Après l’attentat de Londres, l’adieu au communautarisme ?

Publié par le 15 Sep, 2010 dans Blog | 0 commentaire

Après l’attentat de Londres, l’adieu au communautarisme ?

Les Anglais ont maintes fois critiqué la laïcité à la française et le principe d’assimilation comme juste des preuves de notre intolérance. Ils ont laissé le communautarisme s’implanter au Royaume Uni, et même des foyers islamisées se constituer au vu et au su de tout le monde. Mêmes les prêches anti-occident étaient tolérés au nom de la liberté de parole. Après trois attentats perpétrés en moins de trois mois sur le sol britannique, Theresa May semble vouloir rompre avec cette tradition anglo-saxonne.

C’est l’objet du billet suivant de Jacques Sapir paru sur son blog et repris sur Causeur.fr :

Londres de choc

On n’a que trop opposé la pratique britannique, qui s’était construite au cours des années et des siècles, autour de la notion de « communautarisme » à la pratique française qui, à juste raison, répudiait cette notion. Theresa May l’a compris.

Une attaque terroriste a endeuillé Londres dans la soirée du 3 juin. Une de plus, une de trop. Cette attaque vient après la bombe qui a explosé à Manchester, après une autre attaque à Londres il y a de cela quelques semaines, au mois de mars, après celles de Nice, du Bataclan, et sans oublier l’assassinat du Père Hamel en France ; ces attaques ont été trop nombreuses, trop multiples, pour que l’on en tienne une comptabilité précise. Oui, une de plus, une de trop.

« Trop, c’est trop »

Mais, peut-être que quelque chose va changer. Theresa May, Premier ministre britannique, a déclaré dimanche « Trop, c’est trop ». Elle a dénoncé le terrorisme islamiste, même si cette dénonciation est encore imparfaite. Elle a aussi déclaré que le Royaume-Uni ne devait plus tolérer l’extrémisme et que son pays s’était montré sans doute trop tolérant, notamment en acceptant le communautarisme. Le point est important ; il est même capital. Le communautarisme est en effet bien ancré dans la culture politique britannique, au point qu’il était devenu la marque de « l’intégration » à l’anglaise. Ne parlait-on pas, à propos de certains quartiers de Londres où sévissent des tribunaux religieux, de « Londonistan » ? Selon Theresa May, le temps est venu d’avoir des « conversations difficiles et embarrassantes ». Autrement dit de rappeler à tous qu’il ne peut y avoir qu’une loi dans un pays, et que cette loi s’applique à tous. Autrement dit de rappeler que, dans une société humaine, la loi des hommes, aussi imparfaite qu’elle puisse être, est la règle collective, et que ce que l’on pense être une « loi de Dieu » ne peut s’appliquer qu’à soi-même.

Theresa May, premier ministre britannique

Une évidence nommée laïcité

Il est tragique qu’il ait fallu tant de morts, tant de désastres, pour que l’on comprenne cette évidence. Il est tragique qu’en France même, certains s’obstinent à toujours ne pas le comprendre et ramènent la question de la laïcité à celle de la liberté de conscience. Car, c’est bien de la laïcité qu’il s’agit. Et avec elle, c’est la condamnation du multiculturalisme non pas comme constat, car nous pouvons tous venir de cultures plus ou moins différentes, mais comme projet politique organisant l’espace public.
Il faut donc, ici, rappeler des évidences. La culture politique ne saurait être multiple, car cette culture constitue le langage commun qui soude une communauté d’être humains et la constitue en « peuple ». Ce langage commun, fait de règles, d’habitudes, de coutumes, mais aussi de ruptures induites par des luttes, que ce soit celles pour les droits démocratiques, de 1789 à l’émancipation des femmes, ou qu’il s’agisse de celles pour des droits sociaux, est la coagulation de l’histoire de ce dit « peuple ». C’est pourquoi aucune culture politique n’est identique. Appartenir à un peuple c’est, au-delà des formalités administratives, décider de faire sienne cette culture politique, au-delà des questions ethniques et religieuses.

