire persistante face à la chose publique et l’absence de retour à la confiance dans les profondeurs du pays. Le score de la « majorité présidentielle », 32% (16% du corps électoral compte tenu de l’abstention) ne dénote guère d’élan national vers les nouveaux dirigeants. La conquête d’une majorité absolue à l’Assemblée, en complet décalage avec le scepticisme du pays, repose essentiellement sur l’effondrement vertigineux des partis traditionnels, de gauche comme de droite. L’exaspération populaire, à l’issue d’une cascade de scandales, demeure à vif. L’esprit antisystème se maintient à un niveau très élevé, sans doute majoritaire, et pas seulement à travers un FN à 18%.
De fait, 1958 et 2017 ne sont pas comparables. Entre-temps, la politique a changé de nature. A l’époque, elle avait pour objectif de transformer la réalité. Il fallait avant tout sortir la France de la guerre d’Algérie pour éviter une guerre civile. Et de Gaulle, à travers une réforme constitutionnelle introduisant la démocratie directe, le référendum, comme source d’une autorité supérieure, s’en donnait les moyens. La politique telle qu’elle est vécue, un demi-siècle plus tard, ne cesse de s’éloigner du gouvernement des choses. Dominée par le spectacle médiatique, elle se réduit chaque jour davantage au culte de l’image narcissique et aux aléas de l’émotion collective. En 1958, la sortie de la guerre d’Algérie représentait un gigantesque défi, relevé et surmonté par de Gaulle. Aujourd’hui, les enjeux vitaux ne manquent pas non plus: la réforme de l’Europe, la crise migratoire, la montée de la violence et du communautarisme, la dette abyssale, le chômage massif…Mais l’état d’esprit général consiste plutôt à s’éloigner de l’action et à s’enivrer dans les faux-semblants, l’hystérie, les crises d’idolâtrie généralement suivies de tragiques lynchages. De 1958, il reste certes la personnalisation du pouvoir à outrance. Mais elle a changé de nature : expression d’une profonde confiance populaire en 1958, masque de l’impuissance publique en 2017.
Maxime Tandonnet
Maxime Tandonnet a été un ancien conseiller de Nicolas Sarkozy.
Il est l’auteur de plusieurs ouvrages :
- Histoire des présidents de la République (éd. Perrin, 2013 et 2017)
- Les Parias de la République (éd. Perrin, 2017).
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