La grave erreur de Hollande

La constitution de cette culture politique implique pour le croyant, quel qu’il soit, de reconnaître qu’il ne peut y avoir de parti politique de Dieu, que la question de la foi est une question qui relève de l’intime, du fait personnel. Cela va bien au-delà de la liberté de conscience, qui, elle, ne reconnaît que le fait que l’on ait le droit de penser ce que l’on veut. Et, de ce point de vue, la confusion qu’avait établie François Hollande en 2015 entre liberté de conscience et laïcité, fut une erreur grave. La laïcité, car, une fois encore, c’est d’elle qu’il s’agit, ce n’est pas la loi de 1905 en France, qui n’est qu’une loi de pacification entre l’Etat et l’Eglise Catholique. C’est une attitude générale qui revient à distinguer ce qui relève de la sphère publique et ce qui relève de la sphère privée. En cela, la déclaration de Theresa May est importante. On a que trop dit que le terrorisme était en France le « produit de la laïcité ». Imposture et mensonge manifeste qui ont été proféré par soit des ignorants soit des complices, qu’ils soient « idiots utiles » ou complices actifs, des terroristes qui ont frappé et tué. On n’a que trop opposé la pratique britannique, qui s’était construite au cours des années et des siècles, autour de la notion de « communautarisme » à la pratique française qui, à juste raison, répudiait cette notion.

L’impasse communautariste

Par sa déclaration, Theresa May reconnaît l’impasse à laquelle conduit la tentative de constituer le communautarisme comme projet politique. Il y a là quelque chose que devrait entendre notre Président de la République, Emmanuel Macron, qui se refuse à nommer clairement l’ennemi et qui cautionne, par sa tolérance aux pratiques de clientélisme, le déploiement sournois de pratiques multiculturalistes qui aboutissent non seulement à des contradictions au niveau de notre droit civil, mais qui constituent en réalité le terreau dont se nourrit la radicalisation et le terrorisme.

Il convient donc de lutter, que ce soit par des moyens sécuritaires, en démantelant les réseaux, expulsant ou assignant à résidence ceux qui directement ou indirectement incitent au crime, ou que ce soit dans notre droit civil en combattant les pratiques et les attitudes qui sont des vitrines publicitaires pour cette idéologie terroriste. Car, dans le contexte actuel, certains gestes qui seraient dans un autre contexte anodin, sont des gestes politiques, et ils doivent être combattus comme tels.

Du dolorisme au combat

Comprendre cela ne nous garantira pas contre d’autres attentats, d’autres drames. Mais, cela nous permettra de lutter, de passer d’une attitude doloriste à une attitude de combat, et de progressivement éradiquer le terrorisme et ses causes. Ne nous faisons aucune illusion : c’est un combat de longue haleine, et il n’y a pas de solution miracle et instantanée. C’est un combat politique tout autant que militaire. Mais, c’est un combat que nous n’avons pas d’alternative que de gagner.

Jacques Sapir

Qui est Jacques Sapir ?

Jacques Sapir

Diplômé de l’IEPP en 1976, a soutenu un Doctorat de 3 ème cycle sur l’organisation du travail en URSS entre 1920 et 1940 (EHESS, 1980) puis un Doctorat d’État en économie, consacré aux cycles d’investissements dans l’économie soviétique (Paris-X, 1986).
A enseigné la macroéconomie et l’économie financière à l’Université de Paris-X Nanterre de 1982 à 1990, et à l’ENSAE (1989-1996) avant d’entrer à l’ École des Hautes Études en Sciences Sociales en 1990. Il y est Directeur d’Études depuis 1996 et dirige le Centre d’Études des Modes d’Industrialisation (CEMI-EHESS). Il a aussi enseigné en Russie au Haut Collège d’Économie (1993-2000) et à l’Ecole d’Économie de Moscou depuis 2005.

Il dirige le groupe de recherche IRSES à la FMSH, et co-organise avec l’Institut de Prévision de l’Economie Nationale (IPEN-ASR) le séminaire Franco-Russe sur les problèmes financiers et monétaires du développement de la Russie.

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